jeudi 27 novembre 2008

La Boussole de Sidinna / 9 Nouba de la pierre et de la fièvre

Mon année sur les ailes du récit (39/53) La Boussole de Sidinna (9/23) – 28 novembre 2008


Chemin second

Des silex sur les dunes


Orientation troisième 1

Nouba de la pierre et de la fièvre


" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur


Où suis-je ?
Par où vais-je aller ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?


Les montagnes m'entourent de tout horizon. Le monde est sombre, ténèbres ! Comment vais-je réussir ma mission alors que tout le monde s'y oppose ? Comment réussir, alors que toute la nature agit contre moi ? Comment réussir, alors que même ma grand-mère Doraïa Jaïda me fuit ?
Attends-moi grand-mère bien-aimée ! Attends-moi, Bien-aimée ! Comment se fait-il, si tu es réellement vieille, que tu coures comme une fillette, et que je n'arrive pas à te rattraper ? Non, Bien-aimée… ceci ne peut être une course de vieille … Tu n'es pas vieille … Tu es une Houri du paradis et tu te montres à mois dans la peau d'une vieille dame, copie conforme de ta propre image quand tu étais âgée, peu avant de mourir. Ainsi donc, tu m'es envoyée à moi en particulier, afin que je puisse te reconnaître.
Attends-moi, donc … Où m'entraines-tu comme ça ? Réponds-moi, Bien-aimée :
Pourquoi me fuis-tu ainsi? Et que sais-tu de la mort, de la résurrection et du renouvellement de la vie? Tu pourrais, sans le savoir, être vraiment ma grand-mère, tu sais ! Crois-moi, ce serait ainsi que la résurrection se déroule : le créateur du monde prend ton âme et puis te renvoie à nouveau à la vie, mais sans le moindre souvenir de tes vies antérieures. J'ai dû lire quelque chose de ce genre, dans plusieurs livres. Viens, qu'on en discute un peu, puis abandonne-moi si tu veux ! Essaye juste de répondre à cette question : "est-ce toi, Bien-aimée, qui es revenue à la vie, ou bien est-ce moi qui ai déménagé auprès de toi ?" Si tu ne connais pas la réponse, cela voudra dire que c'est toi qui es revenue à la vie. Alors viens que je te souhaite un bon retour dans ce monde qui est le notre.
Arrête-toi, je t'en prie, Bien-aimée. J'ai une idée. Pourquoi ne chantons nous pas ensemble ? Il faut absolument que je t'aide à recouvrer la mémoire. Le chant est un bon moyen pour cela. Allez Bien-aimée, essaye de te rappeler la Hadhra Madania. Rappelle-toi ! Tu étais notre Cheikha, notre cheftaine. Je sais que tu as mis fin à ta carrière après une grande colère. J'ai encore le souvenir du jour où, en pleine Hadhra, Sidinna avait forcé le cercle du Dhikr, dans la Chicane de la maison des Baouab. Il voulait m'arracher à l'assemblée des femmes et m'interdire définitivement d'y remettre les pieds! Je vois encore la scène comme si je la vivais à l'instant même : moi, terrifié, gigotant à un mètre du sol et lui, me soulevant d'une seule poignée, en me tenant par le dos de mon pullover, comme on soulève un chaton par la peau de la nuque. Je me souviens encore des cris des femmes, des vrombissements des Bendirs et de toi tombant raide au milieu du cercle.
Sidinna était ivre mort, ce jour là. Ses vêtements puaient le sel et sa bouche le vin "Boukhobza". Ce fut la première fois de sa vie qu'il levait la voix en ta présence, Bien-aimée. Il était hors de lui, ce jour là. Tout le monde était étonné de le voir agir ainsi, les hommes dans l'impasse comme les femmes dans la chicane.
Sidinna m'expliquera, plusieurs années plus tard, que l'un de ses marins l'avait dénigré à cause de moi. A l'époque, j'avais déjà acquis, malgré mon tout jeune âge, une certaine réputation. Certains m'avaient donné le surnom de serviteur de la Hadhra. J'étais connu pour ma virtuosité au Bendir ainsi que pour mon application exemplaire dans l'interprétation des chants liturgiques. J'en arrivais à prendre inconsciemment part à la danse des femmes et je parvenais souvent à la transe. J'avais aussi un don de médium. Les "Hadharats" (femmes assistant à la Hadhra) m'utilisaient comme intermédiaire entre elles et Sawana. Elles lui posaient des questions, en me les chuchotant à l'oreille, alors que j'étais évanoui. Et ma bouche innocente se chargeait de leur transmettre les réponses de la Jinnya.


Nombreux étaient ceux qui me prenait, à l'époque, pour le fils de Sidinna. Et ce jour là, Bien-aimée, le marin lui avait dit que notre famille avait une progéniture de "possédés" et d' "efféminés". Cela l'avait mis hors de lui. Il avait alors bu, à en perdre conscience et s'était introduit chez les Baoueb insultant le bon Dieu, son prophète ainsi que tous les pieux et autres marabouts. Prie Dieu, Bien-aimée, pour qu'il lui pardonne et pardonne-lui toi-même. Il avait si peur pour moi ! J'étais orphelin de père et il mesurait la lourde responsabilité qui lui incombait dans mon éducation. Il craignait que si tu continuais à m'attirer vers la Hadhra féminine, tu ferais de moi, effectivement, un efféminé…
Ce soir là, Bien-aimée, tu étais rentrée triste à la Sénya de Sawana. Tu avais tellement honte de l'acte commis par ton fils que tu t'étais réfugiée, depuis, dans le silence le plus total. Toutes les "Hadharats" avaient compris que tu ne leur reviendrais plus jamais. Et, depuis, Dada Rqaya, la noire, avait pris les rênes de ta Hadhra et annoncé à la ville la fin à ta carrière. D'ailleurs tu n'avais survécu à cet incident que quelques mois. Ta mort n'avait pas laissé à Sidinna le temps de se réconcilier avec toi. C'était, pour lui, un coup des plus durs!
C'est vrai Bien-aimée que, ce jour là, Sidinna avait tort. Mais n'es-tu pas celle qui l'avait éduqué pour être l'Homme qu'il était ? N'es-tu pas celle qui lui avait appris à défendre son point de vue et à l'imposer par la force s'il le fallait ? Le fautif, c'était moi, Bien-aimée ! Oui, moi ! Sidinna t'avait bien demandé, quelques semaines avant l'incident, d'arrêter de m'emmener à la Hadhra. Ignorant ses ordres, tu avais cédé à mon insistance et m'avais pris avec toi. Ce jour là, il croyait devoir se comporter comme l'homme de la famille. Lui aussi, voulait me donner la même éducation que tu lui avais donné. Il voulait faire de moi un vrai homme, un dur à son image. Et il n'avait plus que ce choix là pour imposer son point de vue.
C'est vrai, Bien-aimée, qu'il n'avait pas à aller jusqu'à profaner le cercle de la Hadhra sous l'effet de son vin à quat' sous. Il avait vécu, après toi, rongé par le regret. Mais, que Dieu lui accorde sa miséricorde, il avait vécu Brave ! Il avait vécu en Homme, comme il n'y en a pas de pareil et était mort en Homme, comme il n'y en a pas de pareil. Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi. Il avait, de toute façon, réussi à faire de moi, de cet orphelin que j'étais, un homme d'un certain savoir et d'une certaine culture, somme toute respectables, comme tu le vois. Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi…
Sans lui, j'aurais été, sans doute, un homme ignorant, minable. C'est lui qui avait refusé de me voir devenir un simple journalier marin, sans importance. C'est lui qui avait assuré mon éducation et insisté pour que je poursuive mes études jusqu'au bout. C'est lui qui avait dépensé tout son argent pour me permettre de poursuivre des études universitaires… Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi…
Il avait tout sacrifié pour moi, jusqu'à la dernière minute de sa vie. Il m'avait appris que la vie était dignité avant d'être pain, que le savoir était la première des conditions de la dignité souhaitée et qu'il valait mieux avoir le ventre creux et la tête pleine que la tête creuse et le ventre plein … Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi…
C'est lui qui m'avait appris à m'élever au-dessus des futilités, même si ma vie en dépendait. Lui qui m'avait fait aimer le sacrifice pour faire triompher les hautes valeurs, serait-ce au prix de ma vie. De lui, j'ai appris l'attachement aux principes en dépit de l'injustice. De lui, j'ai hérité cette mixture de pudeur et d'orgueil… Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi…
Crois-tu que ces convictions et ces positions qui sont les miennes ne me causent pas certains préjudices ? Imagines-tu que, lorsque je vois "le frère de l'ignorance" baigner dans l'opulence, justement grâce à son inculture, lorsque, autour de moi, je constate que tout le monde bafoue ces valeurs et piétine ces principes que j'ai appris à défendre, crois-tu, Bien-aimée, que je ne suis pas triste, moi aussi ? Au contraire ! J'en suis aussi triste que toi, voire plus… Alors pardonne-lui, Bien-aimée, et prie Dieu pour qu'il lui pardonne, lui aussi…
Nous devons simplement tenir bon, Bien-aimée, et nous armer de patience. Allez, viens. Mettons en commun ma tristesse nouvelle et ton chagrin ancien. Maintenant que mon enfance est derrière moi, et que tu as déjà franchi la passerelle vers l'autre monde puis en es revenue, il n'y a plus de mal à ce que nous retrouvions l'éclat de nos jours anciens et que nous chantions. L'essentiel maintenant, Bien-aimée, est que tu te souviennes de moi. Le chant serait un bon moyen pour que tu retrouves la mémoire. Alors viens, qu'on se souvienne ! Viens imaginer avec moi le vrombissement des Bendir :


Mon Bendir est doué(1)
Ya Allah … dis "ya Allah"
Un cadeau du ciel
Ya Allah … allez dis
Tout petit et possédé … Ya Allah …
Je ne suis pas intrus… Ya Allah …
Opposé, repens-toi !… Ne me fréquente plus!
Sur la trace des Seigneurs, je sers les Cheikhs du savoir
Ya Allah …


Allez dis "ya Allah"… chante avec moi le refrain, Bien-aimée… Chante Doraïa… Ecoute les montagnes qui chantent le refrain… "ya Allah"… Pourquoi me fuis-tu à nouveau ? Allez, arrête de courir sur la pierre et reviens chanter avec moi. Bien, viens au moins dialoguer une minute… "ya Allah"… Je te convaincs ou tu me convaincs … "ya Allah"… Attends-moi … "ya Allah"… Je ne suis pas habitué à la course sur la pierre des montagnes. Je suis totalement étranger ici. La montagne n'est pas semblable à la mer, Doraïa.
Tu te souviens de la plage des Swanis ? Là bas, au moins, il y a quelque sable où courir. Tu te souviens de Qarraïa ? Je me sauvais et toi tu courais après moi sur l'étendue de sable jusqu'à en perdre haleine. Et tu ne me rattrapais jamais… "ya Allah"… Viens courir avec moi sur le sable… "ya Allah"… Tu verras si tu pourrais me rattraper … "ya Allah"… Arrête de courir ainsi et attends-moi. Car si tu n'arrêtais pas je devrais te chercher. Et tu connais mon entêtement, Bien-aimée… Je te retrouverais quels que soient les obstacles. Ecoute :


