samedi 24 février 2018

L’histoire d’un être perdu dans les labyrinthes de sa mémoire



Ce n’est que maintenant que je me rends compte à quel point j’ai abandonné mon blog de l’atelier du Haïkuteur : depuis Janvier 2011, aucune mise à jour !!!
Eh oui ! C’est terrible de constater à quel point la vie nous entraine dans son tourbillon, à ne s’apercevoir pas du temps passer !
Ce qui me ramène à ce blog dédié à « Mon Année sur les ailes du récit » ? C’est cet aimable article écrit par Houda Ben Yahya, mon amie et la fille de mon défunt ami, le nouvelliste Yahya Mohamed, suite à la lecture de mon roman « La Boussole de Sidinna », une copie que j’avais offerte à son défunt père, paix à son âme.


Voici une agréable surprise qui me rappelle que je n’ai pas encore publié ce roman dans sa version française, alors qu’il a été écrit simultanément dans les deux langues, arabe et française.
Merci Houda Ben Yahya, et bonne lecture à tous :



L’histoire d’un être perdu
dans les labyrinthes de sa mémoire* 

Livre : La Boussole de Sidinna,
Auteur : Salem Labben
Editeur : Le ptypont productions, (Tunis, 2012)

La Boussole de Sidinna de Salem Labbène, un texte captivant, entre rêves, projets et cauchemars, entre hier, aujourd'hui et demain...
Si Salem, le Haikuteur, a tissé une histoire de voyage trans-générationnel, un voyage où se mêlent les liens du temps à travers rites culturels et croyances mythiques.
L'œuvre retrace les interrogations et les souffrances de l'Etre humain dans sa QUÊTE de SOI :
Instinct de vie, instinct de mort,
Amour secret, amour interdit,
Virilité, reconnaissance paternelle,
Savoir, ignorance,
Réussite, échec …..
L'existence serait-elle ce chemin parcouru de la VIE à la MORT dans le but de se retrouver soi même??? Haut du formulaireBas du formulaire
Trouver son chemin avec ou sans boussole, se perdre dans les sentiers tumultueux de son histoire …


Mohamed Lamjed BRIQCHA, le héro de l’histoire envahi par ses rêves, désirs et cauchemars, se perd dans les labyrinthes de sa mémoire : enfant, adolescent, jeune étudiant et adulte ; il se cherche encore, plonge dans les souvenirs d’une mémoire collective ancestrale….
Il essaye de retracer son chemin afin de se ressaisir, retrouver sa route malgré embûches et obstacles …
Réussira-t-il sa vie ? Va-t-il se conformer aux modèles imposés par la société ? Ou créer son propre modèle et réaliser son propre rêve, malgré et contre tout ???
Autant d’épreuves essentielles et fondamentales dans la vie de l’Homme vécues par le héro du Haikuteur.
Des interrogations bouleversantes, des préoccupations angoissantes menant jusqu’au délire, jusqu’à l’oubli, jusqu’à la perte de la mémoire, la perte de soi. Car la voie menant aux réponses est dangereuse, menaçante, pleine de bifurcations, de virages, d’imprévus, de surprises, de difficultés et d’obstacles….
Par ce texte, le Haikuteur renvoie et pousse  le lecteur à s’arrêter un moment pour se regarder, se questionner sur le trajet parcouru !!!
A-t-il réalisé son rêve ? Rêve-t-il encore ??
Les chemins du possible sont-ils de nouveau ouverts  à la fin du conte ??
Merci Si Salem pour La Boussole de Sidinna.
La QUÊTE continue.
A chacun d'imaginer, de rêver, de tisser la fin de l'histoire !!!

Houda BenYahia

Décembre 2017.

* Houda Ben Yahya veut être présentée comme "psychologue clinicienne dont le premier loisir est la lecture". N'est-elle pas la fille d'un écrivain !

lundi 24 janvier 2011

Pr. Dr. Mhamed Hassine Fantar

Pour la transparence et contre toute forme de confusion



Par Al Hakawaty – Salem Labbène



J'ai l'honneur d'avoir reçu du Pr. Dr. Mhamed Hassine Fantar, le message suivant que je tiens à publier aussitôt dans la transparence la plus totale, l'accompagnant de la réponse que j'ai adressée en retour à cet imminent homme de savoir que j'ai eu comme professeur à l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information (IPSI) :



1/ Message reçu :

Cher(e)s collègues et ami (e)s
Cher(e)s
L’Université El-Manar, sur instruction du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, a pris la décision de suspendre toutes les Activités de la Chaire pour le Dialogue des Civilisations et des Religions. Je le regrette comme vous tous, j’en suis sur !
En attendant il me fait honneur et plaisir d’avoir travaillé grâce à vous tous et à votre sollicitude généreuse pendant des années pour le dialogue interculturel et interreligieux, travail qui se veut une modeste contribution pour la connaissance et la reconnaissance de l’autre, l’acceptation de l’autre, quelles que soient sa religion, sa culture, sa race et sa langue. Comme vous tous, je crois au dialogue et je crois à l’humanité de l’homme.
Je continuerai à travailler dans ce sens avec toutes les instances universitaires et toutes les structures de la société civile qui partagent les valeurs du dialogue interculturel et interreligieux. Je resterai en contact avec vous tous pour la collaboration au profit d’une humanité solidaire, pour la justice et la paix dans le monde. Pour lors, permettez-moi de vous dire merci pour vos apports respectifs à la cause du savoir, de la démocratie, de la liberté et de la justice. Avec votre accord, je resterai en contact avec vous pour une collaboration concertée. Je me mets à votre disposition pour toute collaboration.
Avec mes cordiales salutations.
Pr. Dr. Mhamed Hassine Fantar

2/ Ma réponse

Objet : Tout l'honneur est pour moi

Bonjour cher professeur,
Veuillez d'abord croire que je demeure honoré de vous avoir eu comme professeur puis d'avoir pu, par un témoignage de poète oeuvrant depuis bien longtemps et concrètement par sa démarche poétique, au dialogue interculturel, contribuer à l'une des manifestations organisée par la chaire maintenant disparue que vous dirigiez.
Je tiens, ensuite à vous remercier pour ce message que je viens de recevoir de vous et qui témoigne de votre civisme et de votre valeur intellectuelle que personne n'a le droit de nier.
Ceux qui ont travaillé sous la direction directe ou indirecte du président déchu n'ont pas tous les mains sales. Seule la justice peut trancher ; et la présomption d'innocence demeure la règle première de la société des droits et des institutions à laquelle la volonté du peuple vient de rendre toute sa valeur.
Aussi le caractère propagandiste et communicationnel dominant de la chaire que vous présidiez ne peut en aucun cas faire oublier le caractère noble des principes scientifiques et authentiquement culturels sur la base desquels cette institution a été fondée au départ.
En conclusion, je n'oublierai jamais que vous aviez lu mes oeuvres poétiques (Mes quatre saisons) et aviez tenu à réagir par écrit, alors que plusieurs "amis" auxquels je les ai offertes n'avaient donné aucune suite pouvant signifier qu'ils en aient lu une seule ligne.
Alors Merci professeur, tout l'honneur est pour moi d'avoir été votre étudiant et d'avoir collaboré la chaire que vous dirigiez.

Toute ma considération
Alhakawaty - Salem Labbène

mardi 18 janvier 2011

Appel aux RCDistes du gouvernement provisoire

par Alhakawaty - Salem Labbène

1/ A Monsieur Mohamed Ghannouchi, premier ministre :

Je crois savoir que vous aviez exprimé votre désir de prendre votre retraite politique bien avant que le président déchu ne vous renomme à la tête du gouvernement d'avant la révolution du jasmin. Croyant en votre intégrité, votre haute compétence, votre parfaite connaissance de vos dossiers et, surtout, votre grand amour pour notre chère Tunise, je me permettrais de vous supplier d'exprimer ce voeux en public aujourd'hui, même si mes informations citées ci-dessus seraient fausses, et de vous engager à vous retirer de la vie politique aussitôt après avoir conduit notre pays à la stabilité définitive et à la démocratie irréversible.


A Messieurs les membres du gouvernement provisoire appartenant au RCD ou réputés comme tels :


Je ne suis pas certain que vous êtes tous aussi indispensables à ce gouvernement provisoire les uns que les autres, mais je m'adresserais à vous tous pour vous prier de démissionner immédiatement de ce parti et de déclarer que vous n'êtes dans ce gouvernement que comme technocrates indépendants. Sinon je vous prie de vous retirer pour vous consacrer aux affaires de votre parti qui vous appelle à son secours et qui , tel qu'il est aujourd'hui, n'est plus qu'une coquille vide qui, de plus, en tant que structure organisée de la sorte, n'a plus de place dans ce pays après la révolution.

