jeudi 14 août 2008

Crise de nerfs

Mon année sur les ailes du récit / texte 26/ 15 Août 2008

Crise de nerfs

Depuis toujours, Emna soupçonnait Anour d'avoir des relations extra conjugales. Elle le disait ou le laissait entendre à travers sa manie de fouiller dans ses affaires, de renifler ses habits, d'épier ses moindres faits et gestes et d'interpréter ses moindres réflexions.


Quant à lui, Il était dans la situation de ces hommes peu satisfaits de leur vie conjugale, mais soucieux, pour de multiples raisons, de préserver le couple. Il ne cessait de lui jurer qu'il n'avait qu'elle dans sa vie, qu'il lui était fidèle par principe plus que par obligation maritale et que, sachant qu'elle avait toujours des soupçons, seule une patience surhumaine pouvait maintenant l'empêcher de succomber à la tentation de la tromper réellement, ne serait-ce que par dépit !
Ce soir là, Anouar se rasa la barbe, prit une bonne douche et mit sa plus belle tenue, en vue d’une réunion de l'Association des Anciens Champions des Sports Individuels, où il devait veiller très tard. Leurs deux enfants étaient en colonie de vacances et, pour ne pas s'ennuyer, Emna avait prévu de passer la soirée avec Sara, sa meilleure amie, qui était déjà arrivée en voiture pour la chercher.
Tout à coup, Anouar reçut un appel téléphonique. Il parut fortement embarrassé en informant sa femme qu'il devait sortir de suite et qu'il lui expliquerait tout, plus tard. Pour elle, c'était clair qu'il allait à la rencontre de sa maîtresse, mais elle fit mine de n’avoir rien compris. Et Anouar de filer tout de suite en voiture, ne se doutant pas un instant que sa femme s'était préparée, de son coté, à toutes les éventualités. Aussi ne remarqua-t-il pas cette voiture qui s'était mise à le suivre de près. Il ignorait tout de cette véritable filature qui s'était aussitôt déclenchée, rappelant les péripéties des films policiers.
L'oreille rivée à son téléphone portable, la pauvre Emna était, bien évidemment, aux commandes de l'opération. Conduite par son amie Sara, elle suivait maintenant de loin, la voiture de son mari, aidée par les indications téléphoniques lui décrivant son itinéraire, à partir d'une troisième voiture.
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Emna ne tarda pas à s'aventurer dans l'une de ces cités précaires, sales et sans aucune infrastructure. Une cité dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Il faisait déjà noir et Emna, qui tremblait déjà à l'idée d'une simple crevaison, se confondait en excuses auprès de Sara de l'avoir amenée dans cet endroit inhospitalier.
Mais elle était encore plus triste de constater que sa rivale n'était qu'une fille des bidonvilles, ce qui l'enragea. Elle ne pensait plus qu'à coincer son mari indigne en flagrant délit. Elle ne lui ferait rien. Ce ne serait pas elle qui enverrait le père de ses enfants en prison, même s'il le méritait. Mais elle se ferait un plaisir de lui cracher à la figure ainsi qu'à celle de sa sale maitresse !
Elle reconnut maintenant la voiture de son mari, garée près d'une flaque d'eaux usées. La mort dans l'âme, elle descendit et s'aventura sans aucune peur dans une impasse très étroite où elle fut obligée de marcher quelques mètres, comme à califourchon, au dessus d'une rigole qui alimentait la flaque et qui conduisait tout droit vers une porte ouverte, offrant le spectacle désolant d'un patio des plus misérables.
*****
Anouar était là, assis sur une chaise de fortune, à coté de la porte fermée de l'unique pièce de la maison. Debout à côté de lui, un grand gaillard d'une quinzaine d'années pleurait comme un bébé qui venait d'être sevré. Etouffant sa surprise, Anouar se releva et invita sa femme à entrer en la présentant à Hosni, son poulain de l'équipe d'athlétisme :
- Allez, assez pleurer fiston ! Tu te rends compte que même ma femme s'est inquiétée pour ton papa. Elle m'a suivi jusqu'ici, certainement en taxi ! Allez, embrasse Tata Emna !


Puis il se retourna vers sa femme, lui présentant son élève en souriant:
- Voici Hosni dont je t'ai parlé. C'est le plus appliqué de mes coureurs de fond ! Tu ne devais pas t'inquiéter à ce point, ma chérie, tu sais ! Son papa va plutôt bien. Le médecin est déjà là qui l'ausculte dans la chambre, et l'ambulance est en route. Je crois qu'il ne s'agit que d'une simple crise de nerfs. Mais il lui faudrait peut être un peu de suivi médical. Car c'est la troisième fois que ça lui arrive depuis la mort récente de sa femme. C'est donc bien que tu sois venue et que vous ayez ainsi fait connaissance. Car, si son papa est hospitalisé, Hosni viendra habiter chez nous quelques temps !

Le Haikuteur - Tunis

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