Si Dieu le veut,
Ô Ben Mrad
Je monte sur un cheval…
Y'Allah…
Je viens à toi, de là où tu désires t'entêter
Ô, ya Ben Mrad…


Allez, reprends avec moi, Bien-aimée… "Si Dieu le veut"… Ecoute le recueillement des montagnes qui reprennent avec moi… Ne veux-tu pas chanter? … "Si Dieu le veut"… Pourquoi m'entraves-tu ainsi ? Je suis en mission urgente, Grand-mère… "Si Dieu le veut"… Je te prie de t'arrêter et de m'aider. Bien, réponds juste à mes questions. Je n'ai plus confiance en ces gens de la voiture de louage. C'est pourquoi je suis descendu. Si j'étais resté avec le conducteur, il m'aurait trahi. Dis-moi : Où sommes-nous, maintenant ? Sommes-nous arrivés au Nord ? Est-ce ici Tazoghrane ? Sinon, indique-moi le chemin… Comment y aller ? … "Si Dieu le veut"… Je voudrais réussir… "Si Dieu le veut"… Je voudrais emmener la boussole de Sidinna à ses propriétaires… "Si Dieu le veut"… Je te prie de m'attendre et de chanter avec moi :


"Si Dieu le veut"… "Si Dieu le veut"… "Si Dieu le veut"…
Je monte sur un quadrupède, aux jambes solides
"Y'Allah"…
Je viens à toi, de là où tu désires le conflit
"Y'Allah"…
Je t'envois dans un puits
"Y'Allah"…
Un puits sans fond… Et tu deviens cendres
"Y'Allah"…
Et là, tu ne feras plus de profits
Ô, ya Ben Mrad…


Allez, dis … "Si Dieu le veut"… Allez chante, Bien-aimée, chante. Mais où est la boussole? Attends que je la cherche dans mon sac à dos… J'ai peur qu'on ne me l'ait volée dans la voiture de louage… Ouf, Dieu soit loué, la voici ! Où est donc le Nord ? Par ici ? Non c'est l'inverse, cette boussole indique le sud. Je m'en étais assuré lorsque j'étais en voiture. Attends-moi, Bien-aimée. Cette boussole a quand même un avantage : son aiguille scintille dans le noir. Mais il se peut que, pour me tromper, le conducteur de la voiture de louage ait pris la direction du Sud? N'est-ce pas possible ? Réponds-moi, Bien-aimée : La voiture nous a-t-elle conduits au Nord ou au Sud ? Qui peut m'inspirer ma voie ? Appelle avec moi, Dorïa Jaïda :


Ô, mon Cheikh, le brun
Ya Allah…Allah…
Fils de Doraïa
Ya Allah…Allah…
Je t'appelle … sois présent
Ya Allah…Allah…
Guide-moi par la main
Ya Allah…Allah…


Attends, je t'en prie, Bien-aimée… "Ya Allah…Allah"… Je sens un étourdissement en regardant le versant de la montagne… "Ya Allah…Allah"… Je sens que je vais tomber, que je vais être déchiqueté sur les rochers de ce ravin … "Ya Allah…Allah"… Est-ce moi qui suis mort, Doraïa ? Dis-moi la vérité et ne crains pas pour moi l'effet du choc…
Mais que sont ces décors, vous qui êtes ici ? Ils ressemblent fort à ceux de la vie éphémère, ou plutôt à ceux d'une certaine littérature que j'ai connue dans l'éphémère … N'est-ce pas là la montagne d'Abou Houraira ? Je m'en souviens bien et j'ai peur… A moi Abou Al Mada'in (2)… Ne me laisse pas "presser mon cheval pour le lancer comme vent. Je tomberais alors inéluctablement dans le ravin, crois-moi… Je disparaitrais dans cette nuit. Et tu entendrais des rochers qui tomberaient et des hennissements de douleur … Mon cri te parviendrait remplissant l'oued… Tu en aurais la chair de poule, Abou Al Mada'in. Mais attention, ne crois pas que ce serait un cri de joie, comme t'avait semblé celui d'Abou Houraira… Car, ce n'est pas mon vœu d'être un repas dans le festin des diables"…
Et toi, Dorïa Jaïda, pourquoi me lâches-tu ? Et pourquoi suis-je réincarné en Abou Houraira, courant aussitôt à ma perte ? Est-ce en enfer que je ressuscite, Bien-aimée ? Tiens-moi bien Abou Al Mada'in! Ne me laisses pas me précipiter, comme l'a fait ton copain… Je suis encore jeune, moi. Je n'ai encore rien vécu dans ce monde … Tiens-moi bien Doraïa. Dis-moi que je suis seulement en train de rêver. Mais ce rêve n'est en rien semblable à mes anciennes visions. Le danger m'entoure de toute part… La boussole est en danger… Je dois absolument cacher la boussole de Sidinna dans un endroit sûr, avant de m'évanouir. Allez Doraïa, appelle avec moi :


Ô homme à l'œil rouge
Ya Baba Naceur …
Ô homme à l'œil rouge
C'est toi que j'appelle..
Mais toi, où tu es ?
Ya Baba Naceur …


Attends-moi Doraïa … "Ô homme à l'œil rouge"… Aucun endroit n'est plus sûr que mon pantalon pour cacher la boussole… "Ô homme à l'œil rouge"… Je l'enfouirai dans une cache où le Djinn bleu ne peut l'atteindre… "Ô homme à l'œil rouge"… Sidinna m'a appris à défendre mon pantalon jusqu'au dernier souffle de ma vie, ainsi je défendrai sa boussole en défendant mon pantalon… "Ô homme à l'œil rouge"… Sidinna me disait : "s'il t'arrivait ce qui est arrivé à ton cousin Ameur El Bintou, je te tuerais"… Il voulait que je n'ouvre mon pantalon à personne, jusqu'à la soirée de ma vie, lorsqu'arrive celle qui doit être ma destinée ! Et j'ai conservé ce pantalon inaccessible, Doraïa Bien-aimée, jusqu'à ce que Dieu m'ait fait cadeau d'Aïchoucha et que j'ai su que c'était elle ma destinée. Voici la boussole enfin cachée. Terminons maintenant la chanson:


Portant un burnous
Il entre à la Hadhra
Comme un marié
Les étendards levés
Visibles à deux milles
Ya Baba Naceur …



Prière soit sur l'envoyé de Dieu… A moi Doraïa Jaïdaaaa… le fond m'aspiiiiire…



Le Haikuteur …/… à suivre


(1) Touts les textes de chansons introduits ici sont une traduction personnelle de chants du patrimoine soufi, tels que je les ai personnellement gardés en mémoire, sans recherche ni vérification. J'en avais beaucoup appris auprès des Cheikhs Abd-Essalam Hlila, Dieu ait son âmes dans sa miséricorde et Amara Bchir.
(2) Abou Al Mada'in est l'ami du personnage principal de "Haddatha Abou Hourairata Qal" de Mahmoud Messaadi. Le reste de ce paragraphe est une adaptation, avec légère modification, d'un fragment du dernier tableau de ce texte.

jeudi 20 novembre 2008

La Boussole de Sidinna / 8 Le serviteur de la Hadhra, bis

Mon année sur les ailes du récit (38/53) La Boussole de Sidinna (8/23) – 21 novembre 2008



Chemin second




Des silex sur les dunes



Orientation seconde 2



Le serviteur de la Hadhra, bis



" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur




Voici des restes d'extraits de documents puisés dans le dossier de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha. Les documents originaux sont des comptes rendus de missions effectuées par l'agent M. N. 16, dans le cadre de l'enquête, pour recueillir des informations sur les rapports de l'accusé avec les deux suspects, Ameur Ben Mohamed Salah Ben Othman Mansoura, dit "El Bintou", propriétaire d'un restaurant flottant à la Marina de la ville et gérant d'un chalutier appartenant à sa femme Carla Piccolo, enregistré au port de pêche de la ville et Sahraoui Ben Rejeb Ben Marzouk Arkane, conducteur de voiture de "Louage - toute la république", résident aux alentours de Matmata et traversant régulièrement la ville.
Extraits choisis par H. S. L (hsl).

….


Attendu que nous nous sommes rendus près du Ribat de la ville, là où Sahraoui Arkane devait garer sa voiture, la nuit… Attendu que nous lui avons présenté les photos de sept personnes dont Ameur El Bintou et Mohamed Lamjed Brikcha et qu'il a nié avoir connues, excepté Mohamed Lamjed Brikcha, dont il ne connaissait pas le nom, mais dont il a dit :

- J'oublierai tous mes clients. J'oublierai même que je suis Sahraoui Arkane, mais je n'oublierai jamais cet homme là !



… Attendu qu'il a été prouvé que Sahraoui Arkane ne connaissait Ameur El Bintou, ni de nom ni de vue, exactement comme El Bintou ne connaissait Saharaoui Arkane, ni de vue ni de nom… Attendu que nous avons interrogé ce dernier sur les causes de ses fréquentes visites à la Marina de la ville... Il nous a informés qu'il y rendait visite à un certain Al Aid Chibani, originaire de son village, exerçant la fonction de gardien des maisons de la mer… Attendu qu'Al Aid Chibani fait partie de nos connaissances et que nous comptons beaucoup sur lui… Attendu aussi que nous avons accompagné le suspect aux maisons de la mer, où nous avons trouvé Al Aid Chibani qui l'attendait, comme toujours à pareille heure du début de la nuit… Attendu encore qu'Al Aid Chibani nous a confirmé les rapports étroits qui le liaient à Sahraoui Arkhane, ainsi que les alliances qui liaient leurs familles… Et Attendu, enfin, qu'il était impossible qu'Arkane ait, dans cette ville, le moindre rapport avec Ameur El Bintou ou avec quiconque, autre qu'Al Aid Chibani. Nous l'avons interrogé sur les raisons pour les quelles il garait toujours sa voiture hors du parking de la Marina, ce qui a éveillé autour de lui les soupçons. Et il a dit :

- "Vous ne me croiriez pas, monsieur l'agent, si je vous disais que je crains tout simplement d'amorcer en voiture cette descente de la Marina. Et ce en raison de ce qui m'est arrivé avec le monsieur de la photo que vous venez de me montrer…"

…..