Avec mes respects à tous ceux qui ont œuvré, œuvrent ou œuvreront encore pour sauver la Tunisie des dangers du vide constitutionnel et du désordre.





Salem Labbène
Auteur, membre du syndicat des écrivains de Tunisie
comptabilisé, d'office et sans carte d'adhésion, sur le compte du RCD
Rédacteur en chef, cadre (directeur) prisonnier au frigo de l'ATCE

dimanche 12 décembre 2010

"Mon année sur les ailes du récit", version papier

Un projet qui aurait pu voir le jour tel que décrit dans cet article, mais... à quelque chose malheur est bon comme disent les Français
(Je laisse le texte tel que publié en son temps)
"Mon année sur les ailes du récit" s'est achevée, après prolongation, le 13 mars 2009. Le guerrier méritait de se reposer un peu et les textes d'être laissés en paix, suffisamment longtemps. Une bonne distance devait se créer, entre eux et leur auteur ; assez pour permettre à ce dernier de les scruter sans trop succomber au feu de la passion génitrice.
Une année plus tard, il fallait revenir à la charge pour relire, corriger, restaurer ou rajouter ce qui devait l'être, afin que le projet se tienne droit, achevé, les parties bien équilibrées. Des ami(e)s et autres vénérables professeurs m'ont soutenu dans cette tâche. Je me dois de le leur reconnaître avec tous mes remerciements.
Je devais aussi faire la concession pour me contenter de la moitié des objectifs que je me suis fixés quant à l'édition papier de "mon année sur les ailes du récit" ; et ce pour ne point condamner tout le projet aux oubliettes, faute de moyens. Ainsi me suis-je acclimaté avec la politique des étapes commençant par la publication de la partie arabe ; pour m'occuper ensuite du sort de la traduction française.
De nombreuses parties amies m'ont écouté et ont sérieusement étudié mes propositions, montrant, en dépit des divergences de vue, beaucoup de compréhension quant au problème épineux de l'édition ; question dont il vaut mieux, ici, ne pas évoquer les détails. Je reconnais les avoir assez dérangés avec mes rêves qui ne tiendraient que théoriquement debout et assez fatigués par mon attachement à des conditions relevant de "la nécessité du superflu", comme certains l'avaient déjà dit à propos du projet dans son ensemble… A tous ceux avec qui j'ai eu à converser à ce propos, mes sincères sentiments d'amitié que ne peut altérer nos divergences de vues.
Je ne veux pas m'étaler dans cette introduction. L'essentiel est que je suis revenu aujourd'hui a ce Blog/Atelier, où je n'ai rien écrit depuis le 13 mars 2009, pour annoncer, enfin, que les textes que j'ai accumulés ici (je désigne pour le moment le blog arabe en attendant) durant toute une année et un peu plus, est maintenant en voie d'édition sur papier. Je viens, en effet, de signer, le 29 novembre, avec les éditions El Bourak à Monastir, un contrat concernant touts les textes originaux en langue arabe répartis sur trois livres comme détaillé ci-après.


 Le logo de la collection tel qu'il aurait pu voir le jour...Mais

Mais le plus important est que cette longue gestation a donné naissance à une collection littéraire dénommée "MARAYA AL KYEN" (Les miroirs de l'Être). Cette collection démarrera avec ces trois livres pour tenter d'occuper une place sur la scène éditoriale tunisienne, maghrébine et arabe, avec des textes récents du meilleur cru d'auteurs convaincus que l'écriture est le produit d'un effort avant d'être le fruit d'un don, qui traduiront cette conviction dans des textes sur lesquels ils ne se lasseront pas de travailler alternant construction et critique et qui ne voient aucun mal à se faire conseiller en cela par leurs confrères et leurs professeurs de plus grande expérience en la matière, afin que ces textes parviennent à leurs lecteurs dans leurs plus beaux atours.
En attendant que prennent fin les travaux de discussion et de fixation de la plateforme théorique de MARAYA AL KYEN, et que s'achèvent les négociations à propos des modalités pratiques de l'édition des livres qui suivront, dans le respect des droits de l'écrivain, ce qui nous permettra d'écrire sur les couvertures : "ce livre est mis en vente après payement total des droits d'auteur", voici les titres et couvertures des trois livres comprenant les textes originaux fruits de "Mon année sur les ailes du récit", avec leurs dates de parution:

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La couverture du livre tel qu'elle aurait pu voir le jour... Mais ...
Mon année sur les ailes du récit – livre premier : ANQUD HAKAYA (grappe de contes)
Genre : textes narratifs – Langue : arabe
Auteur : Al Hakawaty – Salem Labbène - Préface : Mohamed Hizem
Première édition : Tunis 2011 – nombre de pages 240 – Prix en Tunisie : 12 dinars
Date qui avait été fixée pour la parution : Janvier 2011 – Editeur : Al Bourak impression édition et diffusionCouverture : "la grappe du club de la nouvelle", œuvre photographique de l'auteur.
Rabat : Al Hakawaty au crayon par l'artiste algérien Boukerch Mohamed


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La couverture du livre tel qu'elle aurait pu voir le jour... Mais ...
Mon année sur les ailes du récit – livre second: BAOUSSALAT SIDINNA (La Boussole de SIDINNA)
Genre : texte narratif – Langue : arabe
Auteur : Al Hakawaty – Salem Labbène - Préface : Jelloul Azzouna
Première édition : Tunis 2011 – nombre de pages 272 – Prix en Tunisie : 13 dinars
Date qui avait été fixée pour la parution : février 2011 – Editeur : Al Bourak impression édition et diffusionCouverture : œuvre numérique de l'auteur.
Rabat : Al Hakawaty au crayon par l'artiste algérien Boukerch Mohamed

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La couverture du livre tel qu'elle aurait pu voir le jour... Mais ...

Mon année sur les ailes du récit – livre troisième: QUTUFON MIN HAMICHI AL MA'LOUF (traduction provisoire : "Bribes de discours d'en marge")
Genre : narration critique et documentaire et "Louzoumyet"(*) contemporaines – Langue : arabe
Auteur : Al Hakawaty – Salem Labbène et plumes amies - Préface : (?en attente du texte)
Première édition : Tunis 2011 – nombre de pages (?) – Prix en Tunisie : (?) dinars
Date qui avait été fixée pour la parution : Mars 2011 – Editeur : Al Bourak impression édition et diffusion
Couverture : œuvre photographique de l'auteur.
Dos de couverture : Photos prises pour le compte de l'auteur.
Rabat : Al Hakawaty au crayon par l'artiste algérien Boukerch Mohamed
(*) Louzoumyet : "Nécessité du superflu" (clin d'œil à Abul Alaa Al Maarry)

jeudi 5 mars 2009

La Boussole de Sidinna / 23 L'héritage de Mayara

Mon année sur les ailes du récit (53/53) La Boussole de Sidinna (23/23) – 06 mars 2009

Chemin troisième:

Pleine, ma lune

Orientation cinquième :

L'héritage de Mayara

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. L'effet du somnifère prend fin, alors que je suis encore dans mon lit, refusant d'ouvrir les yeux, tenant à siroter encore une dernière gorgée de sommeil. Peut-être y trouverais-je un beau rêve ou une vision annonçant le printemps.
Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. Depuis que je me suis installé ici, je ne connais plus la nature de mes rêves, ni ne distingue mes cauchemars de ceux des autres résidents. J'ai perdu les rênes du rêve en ce qu'il est plaisir. La vie m'a définitivement abandonné dans le Château-Forteresse et a commencé à s'éloigner de moi, poursuivant sa marche vers des montagnes que fleurissent neige et joie de vivre et d'où jamais le printemps ne s'absente.


Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. Et les gens autour de moi s'y mettent par centaines, détournant les bateaux dans les ports et appareillant vers l'inconnu. Et la vie de continuer à leur tourner le dos. Elle en noie certains avant l'arrivée, en séquestre d'autres dans les prisons du Nord qu'ils incendient, se brûlant vifs dans leurs cellules. Et puis, d'autres encore rentreront finalement par le même chemin, pieds et poings liés.
Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. Et je commence à avoir peur.
J'ai peur à chaque fois que mon rêve commence par une vue de fleurs et que je crois en ce genre de présages annonciateurs de joies. Plus j'y crois, plus ma joie est grande. Et plus ma joie est grande, plus la fin du rêve tourne au cauchemar le plus affreux.