… Attendu que Sahraoui Arkane avait envers ses clients, qui l'attendaient encore en ville, l'obligation d'assurer la suite de leur voyage… Attendu que ce chauffeur cultivé, diplômé de la faculté Zeitounienne de théologie, nous a proposé de lui dicter nos questions afin qu'il réponde par écrit et nous remette un rapport, au premier voyage qui le conduirait à passer par la ville… Attendu que nous lui avons dévoilé que la cause principale qui a éveillé nos soupçons le concernant était des informations fournies par nos indicateurs, selon lesquelles il aurait été vu à Sfax en compagnie d'une femme du nom de Hourya… Attendu qu'Al Aid Chibani a pris sur lui de récupérer le rapport et de nous le transmettre… Attendu, enfin, que le rapport nous est parvenu dans les délais fixés... Nous le joignons ici comme il nous a été remis, écrit de la main de son auteur et accompagné d'une attestation signée par Hajja Fatma Bent Lamine El Aafi…

……

Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux
Matmata le ….
A l'attention de monsieur l'inspecteur général

Je soussigné, Sahraoui Ben Rejeb Ben Marzouk Arkane, né le 23 mars 1975, à quelque distance de la vieille Matmata, titulaire de la maitrise de la faculté de de théologie de Tunis, session de septembre 2001, déclare sur l'honneur travailler régulièrement, depuis début octobre 2006, en tant que chauffeur de la voiture de louage appartenant à Hajja Fatma El Aafi, titulaire de l'autorisation "toute la république" numéro (…), datée du (…) et propriétaire de la voiture numéro (…), comme en témoigne l'attestation de travail ci-jointe, portant sa signature légalisée à la municipalité de Matmata en date du (…) et attestant de mon assiduité, de ma droiture et de ma bonne conduite.

Monsieur l'inspecteur général,
Il est vrai que la pauvreté, le chômage et l'échec à deux reprises aux examens du CAPES, m'ont poussé aux limites du désespoir et que j'ai alors tenté la "Harga" à bord du bateau qui a été arraisonné par les gardes-côtes, comme il est certainement notifié dans mon dossier conservé par vos services. Mais je jure devant Dieu le tout puissant que je ne me rappelle d'aucun des organisateurs de cette opération clandestine, à part la femme qui se faisait appeler Zakia et qui avait reçu de moi les mille dinars. Ladite femme s'était évaporée et je ne l'ai plus revue ni n'ai pu la reconnaitre sur les photos que vos services m'avaient montrées.
Je jure aussi, devant Dieu le tout puissant, que je n'ai jamais vu l'homme de la photo, dont le nom serait Ameur El Bintou et qui serait marin de profession. Même son nom, je ne l'ai entendu pour la première fois que lorsque monsieur l'agent me l'a dicté. C'est que, depuis que j''ai été gracié, que j'ai signé l'engagement et quitté la prison, j'ai définitivement laissé tomber le projet de quitter le territoire tunisien. Je suis, aujourd'hui, plus convaincu que jamais que les gens sont classés en strates sociales inégales, que les diplômes ne sont aucunement un moyen d'accéder légitimement aux classes supérieures et que je dois me contenter de la situation que Dieu m'a réservée. Tout acquis vient de lui et je dois accepter n'importe quel travail, à n'importe quel niveau. Pourvu qu'il m'assure le minimum vital.



Aussi suis-je redevable à Am Al Aid Chibani, gardien des maisons de la mer de la Marina de Monastir, que vos services connaissent bien. C'est lui qui m'a aidé à trouver un emploi saisonnier dans l'hôtel (…) en tant qu'aide animateur, pendant trois mois, en pension complète. C'est aussi lui qui m'a conseillé de saisir l'occasion pour payer l'auto école avec mon salaire. Et c'est ainsi que j'ai appris à conduire et obtenu mon permis. La Hajja Fatma a eu, ensuite, pitié de moi et m'a engagé dès la fin de ma période de stage, à conduire sa voiture de louage.

Vous m'avez interrogé à propos de Mohamed Lamjed Brikcha. Je réaffirme que je n'avais jamais connu son nom avant de l'écrire sous la dictée de monsieur l'agent qui me posait les questions auxquelles je devais répondre par le présent rapport. Quant à son visage, je m'en souviens parfaitement. Car c'est un visage qui ne peut être oublié. Je l'ai vu une seule fois dans ma vie. Il a pris une seule fois, depuis plus d'un an, ma voiture de louage, pour un voyage au départ de Beb Tounes. Je m'en souviens encore aujourd'hui. Et, à chaque fois que je passe près de cette porte chicane, je me retourne pour voir s'il ne croise pas une nouvelle fois mon chemin, ou s'il n'y aurait pas à cet endroit un voyageur qui embarquerait, à qui je poserais la question et qui me renseignerait sur ce qui lui serait arrivé.

Reste Hourya ou, de son vrai nom selon monsieur l'agent, Hadda bent Abidi que vos indicateur m'auraient vu accompagner à son appartement à Sfax. Je ne nie pas que c'est une femme que je connais effectivement, mais d'une connaissance superficielle, comme la connaissent tous les jeunes qui ont besoin de ses services. Je suis, comme vous le savez, célibataire. Et, dans mon entourage, il n'y a aucune possibilité de subvenir à ce genre de besoins. C'est la raison pour laquelle je l'ai rencontrée, depuis environ six mois, lorsqu'elle a été amenée par quelques jeunes dans un oasis du Djerid. J'ai passé quelques temps avec elle pour me distraire. Ensuite elle m'a rencontré dans les rues de Sfax. Elle m'a reconnu et m'a invité à deux ou trois reprises dans cet appartement où je l'ai accompagnée et je lui ai payé, à chaque fois, ses émoluments. Quant à m'attarder avec elle pour qu'elle me parle de ses relations ou des gens pour lesquels elle travaillait, cela n'est jamais arrivé. C'est pourquoi il m'est impossible de vous éclairer sur le fait qu'elle ait, ou pas, des relations professionnelles avec Mohamed Lamjed Brikcha.
Monsieur l'inspecteur général

Si j'avais à émettre un avis au sujet de cette supposée relation entre cette femme et cet homme, je vous dirais franchement que je n'y crois pas un instant. Car, le jour où je l'ai rencontré, Mohamed Lamjed Brikcha m'est apparu, plutôt, comme qui dirait un "possédé", pour ne pas dire plus. Et c'est quelque chose de radicalement contradictoire avec la nature du travail dans le domaine d'activité de Hourya.

Lors du voyage de cette nuit-là, j'ai vu des choses d'une étrangeté jamais rencontrée au cours de toute ma vie. J'avais débarqué à Monastir un voyageur dont la place est demeurée vide à l'arrière de la voiture. Il était donc naturel que je fasse le tour de la ville à la recherche d'un nouveau voyageur allant dans ma direction. Je savais que Beb Tounes n'était pas un endroit où l'on pouvait trouver des voyageurs. La route était presque vide à cette heure là de la nuit et je roulais, relativement, vite. Soudain, cet homme me fait signe avec insistance de m'arrêter. Je freine et vire soudainement à gauche pour m'arrêter à coté du trottoir. N'eut été la protection divine, j'aurais reçu de plein fouet la voiture qui était derrière moi et qui tentait de me dépasser.


Il me dit : "alors frère, tu vas sur le chemin de Dieu?"
Je lui réponds : "Bien sûr, nul ne va nulle part ailleurs!"
Il me dit : " tu m'es destiné!"
Alors je ris et l'interroge : "Vous allez où, homme de bien?"
Il me dit : "à Tazograt ,ou zomrat".
Je le corrige : "tu veux dire Tamozrat ?"
Et il me répond avec un large sourire : "prononce comme tu veux. L'essentiel est que je sais que tu as, dans ta voiture, une seule place de libre. Je sais qu'elle est pour moi. Je sais que tu es un homme bien élevé, que tu vas m'accueillir chaleureusement et que tu vas m'emmener à ma destination dans les meilleures conditions."




A vrai dire, j'ai bien aimé son apparence toute de bonté ainsi que son discours. Il se peut que ce soit en raison de son âge qui était proche du mien et du sentiment que j'avais eu qu'il était, comme moi, un homme d'une certaine culture. C'est pourquoi je lui ai trouvé, à première vue, la mine du client exemplaire, de bonne moralité.

Je descend, lui prend son petit sac à dos que je mets dans le coffre et, avant de lui ouvrir la portière arrière, j'attire son attention sur le fait que je n'allais pas, en particulier, à Tamozrat, mais que je ferais un effort, une fois arrivé, pour lui trouver une voiture qui l'acheminerait jusque là. Et, s'il n'y en avait pas, alors il devrait attendre que je dorme une petite heure avant de l'y emmener moi-même. Et lui, sans arrêter de sourire, de se mettre à chantonner le fameux air "El Ward Gamil". Il avait effectivement une belle voix. Alors j'ai ri et il a ri avec moi. Mais il a dit à voix basse : "dommage, j'avais cru un instant que celui que je cherchais serait venu jusqu'à moi." Je lui demande ce qu'il veut dire. Et il s'est remis à rire en me disant : "Mais non ce n'est rien, je plaisante". Il monte en voiture. Et nous démarrons.

A peine avons-nous laissé derrière nous les lumières de la ville que l'homme commence à dévoiler une personnalité d'une originalité un peu excessive, pour ne pas dire un brin perturbée ; ce qui m'amène à le surveiller de près dans mon rétroviseur. Il y avait à côté de lui une vieille femme qui avait au moins soixante-dix ans. Elle dormait dans son coin et lui ne cessait de la regarder avec grand intérêt, comme s'il voulait la draguer. Et soudain il se met à l'appeler "ma bienaimée" et à lui dire "je veux t'embrasser".

"Tu n'as pas honte de toi, lui dit la vieille dame, tu ne vois pas que j'ai l'âge de ta grand-mère ?". Mais il se met à lui expliquer qu'elle était effectivement sa grand-mère, avec juste des tatouages en plus, sur le front et les joues, précisant que dans son dictionnaire à lui le mot "bienaimée" était synonyme de "Grand-mère". Il était même convaincu que le vrai nom de la vieille dame, serait Doraïa Jaïda et que tous les autres noms qu'elle aurait seraient des faux. Il la pressait de se rappeler de lui quand, enfant, il venait passer la nuit chez elle dans sa Sénya de Sawana.

Elle a beau lui expliquer qu'il ne s'agissait là que d'une ressemblance, qu'elle n'avait aucune connaissance de la Sénya de Sawana et qu'elle n'avait jamais enfanté pour pouvoir avoir des petits enfants. Mais il se met à l'interroger le plus sérieusement du monde : "Est-ce donc toi, bien-aimée, qui es revenue à la vie, ou est-ce moi qui ai déménagé auprès de toi ?". Puis il se met à rire comme s'il était en train d'interpréter pour nous un rôle comique. Et, d'un coup, il s'est endormi.

Avant cela, nous lui avions demandé de se calmer, de se taire et d'essayer de s'endormir. Mais il nous accusait de conspirer contre lui, pour faire échouer sa mission. Il disait avoir une boussole qui pointait vers le sud et qui représentait une découverte unique en son genre. Il répétait : "Vous voulez tous que j'échoue" et ajoutait : "j'ai peur d'échouer dans cette mission, ô "Bbaya" (père) ô Sabrya."

Dès qu'il s'est réveillé, il s'est remis à chantonner des bribes de "Ya Gamret ellil Edhoui Alaya" (oh lune de la nuit éclaire-moi!) en s'adressant à la vieille femme pour lui dire : "C'est toi ma grand-mère, c'est toi Doraïa!". Et il l'appelait à chanter avec lui, comme elle le faisait, selon lui, du temps de son enfance. Au point que l'un des voyageurs m'a demandé de le débarquer tout de suite alors qu'un autre l'a carrément menacé de le frapper, si jamais il se remettrait à déranger la vieille femme. Mais il est tout de suite revenu à la charge "il faut que je t'embrasse", lui dit-il. Alors j'ai appuié sur la pédale du frein pour arrêter la voiture.

Monsieur l'inspecteur général,
Bien sûr que vous pouvez ne rien croire de ce que je vais vous raconter. Mais c'est la stricte vérité, sans le moindre ajout. La voiture dévalait, en ce moment, une pente dangereuse. Les lueurs de l'aube étaient clairement visibles au-delà des montagnes de l'Est. Mais, dès que mon pied a touché la pédale de frein, l'horizon s'est assombri brusquement et la route devant moi ressemblait à un ravin sans fond. Et je n'avais plus le moindre contrôle sur la voiture. Même ma tentative d'arrêter le moteur a échoué. J'ai tourné la clé de contact, je l'ai retirée, même. Mais le moteur continuait à tourner et la voiture à rouler en roue libre.

Nous nous dirigions vers une mort certaine, à une vitesse illimitée quand, soudain, l'espoir de survie revient. C'est que Mohamed Lamjed Brikcha s'était mis à crier "SawaaaaaaNaaa". L'écho de son cri a retentit alors dans les montagnes environnantes. Et le frein, soudain, de se remettre à fonctionner. Mais je n'ai pu arrêter la voiture qu'au prix d'efforts surhumains. Toutefois, l'horizon est demeuré sombre.

Lorsque la voiture s'est, enfin, arrêtée, nous étions tous dans un état lamentable d'étourdissement. Mohamed Lamjed Brikcha ordonne alors à tout le monde de descendre. Il l'a fait d'une voix autoritaire, comme si nous étions dans sa propre voiture. Il a nous dit : "N'ayez pas peur, vous êtes maintenant dans mon rêve". Si, si je vous le jure : "Vous êtes maintenant dans mon rêve" c'est exactement ce qu'il a dit ! Et il a ajouté : "laissez-moi maintenant me reposer un peu dans la voiture et allez vous détendre dans ce café".

Je n'ai jamais connu, à cet endroit là, le moindre café ni même une quelconque épicerie. Mais nous sommes descendus. A quelques deux cents mètres de là, des lumières scintillaient dans la montagne. Nous nous sommes dirigés vers ces lumières. Et, à l'arrivée, il y avait bien… un café! Nous avions tous besoin d'eau, de toilettes et de café chaud.

Alors que nous étions de retour, la voix de Mohamed Lamjed Brikcha nous parvenait, de loin, chantant haut "Ya Gamret ellil edhoui alaya". Il chantait et une douleur jaillissait de sa voix comme des larmes jailliraient d'une source abondante. L'écho de la montagne autour de nous lui répondait :

"Ô Gamret Ellil, ils ont trahi mon chemin.
J'ai le cœur embrumé et la bouche asséchée".

Je n'ai jamais entendu une chanson qui inspirait à ses auditeurs autant de mélancolie et de recueillement. Lorsque nous sommes arrivés, Mohamed Lamjed Brikcha en était à scander le refrain. Il était complètement essoufflé. Sa poitrine était toute mouillée par ses larmes. Et il avait l'air à moitié endormi. Quant à la voiture, elle sentait bon l'odeur de l'encens.



Avant d'arriver à la voiture, nous cachions, les uns aux autres, notre peur de ce phénomène d'assombrissement brusque de l'horizon et du fait que l'obscurité se prolonge encore jusque là. Chacun de nous dissimulait son malaise derrière des commentaires sur la beauté de cette chanson soufie et sur l'effet qu'elle pouvait avoir sur nos sentiments. Nous nous demandions si ce jeune homme ne vivait pas une véritable tragédie qui transparaissait clairement dans le timbre de sa voix et qui devait sûrement être à l'origine de son comportement anarchique. Globalement, nous étions maintenant unanimes à l'admirer ; notre gène vis à vis de son comportement s'étant transformée en compassion envers lui et en peur pour lui.

Nous sommes montés en voiture sans qu'il n'ait émis la moindre objection. Nous avons constaté qu'il tenait des propos étranges. Nous ne croyions pas qu'il dormait. Aussi, certains de nous ont-ils voulu lui parler pour lui présenter des excuses en notre nom à tous. Mais il nous intima l'ordre de nous taire pour lui faciliter, disait-il, de bien comprendre son rêve.

J'ai mis le contact. Le moteur tournait normalement, et nous sommes repartis, tous silencieux. Lui continuait à parler de temps à autre. Il disait "c'est une idée merveilleuse qu'il y ait une boussole qui pointe vers le Sud au lieu du Nord" et aussi "S'il te plait maman ne me pince pas, je veux terminer mon rêve", ou encore "tu m'as beaucoup manqué Sawana, voici des années que je ne t'ai vue!"

Jusque là, l'horizon était demeuré sombre. La voiture continuait à rouler, les phares allumés. Arrivés à un endroit situé au beau milieu des montagnes, à une dizaine de kilomètres du mausolée de Sidi Touati, la vieille femme a demandé à descendre. Et Mohamed Lamjed Brikcha de se réveiller, tout décidé à descendre, lui aussi, avec elle, malgré notre insistance pour qu'il reste.

J'ai eu beau le rassurer et lui dire que j'allais le conduire moi-même à Tamozrat. Il m'a jeté un regard perçant et est descendu en silence en même temps que la vieille dame. Il a pris son sac à dos et s'est éloigné un peu de la voiture. Je n'ai pas osé lui demander de l'argent et lui ne s'est pas rappelé de m'en donner. Il n'a même pas ouvert la bouche pour nous dire au revoir.

Monsieur l'inspecteur général
Ce qui est étrange, dans tout cela, c'est que dès l'instant où je me suis éloigné de l'endroit où j'avais débarqué la vieille dame et Mohamed Lamjed Brikcha, le soleil s'est brusquement levé. Il était tout brillant et presque au zénith, comme si tout ce qui venait de nous arriver avant son nouveau lever, n'était qu'un rêve.



Mais ce qui est encore plus étrange, c'est qu'en retournant à Monastir, après cet incident, et dès que j'ai amorcé la descente entre le Ribat et le cimetière pour aller à la Marina, j'ai vu, soudain, l'horizon s'assombrir alors qu'il était à peine quatre heures de l'après midi. Et J'étais pris du même sentiment de panique que j'avais ressenti la nuit où nous dévalions la descente des montagnes de Matmata. Et c'est là la raison pour laquelle je me suis mis à garer ma voiture à côté du Ribat, pour descendre désormais à pieds, la pente menant à la Marina.

Voici, monsieur l'inspecteur général, tout ce que j'avais à vous dire en réponse à vos questions. Mohamed Lamjed Brikcha a embarqué avec moi à Beb Tounes. Il est descendu à une dizaine de kilomètres de Sidi Touati, dans un endroit désertique des montagnes de Matmata. Je l'ai vu, de mes propres yeux, qui tentait de prendre son élan pour une course. Puis, à son jour lumière est revenue et je fus aveuglé ne pouvant plus le voir. Je crois que c'est à cet instant là qu'il s'est perdu dans la montagne où des animaux sauvages auraient pu le dévorer…


Le Haikuteur…/…à suivre.......

jeudi 13 novembre 2008

La Boussole de Sidinna / 7 Le serviteur de la Hadhra

Mon année sur les ailes du récit (37/53) La Boussole de Sidinna (7/23) – 14 novembre 2008
Chemin second
Des silex sur les dunes


Orientation seconde 1
Le serviteur de la Hadhra

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Voici des extraits de documents puisés dans le dossier de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha. Les documents originaux sont des comptes rendus de missions effectuées par l'agent M. N. 16, dans le cadre de l'enquête, pour recueillir des informations sur les rapports de l'accusé avec les deux suspects, Ameur Ben Mohamed Salah Ben Othman Mansoura, dit "El Bintou", propriétaire d'un restaurant flottant à la Marina de la ville et gérant d'un chalutier appartenant à sa femme Carla Piccolo, enregistré au port de pêche de la ville et Sahraoui Ben Rejeb Ben Marzouk Arkane, conducteur de voiture de "Louage - toute la république", résident aux alentours de Matmata et traversant régulièrement la ville.
Extraits choisis par H. S. L (hsl).