*****

Endormi sous le pont, rêvant que je rêve. Je vois Sidinna m'offrir un bouquet de roses blanches neige. L'air affecté par mon mal, il met la main sur ma tête pour juger de ma fièvre, puis imprime un long baiser sur mon front et me dit :
- "Je remercie Dieu de t'avoir sauvé, Mejda ! Je suis fier de toi. La fièvre va s'estomper. Il ne restera que le souvenir de ta réussite aux examens."
… Sidinna s'éloigne, me faisant signe du doigt de le suivre. Le cœur plein de joie, je cours après lui entre les monticules. Et Sidinna de disparaître dans un bois dense. C'est là que je me retrouve sur une route goudronnée. Sur le bas côté, une plaque indiquant en grosses lettres "Tazoghrane". Ma joie se multiplie. Je cours et cours encore jusqu'à m'imaginer champion olympique. Je franchis un pont étroit sur un maigre cours d'eau. Et je découvre le village rouge avec ses maisons toutes blanches. Je trouve sa place pleine d'un public portant des bouquets de fleurs qui me sont destinées et scandant mon nom. La place me paraît petite mais pleine de drapeaux et de multiples banderoles. Sur l'une d'elles on peut lire "Arrivée", sur une autre "Bienvenue au héros Mohamed Lamjed Brikcha", et ainsi de suite.


Mon extase atteint son summum et je me retrouve au centre d'un cercle de fans qui m'applaudissent lançant des cris d'admiration, alors que la voix d'un speaker retentit dans le haut parleur :
- "Enfin la boussole arrive à Tazoghrane… Chantez tous pour la boussole… Acclamez tous le héros…"
Soudain le rêve se transforme en cauchemar. Je suis atteint d'une sorte de paralysie. J'introduis la main dans mon pantalon pour tâter la boussole. Le dernier souvenir que j'en ai remonte aux jours du Sahara, alors que la boussole de Sidinna pendait entre mes jambes avec mes testicules, attachée à une ceinture autour de ma taille. J'ai honte de moi-même. Un brouhaha éclate autour de moi, avec des rires nourris, dès que j'écarte les jambes et commence à tâter innocemment ce qu'il y a entre elles, ne trouvant aucune trace de la boussole. Et puis, soudain, je ne sais comment le public des fans se retourne contre moi, commençant à m'attaquer. Tout le monde se jette sur moi jusqu'à faire obstacle à la lumière du jour. Et je ne sens plus que les coups s'abattant, de toute part, sur tout mon corps.
Soudain je me retrouve au centre de ma grotte punique où se tient maintenant une assemblée imposante. Il s'agit, paraît-il, de me faire un procès en bonne et due forme, mais dans l'obscurité totale. Je regarde le podium et je vois que celui qu'on a nommé président de ce tribunal n'est autre que Sidinna en personne. Et Sidinna paraît maintenant en colère, comme jamais je ne l'avais vu alors qu'il était encore en vie :
- "C'est toi Mejda qui as trahi ma confiance. Ah que je regrette l'éducation que je t'ai donnée. Je t'ai confié la boussole et tu l'as perdue. Tu n'as pas été digne de la mission."
… Je me retourne. La grotte est pleine à craquer autour de moi. Le propriétaire du zodiaque dans lequel j'avais fui Haouariya est là, ainsi que tous les jeunes qui avaient l'intention d'utiliser son embarcation pour "brûler". Il y a aussi le propriétaire de l'âne, les agents du propriétaire de l'âne, le propriétaire de l'orangeraie, Nadia Bel Aïsaouiya et sa mère, Boujomâa l'algérien, ses enfants et sa femme, Hajja Héniya, ses ouvrières de la ferme de Slouguiya, Bochra Toukabri, Fares Khémiri, Naoufel El Ouachem, Karim Aouled Belâaifi et sa mère, Sofiène Jéridi, sa sœur et son neveu, Haffa le Gigolo et ses amis cagoulés qui m'avaient accompagné dans le Sahara, Yassine Bellaghnej, sa compagne Houriya, la vierge Oumm Ezzine, Moqaddam Abdel-Hafidh et bien d'autres personnes dont je ne distingue pas les traits dans la pénombre. Chacun d'eux brandit son couteau qu'il veut planter dans ma poitrine. Et moi, je n'ai aucune issue de secours. Je crie : "Pince-moi petite maman" et tente de me réfugier auprès de Sidinna. Mais ce dernier me gifle comme il ne m'a jamais giflé de son vivant, annonce son jugement sans appel et déclare mon sang permis à qui veut se venger, puis quitte l'estrade, furieux contre moi.
Pince-moi Khaddouuuuuuuuuja… Je n'aime pas les chocs électriiiiiiiiiiques.




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Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. Et c'est généralement les yeux ouverts que je vis mes cauchemars.
… Assis sur un long banc dans le jardin du palais-Forteresse. A côté de moi un homme inconnu et une femme tenant dans les bras un nourrisson. Ils seraient venus ici rendre visite à l'un des malades et n'auraient trouvé que cette place pour s'asseoir. Moi, en tout cas, je m'occupe plutôt de mes souliers dont les lacets sont défaits. Je les regarde en silence mais je sens en moi un imposant bouillonnement. Je me concentre sur les souliers jusqu'à ce qu'apparaisse la chicane de chez nous, à l'impasse Brikcha.
Enfin un rêve qui va me faire un peu rire ! C'est du moins ce qu'il me semble, au vu du rôle que j'y joue. Notre chicane m'apparaît comme un studio de tournage. Caméra installée, les gars du club vidéo sont en place chacun pour assumer sa tâche. On tourne ici un documentaire sur le rituel de la toilette funéraire et de l'inhumation du martyr Mohamed Lamjed Brikcha. Le sujet est en lui-même rigolo. Le seul problème est que je suis effectivement mort. Le corps raidi, je regarde ce qui se passe autour de moi mais n'ai aucun moyen d'intervenir sur les événements. Et me voici effectivement allongé sur mon lavoir de dépouille, installé en plein milieu de la chicane. Les projecteurs, déjà allumés sur moi, ne peuvent rien changer au froid glacial de mon corps inerte.
Curieusement, "Bbé" Sabriya n'est plus muette. La voici qui fait la pluie et le beau temps dans l'organisation de la cérémonie. Ce serait elle qui m'aurait enveloppé dans ce linceul blanc. Il parait même que c'est elle qui assure la réalisation du film. La voici qui donne des ordres et orchestre l'entrée des arrivants dans la chicane, les organisant en un rang bien droit :
- Allez, alignez-vous dans l'ordre. Je veux que personne ne le pleure. A mon signal, chacun avance, lui déclare son pardon et sort au patio sans faire de bruit.
La voix du lecteur de Coran, Cheikh Ali Barrak, fuse d'un radiocassette, psalmodiant la sourate de la "Zalzalah". La caméra poursuit l'entrée des "Pardonnants" conduits par Ameur El-Bintou qui avance, torse bombé et chemise déboutonnée. Qui a permis à ce cochon d'assister à mes obsèques ? Mon cri raisonne dans mon for intérieur, mais personne ne m'entend. Je vois entrer ma sœur Rachida, tenant dans les bras son nourrisson qui se met à pleurer à tue tête. Elle tente de le calmer en lui parlant d'une voix de bébé :
- "Allez, tais-toi Mouhanned… Le nom de Dieu protège mon enfant. Assez papa, assez. Nous allons vite pardonner à tonton Mejda puis sortir aussitôt" !
"Bbé" Sabriya jette un regard accusateur à Rachida qui sort le sein et le met dans la bouche de son bébé. Ce dernier s'occupe à téter et se tait. Mais que fait ce caméraman ? Il est fou. Il ne rate pas l'occasion de serrer le cadre sur le sein de ma sœur. Quant à moi, je me concentre entièrement sur ces éclats de rire qui retentissent en mon for intérieur : le neveu de Mohamed Lamjed Brikcha s'appelle Mohanned, exactement comme le type du feuilleton turc qu'on nous passe chaque soir à la salle de télé. Dieu merci, je suis mort avant qu'il ne soit devenu grand ! Autrement, je devrais m'habituer à l'appeler ainsi. Mais ce qui est encore plus aberrant que ce prénom, ce sont cet étrange foulard sur la tête de Rachida, mi-cache-cheveux mi-tchador persan, et cette barbe encore indécise de son mari, Aïadi Touhami, qui avance derrière elle. Une barbe qui me rappelle les novices du groupe de "l'argent du pétrole". Je vois bien que personne ne m'entend, mais n'empêche ! Je me tais. Dieu protège Beb-Tounès, c'est tout ce que je peux dire !
Après mon beau frère, c'est au tour de Carla Piccolo d'entrer, poussant une chaise roulante. Et c'est inexplicablement maman qui est assise dans cette chaise. En plus, son visage n'exprime aucune tristesse, comme si le mort n'avait aucun lien avec elle. Je ne pouvais pas croire que l'ire de Khadouja Jaïed contre moi puisse atteindre cette extrême limite. Mais pourquoi est-elle aidée par Carla Piccolo ? Si ce monde était sensé, c'aurait été plutôt au mari de Rachida de s'occuper d'elle et de pousser sa chaise roulante, non ! Mais il paraît que les étrangers sont plus humains et plus secourables que nous.
Enfin, le silence se fait total. Tout le monde se met respectueusement en rang, dans l'attente du signal de "Bbé" Sabryia, pour commencer la cérémonie du pardon. Mais voici que Radhia Bent Kahla s'amène en retard pour se joindre aux "Pardonnants". Ramenant son mari Néji Laâjel avec elle, elle lui chuchote à l'oreille et ne peut s'empêcher de ricaner.
Si le tournage d'un documentaire sur mes obsèques fait rire Madame Radhia, moi, je n'ai plus aucune envie de rire. Son arrivée me rappelle qu'Aïchoucha n'est pas là. Pourquoi Aïchoucha s'absente-t-elle de mes obsèques ? Et pourquoi ne m'emmène-t-elle pas ma fille Mayara ?
"Bbé" Sabriya non plus n'a pas envie de rire. La voilà qui interpelle Radhia Bent Kahla :
- C'est impoli, Radhia, c'est irrespectueux. La caméra tourne. Et c'est là un document qui va rester pour l'Histoire. Que dira de nous l'Histoire, ma chère, en te voyant ricaner ainsi ?