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…Attendu que les investigations ont démontré que le suspect Ameur "El Bintou" avait immigré en Italie où il avait vécu pendant plus de dix ans, qu'il avait un dossier chargé, avant et pendant son séjour italien, et qu'il a montré des signes de repentir à la suite de son mariage et de son retour définitif au pays… Attendu que le dossier de Sahraoui Arkane est, en revanche, considéré comme vierge, n'eut été cette tentative, il y a six ans, de franchissement clandestin des frontières vers l'Italie, au cours d'une opération dont les organisateurs sont encore inconnus… Attendu qu'à chacun de ses voyages entre Matmata et la capitale, Sahraoui Arkane observe un arrêt systématique dans la ville, au cours duquel il débarque les voyageurs pour une heure de repos, les laisse à l'arrêt et s'en va, seul, avec sa voiture… Attendu que nos sources font aussi état de visites irrégulières que Arkane effectue à la Marina de la ville, sans apporter la preuve qu'il ait jamais accédé au restaurant flottant ou rencontré Ameur "El Bintou". A noter toutefois qu'il gare, à chaque fois, sa voiture près du Ribat et descend à pieds à la Marina, alors qu'il y existe bien un parking. Ce qui alimente, à raison, les doutes de nos indicateurs…
.......
…Attendu que nous avons contacté Ameur El Bintou dans son restaurant flottant et qu'il a confirmé les liens familiaux qui l'unissent à l'accusé, reconnaissant leurs rapports anciens qui, au début, étaient quotidiens et étroits, mais qui ont abouti à un éloignement total qu'El Bintou qualifie "d'inexplicable et sans fondement"… Attendu que nous l'avons interrogé sur l'identité de Sawana, à propos de laquelle l'accusé refuse de donner la moindre indication, cependant qu'il n'arrête pas de la citer, à chaque fois qu'il commence à simuler l'amnésie, El Bintou nous a confié ce qui suit :
"A mon avis, monsieur l'agent, cette Sawana n'existe pas. Et quand bien même elle existerait, je n'aurais jamais cru que mon cousin aurait eu avec elle la relation qu'il prétendait avoir. Mais maintenant qu'il s'avère qu'il est bien vivant et que vous l'aviez bien arrêté et mis en prison, je n'ai plus de doute qu'il est un véritable chat à sept vies. Et je commence à craindre que Sawana serait bien une réalité et non une invention et qu'il serait possible qu'elle soit sa protectrice merveilleuse, celle qui l'aurait rendu à la vie après la mort. Dieu soit loué, il rend la vie aux os vermoulus!"
"Que puis-je vous dire, monsieur l'agent ? C'est un "Possédé", Mohamed Lamjed Brikcha! Eh oui, je le jure, que c'est un cas à mourir de rire! Je n'arrive pas à comprendre comment un débile, un possédé comme lui est arrivé à entrer à l'université, à décrocher le grand diplôme et à devenir maitrisard !"
"Je reconnais, monsieur l'agent, avoir été, à un moment de ma vie, "Bezness" de touristes, masseur de femmes dans le Hammam de l'hôtel des vieillards ou encore vendeur de Came à Mazara del Vallo. Tout cela vous le savez et Dieu saura me le pardonner ! Je suis au courant aussi de ce dont font état les rumeurs de la ville qui prétendent que j'aurais épousé l'une des putains que j'avais la charge de protéger à Palerme. Mais indépendamment du bienfondé de ces propos, tout ce que j'ai fait est mille fois plus viril que de jouer du Bendir dans la Hadhra des femmes et de "passer les paroles" aux bonnes dames, par-dessus le marché … Eh oui, monsieur l'agent, jusqu'à dix ans passés, Mohamed Lamjed, fils de tante Khadouja, a été un "possédé". C'est-à-dire qu'il était un corps au service des âmes des saints et des marabouts. Et il y avait bien des bonnes dames qui croyaient vraiment qu'il était en rapport avec les Djinns ou, plus précisément, qu'il était "passeur de leurs paroles" aux humains. A chacune de ses "Noubas", elles faisaient la ronde autour de lui et il répondait à leurs questions obscures par des propos qu'elles étaient seules à comprendre."
"Tante Khadouja tombait souvent malade, se faisant hospitaliser et se trouvant dans l'obligation de laisser à maman la garde de sa fille Rachida. Quant à Mohamed Lamjed, elle le confiait à Grand-mère. A cette époque, Doraïa Jaïda, ma grand-mère, était à la tête de la "Hadhra Madanya". Aussi se trouvait-elle parfois obligée d'emmener Mohamed Lamjed avec elle, aux cercles d'évocation féminines qui se tenaient à l'occasion de circoncisions, d'accouchements ou de simples fêtes organisées pour chasser le mauvais sort et la malchance. Et il faut, pour la vérité, reconnaître à Mohamed Lamjed son don de percussionniste virtuose du Bendir et son aptitude, exceptionnelle chez les enfants de son âge, à apprendre par cœur autant de chants et d'évocations soufies qu'il chantait mieux que toutes les femmes de chœur de la Hadhra. C'est ainsi qu'il s'était fait, parmi elles, une place de titulaire, qu'il avait gardée jusqu'au moment où il devait passer son examen de sixième."


.......


Attendu que nous avons demandé à Ameur El Bintou de nous éclairer brièvement sur les conditions de l'apparition de Sawana dans la vie de l'accusé, il est remonté à son enfance pour nous dire :
"Les signes de "la possession" s'étaient manifestés chez Mohamed Lamjed depuis ces vacances d'été que nous avions passées tous les deux, ensemble, dans la Sénya de Grand-mère. Doraïa Jaïda s'était alors mise à nous raconter, chaque nuit, l'histoire de "La belle Sawana, fille du noir de la nuit et de la pleine lune", nous la répétant sans répit jusqu'à ce qu'un jour, Mohamed Lamjed est venu lui dire qu'il voyait Sawana, à chaque fois qu'il se réveillait tôt le matin, qu'il lui parlait et qu'elle lui répondait. A mon étonnement, Grand-mère l'avait cru, lui demandant de la lui décrire et l'encourageant à devenir son ami intime. C'est elle, lui promettait Grand-mère, qui lui était destinée afin de le protéger de tous les dangers et de lui éviter de tomber dans les pièges des gens du mal ! Et c'est ainsi que Mohamed Lamjed s'était mis à inventer, à chaque fois, des histoires de rencontres qu'il aurait eues avec Sawana et Grand-mère à le croire lorsqu'il prétendait lui avoir parlé, lorsqu'il affirmait qu'elle l'avait empêché de sortir du Borj à l'heure de la sieste, pour qu'il ne soit pas dévoré par "la Vieille de la sieste" ou kidnappé par "l'Arracheur des cœurs" et lorsqu'il lui assurait qu'avant de s'endormir, elle se montrait à lui pour l'inciter à prononcer les deux témoignages du musulman avant que ses yeux ne se ferment."
"Quant à moi, monsieur l'agent, je savais pertinemment, malgré mon jeune âge, que cette Sawana n'existait pas du tout. Je sortais du Borj à l'immense jardin alors que le soleil était en plein zénith, n'ayant peur ni de "la Vieille de la sieste" ni de "l'Arracheur des cœurs". Je disais à Mohamed Lamjed : " moi, lorsque je sors seul, c'est la "Vieille de la sieste" qui a peur de moi et qui se sauve. C'est alors moi qui lui cours après jusqu'à ce qu'elle sorte de la Sénya. Si tu es réellement l'ami de Sawana, comme tu le prétends, sors donc comme moi et commence par vérifier si elle est capable de te protéger de "l'Arracheur des cœurs". Mais il me répondait que Sawana ne se montrait que lorsqu'il s'apprêtait à faire une bêtise pour laquelle les grands punissaient et qu'elle le prévenait de ne pas tomber dans le piège pour n'être pas puni. Il prétendait aussi que si elle le prévenait et qu'il ne suivait pas son conseil, elle s'énerverait et ne reviendrait plus lui parler ni le protéger de quoi que ce soit. Alors il se mettrait à tomber dans tous les pièges, jusqu'à ce qu'elle lui pardonne et revienne à nouveau lui tenir compagnie."


.......

Attendu que ce qui précède est assez suffisant pour démontrer que cette Sawana n'existe que dans l'imagination de l'accusé ... Attendu que nous ne nous intéressons pas aux informations marginales, celles, par exemple, qui racontaient qu'à chaque fois qu'un secret est confié à Mohamed Lamjed Brikcha, il finissait par le divulguer, soit disant parce que Sawana lui conseillait de dire toujours toute la vérité … Attendu que nous ne nous intéressons pas, non plus, aux histoires des bêtises enfantines, celle où il est raconté qu'Ameur El Bintou prenait son cousin avec lui à travers la haie de cactus et lui faisait descendre la falaise qui menaçait de s'effondrer, juste pour tremper leurs pieds dans l'eau de mer jusqu'aux genoux, sans se baigner, et rentrer par la même voie. Et qu'il trouvait à la Sénya quelqu'un qui les attendait pour ne punir que lui...
Attendu que nous avons demandé à Ameur El Bintou d'arrêter l'évocation de ces souvenirs futiles pour nous parler de la nature de son différend avec l'accusé et de la cause de ces désaccords, il nous a déclaré ce qui suit :
"Je n'ai aucun désaccord avec lui. Je le jure monsieur l'agent. Tout ce qu'il y a c'est que je lui ai proposé de travailler avec moi sur mon chalutier et qu'il a refusé. C'est parfaitement son droit. Il est "Maitrisard", comme il dit! Mais c'est la faute à Sidinna ! Le jour du jugement dernier, il récoltera le juste fruit de ce qu'il avait semé! Il aimait Mohamed Lamjed plus que moi. Pire, il ne me supportait pas. Moi, il me punissait à chaque fois qu'on faisait une bêtise tous les deux. Et lui, il ne le touchait pas. Parce que j'étais, soit disant, l'ainé et que c'était moi qui l'incitais à faire avec moi ce que nous faisions. Je me souviens qu'il avait failli me tuer, une fois, alors que j'étais parfaitement innocent et que Mohamed Lamjed était le vrai fautif. Cette fois-là non plus il ne lui avait même pas donné une petite tape."
Attendu que nous avons arrêté Ameur El Bintou afin qu'il nous éclaire sur l'identité de celui qu'il vient d'appeler "Sidinna", il a expliqué que les traditions de la ville veulent que les neveux appellent leurs oncles maternels "Sidi", ajoutant que "NNa" est le diminutif de Nasser, ce qui fait qu'il avait désigné par ce nom feu son oncle, Raies Nasser Ben Mezri Jaïed qui, de son vivant, était connu par le nom de "Sidinna" auprès de tous les habitants du Rbat, y compris les grandes personnes. Et Elbintou de poursuivre :


"Une fois, vous ai-je donc dit, Sidinna avait failli me tuer. N'étais-je pas son neveu moi aussi? Qmira n'était-elle pas la fille de Mezri Jaëd, elle aussi ? N'était-elle pas la sœur de Raïes Nasser, tout autant que Khadouja? Ou bien le fils de Khadouja aurait-il un galon de plus que celui de Qmira? Fallait-il que je vive orphelin de père, comme Mohamed Lamjed, pour faire honneur à Sidinna et me faire traiter par lui sur le même pied d'égalité que son autre neveu? Qu'est-ce qui fait qu'un oncle n'est pas équitable avec les enfants de ses sœurs ? Sauriez-vous me répondre, monsieur l'agent ?"
"Il le préférait parce que, soit disant, il n'avait redoublé aucune classe à l'école, alors que moi, j'étais un cancre. A chaque domaine les gens qui lui sont destinés, monsieur l'agent. Moi, je n'étais pas du tout destiné aux livres, cahiers et autres stylos. J'étais beaucoup trop intelligent pour m'intéresser à ces futilités. Je savais que j'allais réussir dans la vie sans me fatiguer à apprendre des leçons. Alors pourquoi perdre mon temps ? Je n'aimais pas les études, ni les gens studieux d'ailleurs, monsieur l'agent. J'ai calé et recalé au primaire jusqu'à me faire rattraper par Mohamed Lamjed en cinquième. Et, enfin, j'ai été renvoyé de l'école pour avoir déserté deux années de suite les examens de sixième."
"Qu'y a-t-il de si bizarre à cela, monsieur l'agent ? Où voient-ils le drame dans tout çà ? Qu'est-il arrivé au monde ? Voici que la terre tourne toujours. Voici qu'elle est toujours aussi vaste, avec toujours une place pour moi et pour les autres. Mieux : avec une place pour moi beaucoup plus confortable que celle de certains autres ; et comprendra qui le voudra. N'est-ce pas là la stricte réalité ? Dites aux gens la vérité. Regardez-moi ! Je maitrise trois langues étrangères alors que Mohamed Lamjed n'en connait qu'une seule. Je parle couramment italien, anglais et français, alors qu'il trouve des difficultés à tenir une longue conversation en français. Et puis, puisque mon père et ma mère étaient fiers de moi, sans diplômes, qu'y avait-il en cela de si dérangeant pour mon oncle? Et en quoi cela l'intéressait-il à la base ? Lui avais-je jamais demandé de subvenir à mes besoins comme il le faisait pour Mohamed Lamjed? "
"J'avais trois ans de plus que mon cousin. Et, malgré cela, Sidinna m'humiliait en nous appelant tous les deux devant lui et en me disant : "Majda est ton maître, tête de mule, voleur, bourricot!" Oui ! C'est ainsi qu'il me disait et il m'obligeait à lui demander pardon et à lui baiser le revers de la main. Et je baisais bien la main de Mohamed Lamjed, oui monsieur l'agent. J'obéissais pour éviter que Sidinna me punisse. Mais, pour te dire la vérité, dès que nous sortions dans la rue, j'attirais mon cousin au delà des remparts et lui assénais la bastonnade des profanateurs de tombeaux. Et, lorsque nous avons grandi un peu, j'ai fait de Mohamed Lamjed mon souffre douleur. Je le corrigeais pour un oui, pour un non. Et, lorsqu'un enfant plus âgé que moi m'agressait, que je ne pouvais pas l'empêcher de me faire ce qu'il faisait et que j'avais honte de le dénoncer à qui pouvait me venger, alors je ne trouvais pas proie plus accessible que Mohamed Lamjed Brikcha. Je pouvais toujours inventer une raison pour le mettre en pièces, afin de me défouler. Ensuite, l'ayant injustement frappé, je le serrais fort dans mes bras, un peu par pitié et un peu par remord ; et nous pleurions ensemble. Dans pareilles circonstances, il ne me dénonçait que rarement. Non seulement parce qu'il avait bon cœur, ce que je lui reconnais, mais parce qu'il savait à quoi il devait s'attendre avec moi."
"Bref, c'était toujours lui le perdant. Même maintenant que nous entamons la quatrième décade de notre vie, regardez-nous bien, monsieur l'agent ! Qui de nous est le gagnant et qui est le perdant, dans la vie ? C'est toujours lui le perdant! Regardez, où il se trouve en ce moment, et où, moi, je me trouve ? Comment je vis, moi, et comment, lui, il vit ? Qu'est ce que je possède et qu'est ce qu'il possède ? C'est vrai que le chalutier et l'immeuble sont inscrits au nom de Carla Piccolo. Mais moi j'ai en mon nom la voiture et le restaurant flottant ainsi qu'une procuration illimitée pour gérer le chalutier. Alors que lui, il a passé toute sa vie entre école, lycée et faculté, jusqu'à ce qu'il ait décroché la maitrise. Regardez ce qu'il a réussi à en faire, de cette maitrise ! Elle lui a seulement servi à en faire des photocopies qu'il distribuait aux employeurs comme moi pour chercher un emploi."
"Je ne l'accuse pas à tort, moi. Posez-lui la question et s'il est sincère, il reconnaîtra que, durant six ans, il avait passé l'examen du CAPES et cherché du boulot sans jamais rien obtenir. Voici tout ce que Mohamed Lamjed Brikcha a gagné de s'être esquinté dans les études, monsieur l'agent."
"Moi, au moins, j'ai vécu ma vie à la "profite de ton temps avant qu'il ne s'en aille!", comme le dit la chanson et comme vous le savez bien. Je l'ai vécue en long et en large, buvant des vins des plus grands cru, mangeant dans des restaurants des plus côtés, voyageant dans les pays les plus lointains, résidant dans les plus grands hôtels et rentrant au pays, chaque été, avec une voiture neuve. Et me voici, après mon retour définitif, installé dans ma ville natale en tant qu'homme d'affaires et propriétaire."


.......


… Attendu qu'il a été rapporté qu'Ameur El Bintou n'avait pas cru l'information faisant état de l'arrestation de l'accusé et qu'il s'était mis, depuis qu'il avait appris la nouvelle, à l'évoquer à tort et à travers, exagérant, à chaque occasion l'expression de ses doutes quant aux intentions de sa cousine Rachida qui avait informé les habitants de Beb-Tounes que son frère avait été retrouvé vivant… Attendu que ce comportement qu'il a adopté, a participé à alimenter les doutes à propos de sa responsabilité dans la création et la propagation, à dessein, de la rumeur qui avait fait état de la noyade de Mohamed Lamjed Brikcha avec les victimes du bateau des "brûleurs" au large de La Chebba… Attendu qu'il a été prouvé que Ameur El Bintou avait déclaré, qu'indépendamment du fait que Mohamed Lamjed Brikcha aurait tenté de "brûler", mais aurait péri en mer, ou qu'il se serait éclipsé un long moment pour ensuite tenter, à nouveau, la "Harga" et se faire arrêter, cela ne voulait dire pour lui qu'une seule chose : à savoir que son cousin n'avait finalement trouvé pour sa vie aucune autre solution que "le chemin des Italiens", comme il dit… Et attendu qu'El Bintou n'a pas caché s'être réjoui des malheurs de son cousin, lors d'une cuite dans son restaurant flottant en présence de sources sures qui nous ont rapporté ses propos textuellement, comme suit :
"Le chemin des Italiens est mon chemin à moi! Je m'y suis engagé bien avant lui, avec cette différence de taille : c'est que j'y suis allé avec les honneurs avant d'en revenir Homme ; alors que Mohamed Lamjed Brikcha n'a même pas réussi à respirer l'air de leurs plages ! Il est vrai que certains prétendent que ma femme, Carla Piccolo, serait une ancienne prostituée. Mais à supposer qu'ils aient raison, quelle importance y aurait-il à ce genre de détails ? J'ai de tout temps "dévoré" les femmes comme on avalerait des spaghettis et je continue toujours d'en "dévorer" des putes, des mariées et des pucelles… Celle qui n'écarte pas les jambes contre de l'argent le fait après avoir mangé et bu ici, ou en contre partie d'un flacon de parfum voire, quand elles sont des bourgeons tendres, en contre partie d'une simple rose rouge et d'un faux soupir. Quant à Carla Piccolo, elle connait lucidement sa juste place sachant ouvrir un œil pour en fermer un autre, consciente que c'est un grand honneur pour toute femme de se faire monter par Ameur El Bintou."
…Attendu qu'il a été rapporté aussi que, le soir où on avait eu la certitude que Mohamed Lamjed Brikcha était bien en vie, Ameur El Bintou serait resté seul à bord de son restaurant flottant, après le départ de ses clients et qu'il se serait mis à boire immodérément jusqu'à la fin de la nuit, finissant par croire qu'il était seul dans la Marina et tenant, sans se contrôler, des propos que nous rapportons ici comme ils nous sont parvenus, en raison de l'importance qu'ils auraient dans l'éclairages de certains côtés encore non élucidés de l'affaire de l'accusé. C'est qu'El Bintou serait entré en transe criant à l'adresse de son oncle Raies Nasser :
"Majda est ton maitre" qu'il me disait… Et maintenant, Sidi Nasser Jaïed, peux-tu jeter un regard sur la vie et me répondre ? Qui de nous est le maitre de qui ? Tu étais un tyran, Sidinna ! Tu me détestais sans raison. Comme ça, pour de simples soupçons. A supposer même que ce qu'on t'avait dit de moi était vrai. Je n'étais qu'un enfant et les grands étaient sans pitié. Qui est amené à faire quelque chose sous la contrainte est considéré comme ne l'ayant jamais faite. Je te pardonne mon cher oncle, et pour te prouver que j'ai un cœur plus tendre que le tien, voici que je récite la Fatiha sur ton âme depuis la Marina… Je ne sais pas si Dieu va entendre la prière d'un ivrogne comme moi, mais Dieu t'aie dans sa miséricorde, Sidinna !"
"Miséricorde, bien sûr, mais à la mesure de ton action, Sidinna ! Et ton action, moi, je la connais bien. Repose en paix dans ta tombe, car je ne dirai à personne que tu étais, depuis tout petit, promis à Radhia Bent Kahla. Je ne dirai pas non plus qu'elle avait accepté de se marier à Néji Laajel pour te punir d'avoir manqué de zèle dans l'épargne en vue de réunir l'argent de sa dot et de remplir les conditions exigées par son père pour t'accepter comme gendre. Je ne dirai pas qu'elle avait regretté, ensuite, là où les regrets ne servaient plus à rien, ni que tu étais resté toute ta vie célibataire à cause d'elle, jusqu'à ce que le cancer ait eu raison de toi. Et tu vois que je n'accorde aucun crédit aux rumeurs faisant état de ton empoisonnement."
"Dieu aie pitié de ton âme, Sidinna, à la mesure de ton action bien sûr ! Car personne n'est préservé du péché. Et ton action, j'en ai entendu parler de mes propres oreilles, chez nous, lors d'une dispute entre maman et Radhia Bent Kahla. Maman avait qualifié de honteuses les fréquentes visites de Radhia chez tante Khadouja. Tout le monde savait que tante Khaddouja était l'amie intime de Radhia Bent Kahla. Quelle honte y aurait-il, alors, Sidinna, à ce que cette dernière se rende souvent à la maison des Brikcha ? Ou bien fallait-il croire ta sœur Qmira qui expliquait ton déménagement de la maison des Jaïed à celle des Brikcha par ta volonté de bien exploiter les amitiés de ta sœur au profit de tes sentiments?"
"Dieu aie pitié de ton âme, Sidinna, mais était-ce vrai que la raison des visites de Radhia, la femme de Laajel, à la maison de son amie, était en vérité de t'y retrouver dans ta chambre ? Etait-ce par hazard que Radhia Bent Kahla n'était tombée enceinte qu'à sa troisième année de mariage, soit tout juste quelques mois après ton déménagement dans la maison des Brikcha? Ou bien est-ce aussi le hasard qui a fait que Radhia Bent Kahla n'aie eu aucun autre enfant après Aïchoucha ?"
"Evidemment que je ne dévoilerai rien, de tout ceci. Mais qui me garantit que Mohamed Lamjed n'était pas au courant? N'était-ce pas dans sa chambre que tout se passait ? Etait-il débile au point de n'en avoir rien remarqué ? Ou bien était-ce possible que, profitant de la venue d'Aïchoucha chez les Brikcha pour prendre des cours supplémentaires d'arabe, Mohamed Lamjed se soit avisé de vérifier l'authenticité de ce fameux dicton qui dit "renverse la casserole…" et, trouvant que "toute fille prend, effectivement, le chemin de sa maman", il ait conduit son élève là où tu avais conduit sa mère, à cette même chambre qui fut le théâtre de semailles dont la moisson allait avoir lieu dans la maison des Laajel ?


.......