Mais, il a un effet magique, paraît-il, ce mot "Histoire" que "Bbé" Sabriya vient de prononcer! Il vient de transformer son film documentaire en de véritables obsèques dans la réalité. Avant que l'on permette à qui que ce soit de s'approcher de moi, mon rêve se transforme en un cauchemar. Plus de caméras, plus de projecteurs, plus aucun des gars du club vidéo. Au lieu de tout cela, notre chicane se transforme en une grotte punique. Celle, précisément, où on m'avait organisé un procès lors d'un précédent cauchemar. Mon lavoir de dépouille est maintenant encerclé par tous ces gens qui m'attaquaient avec leurs couteaux tirés.
Et, soudain, un homme envahit la grotte. Venu du fond des vagues, il dit qu'il est huissier notaire et qu'il vient de l'année 2027. Et le voici qui s'écrie :
- Arrêtez tout. La cérémonie du pardon ne pourra commencer que lorsque j'aurais résolu le problème de cette boussole, en présence de tous.
"Bbé" Sabriya tente de lui répondre mais se retrouve muette comme avant et ne peut sortir un seul mot. L'huissier notaire ouvre alors son cartable, en sort un papier qu'il présente comme un Procès verbal d'attribution de don, demande à tout le monde d'observer le silence et commence à lire :
- Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux,
Le 6 mars 2027, Nous, soussigné, Maître K. O. T., huissier notaire à Beb-Tounes, chargé par Maître Ch. B. M., avocate de feu l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha, d'accomplir la présente mission auprès de Mademoiselle Mayara Mansoura, Née le 6 mars 2007, habitant à la cité El Omrane Avenir Numéro (……) Appartement (……), fille d'Ameur Ben Mohamed Salah ben Othman Mansoura dit Ameur El-Bintou, et d'Aïchoucha Bent Néji Laâjel, comme le stipule sa carte d'identité nationale numéro (…..).
Attendu que nous nous sommes rendus à l'adresse indiquée, que nous y avons trouvé l'intéressée en personne et que nous lui avons expliqué la teneur de notre mission et demandé de répondre à nos questions ayant trait à son entrée en possession des trois biens, objet du don à lui légué par le défunt Mohamed Lamjed Brikcha.
Nous lui avons posé les questions et enregistré ses réponses comme suit :
Primo : Concernant la maison de la famille Brikcha, sise à la rue Beb-Tounes, Impasse Brikcha, Numéro 2, dont la propriété est revenue au donateur par les voies légales comme attesté par le titre bleu délivré par la direction de la propriété foncière en date du (…...) sous le numéro (…….). Nous avons demandé à mademoiselle Mayara El-Bintou si elle acceptait ce don de la part du défunt Mohamed Lamjed Brikcha. Elle a répondu qu'elle l'acceptait volontiers. Suite à quoi, nous lui avons remis les clés du local et l'attestation lui permettant le transfert de propriété en son nom et elle a signé l'accusé de réception à l'endroit prévu à cet effet dans le brouillon du présent PV.
Secundo : Concernant l'enveloppe scellée, contenant des résultats d'analyses médicales du donateur, que l'avocate du défunt avait retirée auprès du laboratoire d'analyses génétiques de l'institut Pasteur de Tunis, suite à la décision du tribunal d'arrêter les poursuites dans l'affaire ayant nécessité l'analyse. Nous avons expliqué à mademoiselle Mayara El-Bintou que cette enveloppe a été conservée scellée, telle qu'elle l'était le jour de son retrait du laboratoire. Et ce, conformément au vœu du donateur qui s'était, lui-même, interdit de prendre connaissance des résultats, afin que personne n'en soit informé avant qu'elle ne prenne, elle-même, possession de l'enveloppe, le jour de sa majorité légale. Nous lui avons, ensuite, demandé si elle acceptait de recevoir ce don de la part du défunt Mohamed Lamjed Brikcha. Ayant déclaré qu'elle l'acceptait avec la plus grande satisfaction, nous lui avons remis l'enveloppe en question. Mais avant d'apposer sa signature en guise d'accusé de réception, elle a tenu à ce que nous soyons témoin du sort qu'elle avait réservé à ce bien légué et que nous consignions notre témoignage dans le présent document afin que l'opération s'accomplisse dans l'entière transparence.
En conséquence, nous certifions, conformément à ce que nous permet notre fonction, que, dès réception de l'enveloppe et sans l'ouvrir, mademoiselle Mayara El-Bintou y a mis le feu, en notre présence, jusqu'à son entière carbonisation.
Tertio : Concernant la boussole héritée de son oncle Maternel feu Nasser Jaïed, par le donateur. Nous avons informé mademoiselle Mayara El-Bintou des efforts intenses fournis, à la demande du donateur, par son avocate, afin de retrouver cet objet précieux qui avait été égaré. Nous lui avons expliqué à quel point le défunt tenait à ce que la boussole lui soit confiée à elle en particulier et à ce qu'elle la conserve soigneusement et la transmette à sa descendance. A notre question de savoir si elle acceptait ce don de la part du défunt Mohamed Lamjed Brikcha, mademoiselle Mayara El-Bintou s'est excusée affirmant n'avoir aucun besoin de boussole et refusant de signer l'accusé de réception.
En conséquence et attendu que j'ai recherché maître Ch. B. M. et qu'on m'a informé qu'elle était partie vivre en exil sur le continent américain, j'ai dû, conformément à la loi et comme me le permettent les nouvelles technologies, effectuer le voyage vers le mois de mars de l'année 2009, au moment où se tenaient les obsèques du défunt Mohamed Lamjed Briukcha, afin d'en arrêter le cours et de ne permettre l'inhumation du donateur qu'après qu'il m'ait répondu à la question suivante :
Que dois-je faire dans le cas où Mademoiselle Mayara El-Bintou refuse de réceptionner la boussole ?
Des cris d'une femme appelant au secours interrompent mon cauchemar, me sauvant d'un arrêt cardiaque certain. Ce serait peut-être ma sœur Rachida qui est en train de crier. Mais si j'ai comme l'impression d'être conscient que je suis toujours en vie et de me trouver dans le jardin du Château-Forteresse, je ne sens pas moins tous mes membres endurcis, comme pendant le cauchemar. Aussi n'ai-je d'autre choix que de m'abandonner aux trois infirmiers venus m'emmener d'urgence à la salle de l'électricité…