Attendu qu'il a été rapporté qu'Ameur El Bintou fréquente assidument la maison de Néji Laajel, en compagnie de sa femme Carla Piccolo ; tout comme Néji Laajel fréquente la maison de Ameur El Bintou, en compagnie de sa femme Radhia Bent Kahla et, parfois, tout seul… Attendu qu'il a été prouvé qu'une demande de retrait du recours en reconnaissance de paternité, présenté par Néji Laajel pour faire valoir les droits de sa petite fille Mayara, avait été déposée. Et ce après l'arrestation de Mohamed Lamjed Brikcha et le message que ce dernier aurait envoyé, par l'intermédiaire de sa sœur Rachida, à Aïchoucha Bent Laajel… Attendu aussi que des rumeurs se sont répandues concernant une relation douteuse entre Carla Piccolo et Néji Laajel, relation qui serait encouragée par Ameur El Bintou, lui-même… Et attendu que les vérifications ont prouvé la résidence d'Ameur El bintou et de sa femme, à trois reprises, dans un hôtel, simultanément au séjour de Néji Laajel, seul, dans ce même hôtel… Et attendu que d'autres rumeurs commencent à faire état d'un arrangement par lequel Ameur El Bintou reconnaîtrait la paternité de la petite Mayara, avant de divorcer de Carla Piccolo pour épouser Aïchoucha, quitte à ce que Néji Laajel oblige sa fille à accepter ce mariage arrangé… Attendu qu'à la fin de ces investigations préliminaires, nous avons fait part à Ameur El Bintou des doutes que nous avions sur lui, depuis l'arrestation de l'accusé… Attendu que nous lui avons demandé de se tenir à la disposition de l'enquête afin de lui poser, la prochaine fois, des questions précises sur un zodiaque pneumatique qui manquerait aux équipements de son chalutier, sur une éventuelle relation professionnelle illégale qui le lierait à son cousin, l'accusé Mohamed Lamjed Brikcha, et qu'il nous aurait cachée lors de ce premier contact avec lui, ainsi que sur ses réactions aux différentes rumeurs qui circulent à Beb-Tounes. El Bintou a insisté pour conclure cet entretien en ajoutant textuellement ce qui suit:
"Je voudrais vous prévenir, monsieur l'agent, contre les effets déroutants des bavardages de Beb-Tounes. Si vous ouvrez les oreilles à tout ce qui s'y dit, vous allez vous fatiguer. Personnellement, je suis entièrement disposé à vous accueillir quand vous le voulez et à répondre à toute invitation que vous m'adresseriez pour m'interroger là où vous le voulez. Je répondrai à toutes vos questions, en toute franchise. Mais vous allez aboutir à un seul résultat : constater que ma conscience est tout ce qu'il y a de plus tranquille."
"Quant à ma réaction au brouhaha des ruelles, je vous avoue, dès maintenant, que je ne regarde pas trop les feuilletons mexicains, ni les turcs d'ailleurs. Et je ne pense pas que regarder de tels feuilletons, en croyant tout ce qui s'y raconte, puisse servir des enquêtes aussi sérieuses que celle que vous menez ici."


"Je voudrais seulement vous dire, avant de vous saluer, que les rapprochements et l'échange de visites entre familles amies, n'implique pas toujours l'échange des épouses au lit, que la réalisation d'affaires commerciales en commun, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la ville, et la résidence dans un même hôtel, ne sont pas des actes interdits par la loi. Et, pour vous soulager à propos d'une question que vous n'avez ni soulevée ni déclaré votre intention de le faire, la prochaine fois, sachez que le recours à la signature d'un document par lequel je reconnaîtrais la paternité de la petite Mayara, fille d'Aïchoucha, était une idée de Carla Piccolo. Elle l'avait soumise à Radhia Bent Kahla, alors qu'Aîchoucha était encore enceinte. Il était question que je divorce, que je fasse un mariage blanc avec Aïchoucha afin de pouvoir reconnaître son enfant et que j'en divorce ensuite pour revenir à ma femme. Tout cela pour que la Petite Mayara ait un nom de famille, sans qu'il soit question du moindre recours en justice. Mais c'est Aïchoucha qui avait refusé l'idée à la base.


Le Haïkuteur …/… à suivre

mardi 11 novembre 2008

Hommage au Haïkuteur


Hommage au Haïkuteur


ouverture des travaux présidée par le gouverneur de la région de Ben Arous, monsieur Fayez Ayed


"Mon année sur les ailes du récit n'a pas manqué d'événements inattendus et de belles surprises. Ainsi,
- Après l'honneur qui m'est revenu de présenter la professeur Rachid Idriss le narrateur, au club de la nouvelle Aboul Qassim Chebbi, et de rédiger ce "texte événement" qui a nécessité la rédaction d'un supplément de mon manifeste et dont la publication sur les pages de 'L'Atelier du Haikuteur" a pris trois semaines,
- Après ce virage qui m'a conduit aux confins du Sahara en plein été, en prélude à l'aventure que va être la création de "La Boussole de Sidinna", dont la publication se poursuit encore ici en même temps que sa rédaction,



Monsieur le Gouverneur de Ben Arous remettant au Haikuteur le tableau d'honneur et le torphée de l'hommage



Le Haikuteur prononçant son allocution à l'occasion de l'hommage qui lui a éé rendu


- Voici que les jours de "mon année" me réservent l'heureuse surprise de la création, par mon ami le grand poète Souf Abid, d'une manifestation culturelle qui sera d'une grande importance et d'un grand apport pour la littérature tunisienne. Il l'a appelée "Rencontre des écrivains de l'Internet en Tunisie". Et comme si sa création ne suffisait pas, à elle seule, pour constituer son cadeau pour moi, voici qu'il me surprend, lui et ses coéquipiers qui ont cru en son rêve fondateur, en nous rendant, à mon ami l'écrivain expatrié Kamel Ayadi, et à moi, l'hommage de cette première session.


Kamel Ayadi se trouvant en Allemagne, la présence de son nouveau livre édité en Tunisie a atténué son absence



Et puis notre amie commune, l'écrivaine Essya Skhiri a été là pour parler au nom de l'absent,
elle qui a toujours la gentillesse de se mettre à la place de tout un chacun, chose rare de nos jours.

Alors merci, Souf, pour cette belle surprise. Merci au commissariat régional de la culture et de la sauvegarde du patrimoine, qui a adopté cette manifestation, qui nous a réunis dans sa merveilleuse bibliothèque régionale et qui a réservé aux écrivains un accueil des plus chaleureux. Merci à monsieur Fayez Ayed, gouverneur de la région, qui a tenu à assister personnellement à toute la séance d'ouverture, et qu'i m'a fait, personnellement, l'honneur de me rendre solennellement l'hommage de cette première session. Et en fin, toutes mes félicitations à mon ami Kamel Ayadi, qui a bien mérité cet hommage. Quoi que j'aurais voulu qu'il ait été parmi nous, ne serait-ce que par visioconférence, pour que la fête soit entière.

Heureux comme deux grands enfants, Souf Abid (à Gauche), initiateur de la rencontre et Lassaad Saïd, commissaire régional à la culture, ouvrent le bal. Mais, pendant deux jours, ils vont suer pour que tout aille bien. Merci à tous les deux et à leurs coéquipiers.

Gouverneur de la région, monsieur Fayez Ayed tient à laisser la table de la présidence pour prononcer son discours d'ouverture debout.
"Je suis l'un de vous" nous dira-t-il.



Et pour preuve, monsieur le gouverneur reste jusqu'à la fin de la réception pour encourager aussi bien les participants que les organisateurs. Ici, avec les responsables régionaux et leur invité, Le Haikuteur.
Cette page comprend :

- Des photos en majorité offertes pas le commissariat régional à la culture. Nous l'avons réparties sur la totalité de la page.
- Une traduction rapide de la déclaration finale et des recommandations de la rencontre.
- Des liens qui conduiront les arabisants à une page sur l'Atelier du Haïkuteur en langue arabe où ils peuvent lire la couverture en langue arabe des travaux de cette rencontre par le journal Assabah (couverture signée Mohsen Ben Ahmed, nous avons conservé l'intégralité du texte mais dans une autre mise en page et en y intégrant les photos) ainsi que mon intervention dans la cérémonie d'hommage (traduction suivra) Arabisants cliquer ici.

Première rencontre des écrivains de l'Internet en Tunisie


Déclaration finale et recommandations



La bibliothèque régionale de Ben Arous (Tunisie) a accueilli les 8 et 9 novembre 2008 la première session constitutive de la rencontre des écrivains de l'Internet en Tunisie, organisée avec le soutien du commissariat régional à la culture et à la sauvegarde du patrimoine de Ben Arous.
Dans le cadre de ses activités, la rencontre a rendu hommage aux deux écrivains Salem Labbène et Kamel Ayadi qui font partie des premiers écrivains tunisiens à inscrire leur pratique littéraire dans le paysage numérique. Des communications ont en suite été données traitant des différents aspects de la littérature, de l'Internet et des techniques qui s'y rapportent. Des témoignages ont été apportés par des écrivains actifs dans le paysage numérique.


Les travaux vont être présidés, pour les comunications scientifiques, par le grand poète, traducteur ( de Garcia Markez entre autre) et romancier, Mohamed Ali Yyussefi (au centre) et pour la table ronde de la deuxièeme journée par l'invité d'honneur, Salem Labbène. La cloture va être présidée par le poète Souf Abid et le commissaire régional à la culture, monsieur Lassaad Saïd.

La seconde journée a été marquée par la tenue d'une table ronde consacrée à un débat autour des préoccupations des écrivains participant à cette rencontre. elle a abouti à la formulation d'un ensemble de propositions et de recommandations à même d'apporter un plus à cette initiative en vue d'ancrer la manifestation dans le paysage culturel tunisien et de lui garantir soutien et rayonnement.
En attendant la rédaction du rapport final et des des recommandations, on a eu droit aussi à des lectures poétiques

A l'issue de leurs travaux, les participants à cette première rencontre des écrivains de l'Internet en Tunisie, tout en remerciant le commissariat régional à la culture et à la sauvegarde du patrimoine de Ben Arous et en mettant en valeur l'esprit fondateur qui l'a animée lors du lancement de cette manifestation tiennent à:
· lancer un appel au ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine pour soutenir cette initiative fondatrice et en faire une occasion qui rassemble les écrivains de Tunisie et du monde arabe.
· Appeler au développement d'un site Web autonome réservé à cette rencontre, afin de consacrer la culture de l'édition numérique et de permettre une communication plus étroite entre les participants eux même et entre tous les écrivains d'une manière générale.
· Appeler les autres écrivains, encore réticents, ainsi que les institutions culturelles à s'inscrire dans le paysage numérique, les incitant à s'y mettre sans délais.
· Inviter les organisateurs à prévoir, dans les activités de la prochaine session, l'organisation d'ateliers pratiques consacrés à la promotion de la littérature numérique et à la vulgarisation des techniques de l'édition sur Internet et de l'ingénierie culturelle en général.
· Appeler à l'association, dans les travaux de cette rencontre, des écrivains résidant à l'extérieur de la Tunisie, et ce en exploitant les possibilités qu'offrent les techniques de la visioconférence et de la téléphonie par Internet.
· Appeler les institutions culturelles et éducatives à accorder à la culture numérique, dans leurs programmes, la place qui sied à son importance.
· Appeler les organisateurs à accorder davantage d'importance, dans les travaux des prochaines sessions, à la question des droits d'auteurs touchant à l'édition numérique et à la sensibilisation des écrivains, afin qu'ils bénéficient des avantages que leur accorde la loi.
· Appeler à la création d'une bibliothèque électronique spécialisée dans la littérature tunisienne.
· Appeler les autorités concernées à faire bénéficier les écrivains qui en ont besoin de la possibilité d'acquérir des ordinateurs subventionnés et d'accéder à l'abonnement internet à des prix préférentiels.
· Inciter les écrivains en herbe à s'adonner dès leur jeune âge à l'édition numérique.
· Appeler les médias, écrits et audiovisuels, à accorder davantage d'intérêt à ce qui se fait sur la toile en matière de création culturelle.