*****

Pas finis les cauchemars.
Un cauchemar en amène un autre pour aboutir à un troisième. Mais il était bien temps que mon agitation prenne fin et qu'on me permette de sortir à nouveau dans le jardin. Il était bien temps que je m'habitue à la résidence que je me suis choisie pour passer la fin de ma vie, que mon papillon revienne me tenir compagnie et que je rêve à nouveau de fleurs sans que l'horizon ne s'obscurcisse en fin de parcours.
… Assis, seul dans le grand jardin du Château-Forteresse. Une journée ensoleillée. L'hiver tire à sa fin sans que le printemps n'arrive à imposer sa présence. Les amandiers à ma droite, les abricotiers à ma gauche, tous déjà en fleurs, s'attirent les faveurs de mon papillon qui se promène entre les pétales blancs et roses, transportant entre les fleurs les aveux d'ivresse de leur nouvelle renaissance. Assis, seul dans le grand jardin du Château-Forteresse, je rêve de mon avocate.
Le rêve est plus parfumé que toutes les fleurs, plus beau que tous les printemps. C'est le premier rêve éveillé où je renonce à mon silence, mais sans prononcer un seul mot. Mon avocate s'approche de mon banc et, sans introduction, me chuchote à l'oreille : "Sofiène te passe le bonjour". Puis elle ouvre son sac à main où j'aperçois la boussole de Sidinna !
Oui ! La boussole !
Oui ! Le bonjour de Sofiène Jéridi qui traverse les distances, qui traverse les murs du Château-Forteresse et qui arrive jusqu'à moi !
Oui ! J'étais certain, depuis le début, que mon avocate me croyait, lorsque je lui racontais mes rêves et les détails de mon périple. Elle croyait en l'existence de la boussole de Sidinna et croyait que je l'avais perdue. Et de mon côté, j'étais sûr qu'elle allait la retrouver quelque soit le temps que dureraient ses recherches. Et pourtant, à la vue de la boussole qui brille dans son sac à main, mon cœur manque de peu de sortir de ma poitrine, tant ma joie est forte.
Je suis à deux doigts de perdre ma concentration sur mon rôle et d'égarer définitivement la trace du vol de mon papillon. Mais je me ressaisis in extrémis. Je prends la main de mon avocate et nous nous éloignons des regards des patients. Nous nous arrêtons à côté d'un tout jeune amandier. Je tire doucement une branche fleurie, l'approche d'elle pour qu'elle comprenne bien mon intention. Puis je tends la main vers son sac à main comme pour prendre la boussole. Elle me laisse faire et ouvre son sac à main pour m'aider. Mais j'y prends plutôt un stylo et j'écris sur la paume de sa main : "cadeau de son vingtième anniversaire. Qui sait ?". Puis je referme ses doigts sur ce que le stylo vient de marquer, referme son sac à main sur la boussole de Sidinna et m'attarde à la regarder droit dans les yeux, jusqu'à ce qu'elle voie mes yeux comme elle ne les avait jamais vus briller. Je lui serre longuement la main, dans un silence plein de toute ma reconnaissance.
Nous restons ainsi silencieux, jusqu'à ce qu'une larme lui coule sur la joue. Une larme qui me dit que mon avocate a percé en profondeur tout mon secret et assimilé totalement mon message. Une larme qui représente à la fois sa promesse et ses adieux.


Elle se retourne tout de suite pour partir, me laissant entouré de mes amandiers, suivant du regard le vol de mon papillon, entre les fleurs d'un printemps qui semble encore vouloir tarder à venir.


Le Haïkuteur


Fin du roman / El Ghazala 06 mars 2009


Fin de mon année sur les ailes du récit. Vous êtes cordialement invités à la table ronde qui lui est consacrée au CC Tahah Haddad à la Médina de Tunis.


jeudi 26 février 2009

La Boussole de Sidinna / 22 L'appel de la neige

Mon année sur les ailes du récit (52/53) La Boussole de Sidinna (22/23) – 27 février 2009


Chemin troisième :

Pleine, ma lune

Orientation quatrième :

L'appel de la neige
" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Le présent document est un message posté par Sofiène Jeridi dans la boîte aux lettres de maître Ch. B. M., avocate de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha, le matin du vendredi 27 février 2009.


Chère amie, bonjour,
Je t'écris ces quelques lignes du café "Le Fénec", en face de la station de bus, à l'entrée de votre cité. Je le fais après avoir réalisé que l'enveloppe que je t'apportais était trop épaisse pour être introduite dans la fente de ta boîte aux lettres. Le numéro de téléphone portable, en haut de la page, est celui de Linda. Appelle-là et elle te donnera l'enveloppe cartonnée dont j'ai tenu à renforcer la fermeture avec du ruban adhésif.
Linda est une étudiante de la famille. Elle et son fiancé sont avec moi. Ils me raccompagnent dans la voiture de ce dernier. Elle ne connaît pas le contenu de l'enveloppe. Elle sait seulement qu'il s'agit d'un objet d'une grande valeur sentimentale pour nous deux et qu'il faut qu'elle la garde précieusement jusqu'à ce que tu viennes la récupérer. Cependant, elle a de notre relation une petite idée que j'ai fait circuler dans la famille, dès le premier jour, pour brouiller les pistes. Alors je te prie de m'excuser si sa curiosité la pousse à te poser des questions embarrassantes. Je tiens à ce que tu lui donnes des réponses vagues du genre: "tout est affaire de Mektoub" !
Car tout est effectivement affaire de Mektoub. Et si je n'avais pas l'intention d'exécuter le projet dont je vais t'informer ci-dessous, j'aurais certainement abordé, depuis le premier café du matin que nous avons pris ensemble à Gafsa, la question que, si j'ai bien compris, tu t'attendais à ce que j'évoque avec toi. Mais qui sait, mon amie ? La terre est devenue moins grosse qu'une orange et, la correspondance aidant, nous pourrions évoquer tous les sujets que, pour de multiples raisons, nous n'avons pas encore osé franchement aborder. Toujours faut-il, bien évidemment, que l'appel des vastes horizons te tente comme c'est le cas pour moi.
Pas encore déçue, j'espère ! Tu croyais avoir affaire à un homme solide, transparent, maitrisant bien son destin et sachant parfaitement ce qu'il voulait. Et te voilà en présence d'un être énigmatique et qui ne semble pas aller droit au but. Mais patience, mon amie !
Tu m'en voudras peut-être de ne t'avoir pas informée de mon projet de venir à la capitale, de n'avoir pas cherché à te rencontrer, puisque j'y suis et de ne t'avoir même pas appelée au téléphone pour entendre ta voix. Tu peux prendre cela pour de la lâcheté de ma part. Car mon vrai problème c'est que je suis effectivement un peu lâche. Mais je compte désormais combattre cette lâcheté et m'en racheter à tes yeux dans les jours qui viennent. J'ai reçu ton SMS avec ton adresse email et je vais m'en servir dès cet après-midi pour commencer à tout t'expliquer. Cependant, si tu avais une seule raison pour m'en vouloir plus, ce serait parce que, lors de notre rencontre à Gafsa, comme dans nos communications téléphoniques, je t'ai caché quelques vérités et en ai maquillé bien d'autres.
Mea culpa, mon amie ! Je suis certain que tu vas comprendre mon attitude et me la pardonner. A chacun ses raisons. Je t'expliquerai les miennes et je répondrai par écrit, clairement et dans le détail, à toutes les questions que tu m'as posées ainsi qu'à celles que tu n'as pas encore osé aborder. Seulement, n'oublie pas que tu m'as promis de n'utiliser des informations que je vais te fournir que celles qui serviraient la cause de Mohamed Lamjed Brikcha.