Photo de groupe après les travaux

(les organisateurs, les présidents de séance, les rapporteurs et quelques amis journalistes)


Signé
Les rapporteurs de la rencontre

Salah Souissi et Faouzi Dimassi

vendredi 7 novembre 2008

La Boussole de Sidinna / 6 La zone de gravité

Mon année sur les ailes du récit (36/53) La Boussole de Sidinna (6/23) – 7 novembre 2008


Chemin second

Des silex sur les dunes

Orientation première

La zone de gravité

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur


Très urgent.
De Ghailan (
Ghailan79@yahoo.fr)
A Mayara (
Mayaara86@gmail.com)



Mayara chérie,
Ton portable est éteint à longueur de journée. Sur Skype ton profil est toujours éteint. Même ta chambre, mon Aïchoucha, baigne dans le noir. Tout à l'heure, j'ai osé frapper sur le fer forgé de ta fenêtre, comme convenu en cas d'urgence. Mais Aucune vie dans la maison des Laajel, à ce qu'il paraît !
Je suis contraint de partir immédiatement en voyage. A partir de maintenant, il ne m'est plus possible de te contacter, vu que j'ai abandonné mon téléphone portable et que je ne suis pas certain de pouvoir accéder à Internet avant mon retour. Il ne nous reste plus, alors, qu'à nous rencontrer dans le rêve. Tu me manques beaucoup Mayara. Ah, si nous pouvions nous rencontrer, à nouveau, au large de la grande Meïda ! Tu te souviens ? Je t'y invite. J'insiste pour que tu viennes m'y rendre visite. N'aie pas peur du froid, mon amour. Les vagues sont encore tièdes. Je t'attendrai dans mes prochains rêves. Ne tarde pas.
Amour éternel
Ton Ghailane toujours – Mohamed Lamjed Brikcha
PS: Je pars en emportant la boussole de Sidinna. Elle a maintenant recouvré toutes ses composantes et elle tient bien grâce à une micro-vis en or massif et un écrou en argent. Il s'en dégage une chaleur qui me charge d'une énergie merveilleuse. Je t'en parlerai en détail, au premier rêve à venir. Je t'attends plus que fébrilement.
Doux baisers.

*****

… Enfin je respire à grands poumons. Il semblerait que maintenant tout, ou presque tout, est à la place qu'il faut. Aïchoucha recevra mon message dès qu'elle se connectera sur la toile. Khaddouja Jaïed se réveillera, le matin, pour trouver l'information chez Rachida. La boussole de Sidinna est bien avec moi, attachée à ma ceinture. Et moi, je suis dans la voiture de "Louage" (taxi en commun pour longues distances) qui me mènera à Tazoghrate. Toutes les ficelles de mon récit sont entre mes mains. Enfin, je les détiens moi-même, tout seul.
Il ne me reste plus, maintenant, qu'à voir cette voiture s'éloigner de Beb-Tounes encore quelques kilomètres. Ainsi, je me libèrerai définitivement des effets de ses vents, si jamais ceux-ci décidaient de souffler, à nouveau, dans des directions contrariantes. Tous les voyageurs dans cette voiture sont endormis. La route est, paraît-il, longue. Aucun d'eux, ni quiconque hors des remparts de la ville, n'aurait l'idée de forcer la porte de mon rêve ou de mettre la main sur mon récit pour se l'approprier à mes dépends.
Le seul hic est que, maintenant, l'aiguille de la boussole, qui doit normalement en permanence indiquer le Nord, pointe exactement vers le contraire de la direction prise par la voiture. Est-ce parce que cette boussole a été abandonnée durant de longues années? Ou bien est-ce la spécificité même de cette boussole en particulier, qui se distingue de toutes les autres par sa capacité à pointer vers le Sud ?
Ce serait un projet merveilleux, s'il se trouvait dans ce monde une boussole pour indiquer, enfin, le Sud.
Mais j'aurais, s'il en est ainsi, une responsabilité double au cours de ce voyage. Il me faudrait à la fois protéger la boussole et rechercher son propriétaire. Je vais donc commencer par la cacher, bien enfouie dans mes sous-vêtements, bien à l'abri des regards des curieux et des bandits de grands chemins. Ce sera quand même bien une lourde responsabilité. Mais je me sens à la hauteur de la tâche et je saurais ne pas décevoir Sidinna et "BBé" Sabrya. Car une énergie surhumaine m'habite désormais.
Maintenant, j'ai à mon service le rêve et la réalité, la nuit et le jour, le passé, le présent et l'avenir réunis. Et j'ai cette porte sur l'au-delà, qui s'est ouverte pour moi et par laquelle me sont arrivés des signes effectifs de soutien. Des signes que je reçois, maintenant, concrètement pendant mon éveil, alors que je me contentais de les déceler lors de mes rêves.
Les vents opposés vont-ils enfin cesser de souffler sur Beb-Tounes ? Telle est la question.
En tout cas, c'est ce qu'annonçait cette quiétude qui régnait, tout à l'heure, à l'intérieur de la porte-chicane, au moment où j'y suis passé pour accéder à l'extérieur des remparts. Et ce n'est là que l'un des signes confirmant que je me trouve bien dans la zone de gravité dont vient de me parler, à l'instant, "BBé" Sabrya.
En versant derrière moi l'eau de son seau en matière plastique blanche, comme le font toutes les mères du Rbat, au moment où leurs enfants sortent de chez eux pour un long voyage, elle m'a dit : "je n'ai pas peur pour toi, Mejda. Vas-y, Dieu est avec toi ! Tu es maintenant dans la zone de gravité." Oui ! C'est ce qu'elle m'a dit textuellement. "BBé" Sabrya est muette. Mais quand elle parle, elle ne dit que la vérité. Et j'ai constaté, preuve irréfutable à l'appui, que son sixième sens ne se trompait jamais.
A peine ai-je fait deux pas à l'intérieur de la chicane de Beb-Tounes, que souffle sur moi une brise de l'encens de Grand-mère Doraïa Jaïda. Et sa voix de se lever priant pour moi : "Que Dieu t'envoie toujours un compagnon pour tes difficiles moments, mon cœur!" Je sens mon cœur battre très fort. Je lève mes yeux pour regarder la voute et vois une ouverture semblable au sourire de Grand-mère. De cette ouverture fusa une lumière tiède qui m'éclaire le visage.
Ce n'est là qu'une première preuve. La seconde viendra tout de suite après : aussitôt sorti des remparts de la ville, la voiture de "Louage" arrive vers moi, venant du coté de la mer. On dirait qu'elle m'est tout spécialement destinée. Elle s'arrête juste devant moi, à côté du lampadaire municipal. Son conducteur en descend et m'invite tout poliment : "alors frère, tu vas sur le chemin de Dieu?"
Je lui réponds : "Bien sûr, nul ne va nulle part ailleurs!" Et je lui tends mon petit sac qu'il range dans le coffre avec les valises des voyageurs. Je m’installe sur le siège arrière, à côté d'une vieille dame qui a un beau visage, semblable à celui de Grand-mère Doraïa Jaïda. Mais un visage plutôt brun, avec un tatouage sur le front et deux autres sur les joues. La vieille dame me sourit un moment en silence. Puis elle referme les yeux et se rendort. Et voici mon voyage qui commence, enfin !

*****

… J'ouvre les yeux. Des claquements de portières et des mouvements de corps secouent la voiture. Combien de kilomètres avons-nous parcouru jusqu'ici? Il emble que la route est encore longue… Je regarde à travers les vitres. Je ne vois que le noir épais de la nuit qui enveloppe la voiture. Je devine les voyageurs s'éloignant en direction d'une lueur qui paraît être assez loin de la route goudronnée. Il se peut que ce soit un café. Car je crois avoir entendu le conducteur de la voiture me proposer de descendre boire un café et lui avoir répondu sans réfléchir que je préférais me rendormir.
Aucun voyageur n'est resté dans la voiture. C'est en tout cas ce que j'ai cru, avant de refermer les yeux. Mais, voici des doigts tendres qui commencent à me caresser les cheveux. Est-ce à dire que la vieille dame qui était à côté de moi, est restée en voiture, elle aussi ? Mais comment se permettrait-elle de me caresser les cheveux de cette manière, comme si j'étais son enfant ou son amant ?
J'ouvre à nouveau les yeux. Ô mon dieu ! Depuis combien d'années n'ai-je pas vu ce visage familier, y compris dans mes rêves ? Ne me pince pas, petite maman, s'il te plait ! Laisse-moi dans le rêve encore un instant, encore une minute seulement:
- Sawana ! Comme tu me manques Sawana ! Où étais-tu passée pendant toutes ces longues années ? Enfin, tu acceptes de venir me rendre visite dans mon rêve !
- Je viens plutôt te rendre visite dans ton éveil, Mejda. Exactement comme je le faisais lorsque tu étais enfant. Tu t'en souviens ?
- Bien sûr que je m'en souviens. Mais, avant, tu n'avais pas l'habitude de venir déguisée. Et voici que maintenant tu te caches des gens. Tu étais bien déguisée en vieille femme, à l'instant !
- Mais non, je ne me suis jamais déguisée. Je viens juste d'arriver et je n'ai aucun rapport avec la vieille dame qui, elle, est partie et reviendra avec les autres.
- "BBé" Sabrya ne m'avait donc pas menti. Je suis bien dans la zone de gravité. J'en suis très heureux, Sawana ! Mais, en vérité, j'ai peur. Peur d'échouer dans ma mission, Sawana ! C'est en fait la première fois que je sors de Beb-Tounes, sans que mon retour ne soit attendu au Rbat pour le jour même. C'est pourquoi j'aurais besoin de quelqu'un pour m'accompagner dans mon voyage. Et nul, pour quelqu'un comme moi, n'est meilleure compagne que toi! Voudrais-tu rester avec moi, Sawana ?
- Voici qu'ils reviennent. Tais-toi maintenant et rendors-toi. Je te retrouverai quand il fera jour. Tu seras, alors, bien arrivé.


… Je sens, encore une fois, battre très fort mon cœur. Avant que les portières ne s'ouvrent et que les voyageurs ne remontent en voiture, je lève les yeux pour regarder le plafond et vois une petite ouverture fendre la tôle. Une ouverture semblable à celle déjà vue dans la voute de Beb-Tounes, qui rappelle toujours le sourire de ma grand-mère et d'où la même lumière tiède fuse pour m'éclairer à nouveau le visage. Quand les voyageurs ouvrent, enfin, les portières et montent, l'odeur d'une mixture d'encens et de café se répand dans la voiture.

Le Haïkuteur …/… à suivre