A propos de lui, puisque tu vas incessamment lui rendre visite dans sa prison, salue-le de ma part. Dis lui que si, malheureusement, je n'ai ni assez de courage ni une quelconque qualité me permettant de demander à le voir, je ne suis pas moins fier d'avoir été à la hauteur de la confiance qu'il a placée en moi. Ceci dit, je voudrais que tu n'établisses aucun lien de cause à effet entre l'affaire Brikcha et l'information que je tarde encore à te donner, ni entre cette information et le fait que j'aie accepté de m'entretenir avec toi lors de ta venue à Gafsa ; surtout lors de notre longue rencontre, cet après-midi là, au café d'Oued El-Bey, alors qu'il regorgeait d'avocats venus de la capitale pour le procès, ainsi que d'informateurs guettant tout ce qui s'y passait.
Je veux que tu saches que tu n'es en rien coupable de ce qui m'arrive et que notre rencontre n'a été d'aucun effet sur ma situation professionnelle, ni sur ma prise de décision dans le sens que j'ai finalement choisi. Mais, parfois, les événements s'accélèrent autour de nous, de façon à changer radicalement le cours de notre vie en quelques mois, voire en quelques semaines. Et notre rencontre n'a été que l'un de ces événements qui sont, dans de pareilles circonstances, provoqués par cette accélération du rythme de la vie ou qui s'intègrent naturellement dans le cours de ce rythme au point de paraître à l'origine de son accélération. Car ma décision d'engager dans ce sens le cours de ma vie, se préparait à feu doux depuis assez longtemps.
Je vais te paraître un peu compliqué, mais, sous le choc de certaines pratiques que j'ai trouvées aberrantes, j'ai décidé de tisser ma toile dans le silence absolu et de n'en faire la confidence à personne. Hier après-midi encore, j'étais au bureau comme s'il n'allait rien se passer. Ce matin, personne ne m'a encore téléphoné, mais je suppose qu'ils me croient malade. Ce sera un abandon de poste en bonne et due forme. Même ma sœur ne sait pas où je suis ni où je vais. Elle l'apprendra par une lettre qui lui sera transmise par Linda à son retour, demain, à Redayef.
Tu n'en as rien remarqué, mon amie, mais je me sentais étouffé là où j'étais. C'est que j'ai découvert, depuis que j'ai rejoins l'administration, à quel point j'étais naïf dans mon approche du travail, des relations professionnelles, de l'action sur le terrain ainsi que de la vie en général. J'ai constaté mon incapacité organique à faire quoi que ce soit. Non pour influer sur le cours des événements ou les orienter dans une direction que je crois meilleure. Car ce rêve, j'ai appris à l'enterrer depuis le premier jour. Mais juste pour m'élever au dessus de cette hypocrisie généralisée qui me cause la fièvre en alimentant la plaie un peu plus chaque jour, dans le seul but de conserver de maigres avantages sans aucune substance.
Voilà, mon amie, pourquoi il m'était devenu urgent de respirer une bouffée d'air frais, d'air froid, d'air glacial, s'il le faut. J'ai soudain été pris par une sorte d'obsession de changer radicalement le cours de ma vie tant qu'il était encore temps. Et j'ai commencé à y travailler sérieusement depuis l'été dernier. Ta venue à Gafsa aurait pu me pousser à renoncer, à la dernière minute. Mais je crois avoir été assez sage, ou assez malchanceux, pour mener mon plan à son terme, comme si je ne t'avais pas rencontrée, et reprendre à zéro notre relation par correspondance.
A toi d'appeler mon acte fou comme il te plaira. Considère-le comme un simple revers de la médaille de mon éternelle lâcheté, comme une soumission aux lois du marché de l'hémorragie des compétences, ou même comme une "Harga" par air qui ne tombe pas sous le coup de la loi. Mais au moment où tu trouveras ce message dans ta boîte aux lettres, mon avion aura déjà décollé en direction de Londres d'où je gagnerai Montréal ce soir même. Je vais y passer deux ans, au cours desquels je vais réfléchir sérieusement à mon avenir et me fixer définitivement un chemin à suivre. Et je ne te cache pas qu'il y a de fortes chances pour que je décide de m'y installer définitivement.
Voici, mon amie, un premier jet des confidences que je me suis promis de te faire en raison de notre attirance mutuelle apparente et de ce qui me semble être une convergence de vues sur l'essentiel. Ce message aurait pu faire l'objet de l'email que je t'aurais envoyé ce soir même. Mais les circonstances ont voulu que je te l'écrive sur du papier, acheté dans la librairie de votre quartier. J'aurais pu t'écrire encore plus, mais Linda et son fiancé commencent à s'impatienter et je vais être en retard pour mon avion.


Alors voici mon email. Peut-être recevrais-je, ce soir même, ta réponse, avant que je ne quitte l'aéroport de Londres Heathrow, d'où mon avion décollera à 19h05.
Toute mon amitié et beaucoup plus si tu es prenante.
Sofiène Jéridi
sofianova-tn@hotmail.com


Le Haïkuteur …/… à suivre

jeudi 19 février 2009

La Boussole de Sidinna / 21 Le cercle de l'âne et du papillon

Mon année sur les ailes du récit (51/53) La Boussole de Sidinna (21/23) – 20 février 2009


Chemin troisième :

Pleine, ma lune

Orientation troisième :

Le cercle de l'âne et du papillon

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Que voulaient-ils que j'avoue ?
Que voulaient-ils que je leur dise ?


C'est clair, c'est la logique même, que je n'ai pas fermé les yeux sur la dune de sable au Sahara pour les rouvrir aussitôt devant la mosquée El Qadriya au Kef. Mais ce qu'ils voulaient, c'est que j'avoue avoir connaissance d'autres faits qui se sont passés entre temps et les leur avoir délibérément cachés tout au long de l'instruction. Ils voulaient que je déclare avoir traversé le bassin minier, au cours de mon périple, que j'avais alors recouvré toute ma conscience, sachant parfaitement distinguer le Nord du sud et le lever du coucher, qu'en arrivant à Redeyef, j'avais trouvé la ville tel un volcan en éruption et que je comprenait parfaitement, vue ma longue expérience du chômage, de la pauvreté et des horizons obstrués, tous ces chants que les foules scandaient.
Et puis quoi encore ?
Aurais-je dû leur dire aussi que j'aurais pu, moi-même, me joindre à ces gens en colère pour chanter tous leurs chants, si je n'avais pas été occupé à chercher celui qui voudrait bien recevoir de moi la boussole de Sidinna, ou me rapprocher quelques kilomètres de Tazoghrane ? Ou bien s'attendaient-ils à ce que je leur vende la peau de Sofiène Jéridi, leur avouant qu'il m'avait bien reconnu, comme si nous avions gardé le contact après son départ de l'université, et qu'il m'avait sauvé d'une mort certaine en m'hébergeant jusqu'à ma guérison ?
Que voulaient-ils que je leur dise ?
Je n'ai pas menti en leur disant que j'avais oublié ou que j’étais passé comme dans une sorte de trou noir, qui se présente aujourd'hui comme une page complètement effacée de ma mémoire. Je n'avais pas peur, non plus, de leur divulguer en détail toute la vérité me concernant. Qu'est ce qu'ils m'auraient fait de plus que ce qui m'est déjà arrivé ? Et quelle différence y aurait-il entre la prison à laquelle ils me destinaient et les cachots du silence dans lesquels je me suis volontairement réfugié ?
Je ne mentais pas, mais j'ai vu se réveiller en Sofiène sa bravoure le jour où il a vu ces énergumènes me tabasser avec leurs gros bâtons. Ce jour là, il avait fait le choix de ne pas reculer devant mon appel au secours, en dépit de son engagement politique et des aptitudes qu'il connaissait à ses détracteurs de travestir la réalité pour transformer le fait de secourir un innocent en une enfreinte au devoir de discipline et en un ralliement à la cause de l'adversaire.
Voici un homme auquel je suis redevable de ce qui me reste à vivre. Comment donc ne pas répondre à la bravoure par la moindre des bravoures ? Comment dévoiler le secret de mon bienfaiteur, risquant de compromettre son avenir ?
J'ai peut-être prononcé, par erreur ou par précipitation, le nom de Sofiène Jeridi ou celui de Karim Aouled Belâaifi, alors que je tentais de me rappeler les conditions dans lesquelles j'avais rencontré Bochra Toukebri. Mais j'ai réussi à ne rien dire à propos de la maison de la sœur de Sofiène à Redéyef, ni de l'atelier de son neveu au quartier d'Oued El-Bey, ni encore de son ami médecin qui a passé plus d'une semaine à m'y rendre visite pour me soigner jusqu'à ma guérison, ni surtout de cette nuit au cours de laquelle Sofiène avait organisé ma fuite de Gafsa vers Kasserine, de peur qu'on découvre ma présence chez lui, après que certains m'aient entendu chanter et lui aient dénoncé son neveu qui aurait, prétendaient-ils, passé toute la nuit à se souler dans son atelier en compagnie de jeunes chômeurs qui, avec leurs chants liturgiques, auraient empêché les voisins de dormir.

*****

Je ne me souviens pas exactement qui l'avait dit à propos de moi, lorsque j'étais enfant, mais je ne suis ni débile ni naïf et je sais exactement où Satan cache ses œufs avant leur éclosion. C'est moi qui ai planifié de venir ici. Se trompe alors complètement, celui qui me croit distrait ou qui croit m'avoir roulé ou entrainé là où je ne voulais pas aller. Je suis un enfant du Rbat, moi. Et ces médecins ignorent ce que ça veut dire qu'être un enfant du Rbat et plus particulièrement un enfant de Beb-Tounes ! Ils disent que c'est moi qui me suis laissé choir dans la maladie et que l'origine de mon mal vient du fait que je me sois tellement laissé prendre au jeu du fou que je faisais semblant d'être, que je le suis effectivement devenu. Mais n'est-ce pas exactement ce que je voulais leur suggérer de dire à propos de moi ? Leur reconnaissance de ma folie n'est-elle pas la preuve que je suis plus intelligent qu'eux, qu'ils sont tous tombé dans mon piège et que celui qui va pouvoir percer mon secret serait à naître d'une mère encore trop jeune pour tomber enceinte ?
Je suis encore sain et sauf, à part ce mal de tête de temps à autre en raison de ce coup que j'ai reçu sur la tête en ce jour maudit. C'est ce qu'ils n'ont pas compris et c'est ce que je ne reconnaitrais jamais, même pas sous forme de confidences aux médecins du Château-Forteresse. Depuis que j'ai décidé d'observer définitivement une abstinence de parler, je leur ai porté à tous le coup fatal. J'ai usé du silence comme d'une arme et c'est, entre toutes, l'arme la plus redoutable. Le jeu consiste tout simplement à me taire comme si je n'entendais pas ce qu'ils disent, à détendre complètement les muscles du visage de façon à ce que personne ne puisse y lire la moindre expression, à laisser flétrir mes paupières pour paraître affligé et à regarder au loin de temps à autre, pour suivre le vol de mon papillon. Et le tour est joué ! Ils sont tous tombés dans le piège croyant que je suis fou. Et me voici toujours en train de rêver sans qu'ils ne puissent m'empêcher de planer à ma guise hors de leur lieu et loin de leur temps.
Grâce à mon silence, je suis venu à bout des agents de l'instruction qui ont abandonné la partie. Grâce à mon silence, j'ai arraché mon transfert de la prison à ce Château, sans rien demander à personne. Une piqure le matin et trois comprimés à avaler avec les repas en cours de journée. Voici tout ce que j'ai à payer en contre partie de mon séjour dans ce château-forteresse. Chaque jour, je sors dans ce vaste jardin, y promenant librement une imagination naviguant dans le royaume des cieux et y suivant des yeux mon papillon, compagnon de ma solitude, qui, volant de branche en branche, attend avec moi le printemps, rêve de fleurs et voltige avec les nuages, dans les hauteurs de l'horizon lointain.

*****

Que voulaient-ils que je leur dise ?
Que voulaient-ils que je leur avoue ?


S'ils étaient intelligents, ils auraient chargé l'un d'eux de descendre dans mon zodiaque pour vérifier si je leur disais la vérité. Ils se seraient rendus compte, alors, en touchant simplement le moteur, qu'il était encore chaud et que je ne l'avais arrêté qu'en voyant venir sur moi leur vedette à un mile ou moins. Mais le fait que j'avais fait semblant de ne pas les voir, de m'être totalement concentré sur ma chanson "Ya gamret ellil" et d'avoir ensuite suivi leurs instructions lorsqu'ils m'ont jeté leur corde, me demandant d'attacher mon zodiaque à leur vedette… Tout cela a fait qu'ils ne sont arrivés à leur port d'attache qu'une fois mon moteur refroidi. Je pouvais alors prétendre tout ce que je voulais sans qu'ils n'aient la moindre preuve de mon mensonge.
Je n'ai pas menti en disant que je n'ai jamais pensé à la "Harga". Je n'ai pas menti, mais toute personne à ma place aurait saisi une pareille occasion et aurait salivé à l'idée d'atteindre l'horizon. Car toutes les conditions étaient réunies pour m'offrir dans mon éveil ce qui était hors de portée de milliers de mes semblables, même dans le rêve : une expérience du pilotage des zodiaques, une nuit de pleine lune, une visibilité impeccable, une mer calme et une embarcation prête à partir, n'attendant de moi que de sortir de ma grotte punique et de faire quelques pas avant de me jeter dans le zodiaque, de démarrer, puis de suivre l'étoile du Nord.
Je n'ai jamais pensé à la "Harga", moi. Mais mon papillon s'était installé dans le zodiaque avant moi et n'a pas voulu en descendre. Et puis, lorsque j'ai fait logiquement le calcul, j'ai trouvé qu'une tentative de passer clandestinement les frontières sur un zodiaque pour moi tout seul, comportait moins de risque que de rester là où j'étais et où le gardien aurait pu me découvrir, le propriétaire de l'âne et sa bande auraient pu me rattraper et me faire ce qu'ils avaient menacé de faire et même le toit de la grotte aurait pu s'écrouler sur ma tête me réservant une mort sous l'eau et les décombres en même temps.

*****

Seul, debout, en dépit du froid glacial, au centre du jardin du Château-Forteresse. Je suis des yeux mon papillon qui s'accroche à la racine d'une herbe, colle au sol et ne veut s'en détacher. Je tente de lever les yeux vers le ciel espérant que mon papillon suive ma volonté de planer. Mais il demeure collé au sol, refusant de voler. Mon regard est alors obligé de se rabaisser pour ne pas perdre sa trace.
Parfois, je me demande, lorsque la piqure me fait mal ou que je n'arrive pas à avaler une pilule dont le gout amer se répand sur ma langue avant que je n'arrive à l'ingurgiter, je me demande si ma folie est un pur mensonge, comme je le pense, ou si elle est quelque part une réalité. Et dans l'hypothèse improbable qu'elle serait un peu réelle, où peut-elle bien trouver son origine ? M'a-t-elle atteint parce que j'ai perdu la boussole de Sidinna ? M'a-t-elle atteint parce que, comme le prétend ma sœur Rachida, cette boussole ne serait, à l'origine, qu'une chimère, une de mes inventions, à laquelle j'aurais ensuite cru ? Ou bien, serait-ce en raison de mes disputes avec Khadouja Jaïed qui continue à m'en vouloir et avec Sawana qui m'a complètement lâché ? Ou bien, serait-ce le manque d'Aïchoucha qui ne vient même plus me rendre visite dans mes rêves ?
Parfois, il me semble que, si j'ai ne serait-ce qu'une graine de folie, elle n'aurait rien de tel pour origine. Ce serait plutôt mon manque de courage pour poursuivre la recherche dans le sable profond du septième caillou de silex, celui que Moqaddem Abdel-Hafidh m'avait extrait du cerveau. Le rêve était clairement une vision qui annonçait tout le bien du monde. Je comprenais presque toute sa signification, sans besoin de l'interprétation de Khadouja Jaïed.
Le rêve était vision, mais c'est ma lâcheté qui l'a transformé en cauchemar.


… Seul sur la côte de Haouariya, je cours avec le sentiment enivrant d'avoir réussi à sauver ma peau. Je cours, tout confiant dans la chance qui s'est désormais faite mon alliée. Même la plage rocheuse a commencé à se transformer, sous mes pas, en sable fin, rappelant la plage de Qarraiya. Et soudain je vois le septième petit caillou de silex. Il brille à une petite distance de moi. Je le dépasse un peu. J'aurais pu m'arrêter de courir et revenir, tout calmement, le ramasser. Mais je me rappelle que les agents du propriétaire de l'âne voulaient toujours me rattraper. Alors je me retourne et plonge précipitamment sur le caillou. Mais je tombe tout juste à coté, le couvrant de sable. Déçu, je commence à remuer le sable dans tous les sens. Et, lorsque je vois arriver ces barbares du coté de la colline, courant dans ma direction comme une vague déchainée, le désespoir me gagne et, arrêtant de chercher, je reprends ma course pour leur échapper à nouveau. Mais, fini le sable fin sur cette plage. Le rêve se transforme en cauchemar et la côte redevient rocheuse, ensanglantant mes pieds nus.

*****

Assis, seul sur mon lit, je regarde à travers la fenêtre de la salle. Tous les patients sont endormis. La lumière de la lune caresse les arbres du jardin du Château-Forteresse, eux aussi endormis. Assis, seul sur mon lit. Le sommeil se refuse à moi et les souvenirs abondent dans ma mémoire.
… Pour arriver à Tazoghrane, des jeunes m'ont indiqué le chemin de Baddar. C'est un chemin long et tortueux. Et c'est là que j'ai rencontré mon compagnon. C'est là que mon papillon bienaimé a fusé d'une haie de cactus et a commencé à papillonner autour de moi, me devançant parfois pour s'arrêter ensuite et m'attendre. Je me mets à observer son vol, conscient du fait que la présence d'un papillon en plein hiver constitue un événement exceptionnel. Quelque chose, dans ses battements d'ailes, me dit qu'il n'existe que pour moi et qu'il vole, justement, pour moi. Alors je le suis, m'attardant avec lui à chaque fois qu'il s'arrête et revenant sur mes pas à chaque fois qu'il lui prend de rebrousser chemin. Et la route vers Tazoghrane de se rallonger indéfiniment.
Je continue à suivre mon papillon. Nous-nous éloignons de Menzel Bouzelfa et nous voici à l'entrée d'une ferme. Un homme vient me proposer de me joindre à ses ouvriers pour la cueillette des oranges. Et le papillon de me précéder, sans préavis, à l'intérieur de la ferme. Je ne refuse ni n'accepte la proposition. Seulement, je suis mon papillon qui va se poser sur une branche de laquelle pend une grappe d'oranges. Oui ! Une grappe de "Meski", rappelant la forme de celle du raisin, mais avec des graines un peu plus grandes que les oranges ordinaires. Je reste deux heures ou plus à admirer cette grappe. Mon papillon n'arrête pas de roder autour d'elle, papillonnant et se posant sur les touches de lumière appliquées par les rayons du soleil sur chacune de ses oranges. Le propriétaire de la ferme finit par s'apercevoir que je n'avais cueilli aucune orange. Il m'observe un moment, les yeux écarquillés devant ma concentration sur cette grappe en particulier, puis il la coupe, me l'offre et me renvoie aussitôt. Et mon papillon de sortir avec moi de la ferme. Je l'entends presque qui rigole d'un rire complice. Alors je me mets à rire aux éclats à mon tour.


… Quelque chose, dans le soleil de ce jour là, a de quoi couper le crane en dépit du froid sévère. C'est que ma tête commence à me faire mal et que je me sens fatigué d'avoir trop marché. C'est la raison pour laquelle, dès que je me fais rattraper par un vieil homme à dos d'âne, je l'arrête et le supplie de me faire monter derrière lui, ne serait-ce que pour quelques mètres. A mon étonnement, il descend et me laisse l'âne en disant :
- Je suis arrivé, fiston, l'âne est à toi. Monte et, dès que tu es arrivé, dis lui de revenir et il reviendra tout seul.
- Vous êtes bon, monsieur, lui dis-je. Mais ne craignez-vous pas que je vous le vole ?
- Vous ne le pourrez, me dit-il ! C'est un âne voué. Et les ânes voués, nous les utilisons et les laissons revenir à leurs besognes. Cet âne m'a été laissé comme je vous le laisse à l'instant. J'étais fatigué. J'ai demandé à un jeune de ton âge de me faire monter derrière lui. Mais il est descendu et m'a dit exactement ce que je viens de te dire.
… Se peut-il que tout cela ne soit que le fruit du hasard ? Je commence à douter que je rêve. Mais je suis tellement fatigué que je n'ai aucune envie de me réveiller. Je monte, l'âne démarre et je me vois emporté par le sommeil. Mon rêve de l'âne s'imbriquant dans mes rêves à dos d'âne, je n'ouvre les yeux que pour constater que l'animal s'arrête tout prêt d'une construction abandonnée au beau milieu d'un champ de blé. Le soleil est sur le point de se coucher et je pense que cette pièce pourrait servir d'abri où passer ma nuit et que je verrais par la suite comment faire. C'est alors qu'apparaît à côté de moi un homme me demandant s'il peut monter avec moi pour quelque distance. Alors je lui dis ce que m'a dit le vieil homme, je descend et lui laisse l'animal. Sans dire un mot, l'homme monte et s'en va dans la direction par laquelle je suis arrivé.

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Rêves, souvenirs, souvenir de rêves…
… Les nuits s'éternisent dans ce Château-Forteresse, les insomnies aussi. La route vers Tazoghrane se rallonge, tournant en spirale au tour des montagnes, pour revenir au point de départ sans que je ne puisse jamais atteindre mon village rouge. Les nuits se multiplient et se ressemblent. Je dors un soir sous un pont, un autre dans un hangar abandonné. Qu'elles sont nombreuses, les bâtisses en ruine, sur ces collines verdoyantes ! Je dors pour me réveiller sur les papillonnements de mon compagnon qui me réveille et me précède. A peine arrivés sur la grande route, que l'âne apparaît. Et, lorsque je monte, mon papillon se met à s'agiter joyeusement autour de moi, comme pour me rappeler que tout départ doit aboutir à une arrivée et que le printemps doit inéluctablement venir à bout de cet hiver.


… La route se rallonge et la fatigue me gagne. Je sens que mon rêve se rallonge, lui aussi. Il s'alourdit, se complique et s'étire, alors que les battements de mon cœur épuisé par ce voyage m'appellent à me réveiller avant de mourir de toux et de fièvre. Je cris entre les montagnes : "pince-moi petite maman" ! Mais nul écho ne me parvient ! La nuit et le jour continuent à se relayer sur moi, alors que je suis toujours au même point du temps. C'est du moins ainsi que je le perçois. L'âne me porte en trottant toujours entre les mêmes collines. Je n'en descends que pour le laisser à un autre voyageur et je ne me réveille d'un nouveau sommeil que pour le retrouver. Mon papillon commence, lui aussi, à être fatigué, mais il demeure aussi fidèle, s'accrochant à moi comme mon ombre. Ou peut-être est-ce moi qui m'accroche à lui !
Rêves, souvenirs, souvenir de rêves… Bribes de rêves qui se suivent. Un âne les reliant entre-elles. Jusqu'à un coin de rêve où, enfin, je me retrouve face à la mer, la surplombant du haut d'une colline. Revoyant la surface de l'eau bleue, je manque de peu d'exploser de joie et de me mettre à chanter à tue tête ! Mais je prends tout de suite peur et me retourne. Une bande de durs, armés de gros bâtons, marchent derrière l'âne. Je presse la bête pour accélérer, mais ils pressent aussi leurs pas et continuent à marcher au rythme de l'âne avant de m'encercler de toute part. Ils me disent qu'ils sont les agents du propriétaire de l'âne, qu'ils se sont épuisés à me rechercher jusqu'à ce qu'ils m'aient enfin trouvé, que leur patron est décidé à me punir d'avoir volé son âne personnel et qu'ils doivent me mener à lui afin qu'il me fasse dans son lit ce qu'il fait d'habitude à sa femme.
… En vain, j'appelle Khadouja Jaïed pour qu'elle me pince et me réveille. En vain, je me débats entre leurs grosses mains sales, leur criant que je n'ai jamais rien volé... Et puis, je ne sais comment, me vient sur le bout de la langue la fameuse tirade "d'Abou Hourayra" de Messaâdi. Je leur dit : "Est-ce ainsi que le temps viole le vierge espoir ?" Et il me semble soudain revivre les événements du "Hadith du chien". Une vague de courage monte, alors, en moi et je leur lance : "Laissez-moi… Ô, plus bas que ravins… Plus faibles qu'esclaves… Plus vils que moustiques … Ô, enfants de l'Homme !"
J'ouvre les yeux. La nuit est silence autour de moi. Je suis dans une grotte punique située à même l'eau et dont le toit menace de s'écrouler sur ma tête. Je regarde à l'extérieur et vois une nuit de pleine lune et, à quelques pas de moi, un zodiaque pneumatique attaché par une corde à un rocher. Soudain mon papillon prend son envol, passe devant mes yeux et me précède joyeusement au zodiaque. Et les événements de s'accélérer. Je ne sais plus comment je me retrouve, à mon tour, dans le zodiaque, comment je démarre et m'éloigne de la terre ferme. Me retournant, je vois une vingtaine d'hommes, ou plus, sortant tous des grottes puniques où ils étaient cachés. Je les prends d'abord pour les agents du propriétaire de l'âne. Mais se peut-il qu'ils aient l'intention de "brûler" dans ce petit zodiaque qui ne peut contenir que difficilement cinq d'entre eux ?

L'essentiel c'est que la chance m'ait envoyé leur embarcation pour la mettre à ma seule disposition. Et, qui sait, peut-être les ai-je sauvés ainsi d'une mort certaine !

Le Haikuteur …/… à suivre