jeudi 30 octobre 2008

La Boussole de Sidinna / 5 Une vis d'outre horizon

Mon année sur les ailes du récit (35/53) La Boussole de Sidinna (5/23) – 31 octobre 2008


Chemin premier
Mon étoile au nord

Orientation cinquième
Une vis d'outre horizon

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur



N'aie pas peur Khaddouja, je sais encore rêver !

N'aie pas peur! Même si les vents éparpillaient toutes les images et qu'ils noyaient toutes les visions dans les eaux profondes de la mer, je saurais encore rêver. Je sais encore rêver, petite maman. Des rêves, j'en ai des fleuves, j'en ai autant que les vagues dans leurs flux et leurs reflux. Un rêve se briserait-il sur la plage de la réalité que, de ses écumes, naîtrait un nouveau songe.


Pardonne-moi "Di Jay", écoute-moi et réfléchis. Ne te laisse pas tromper par les opinions des autres!

Pardonne-moi, "Di Jay", et crois-moi, exécuter la recommandation de Sidinna est le seul but de ce voyage. Je ne vise rien d'autre. On t'a menti en te disant que je partais, poussé par mon nouvel échec aux examens du CAPES. Laisse-les extrapoler, Khaddouja! Laisse-les tirer les conclusions qu'ils veulent. Je connais ma juste valeur, moi, et je sais ce que cherchent ces semeurs de doute.

Pardonne-moi, "Di Jay", et crois-moi. Je pars en direction du nord, pour un village que je ne connais pas. Sidinna m'en a donné le nom. Je crois que c'est Tazomrane ou Tamozrane. De toute façon, je trouverai le chemin qui m'y mènera. J'y chercherai, ainsi que dans les villages alentours, le propriétaire de la boussole. Je le trouverai et la lui remettrai. Et puis je reviendrai aussitôt auprès de toi. Voilà tout!

On t'a menti en te disant que mon rêve d'horizon dévoilait ma volonté de "brûler". Pourquoi "brûlerais-je" alors que le plus beau pays est le mien, que la plus belle Houma est le Rbat, que la plus belle porte est Beb-Tounes et que la plus belle impasse est l'impasse Brikcha ? Pourquoi "brûlerais-je", "Di Jay", alors que la plus belle des mamans c'est toi, ô Khaddouja Jaïed, ô femme de Raës Brikcha?

Allez, souris et pardonne-moi. Ce qui est passé n'est plus. Dieu te compensera tes pertes. Tout ce qui se dit est emporté par les vents vers le néant. Seuls restent les rêves. Et les plus durables d'entre eux, petite maman, ce sont les rêves d'horizon.


Que c'est-il passé, "Di Jay" ? Faut-il qu'à chaque fois que je rêve et que je commence à te raconter ma vision, quelqu'un vienne, de l'extérieur de mon imagination, mettre la main sur le fil de l'histoire, le tirer à lui, m'imposer le silence et se faire mon porte parole ? A chaque fois qu'ils se mêlent de notre discussion, qu'ils s'emparent de mes rêves et qu'ils vont loin dans leurs extrapolations, faut-il que tu te détourne de mes propos et que tu te mettes à écouter ce qu'ils disent ? Connaissent-ils mieux que moi les détails, les objectifs et la juste signification de mes rêves? Ou bien serait-ce que tu sois encore en colère contre moi, en raison de ma révolte, le jour où tu n'avais pas cru que j'avais raté mon concours, à nouveau ?

… Je me tenais comme sur des braises, en attendant qu'ils annoncent les résultats. Dans la tranquillité de Khaddouja Jaïed, ce soir là, il y avait quelque chose d'étrange, de douteux même! Et quand, le lendemain, la décision de me recaler à nouveau a été annoncée, je vis maman s'écrouler ne croyant pas du tout que c'étaient bien les résultats définitifs. Alors je suis devenu fou! Il était clair qu'elle avait été roulée et qu'elle était tombée dans le piège comme l'étaient avant elle plusieurs mamans. Et elle n'avait plus qu'à avouer.

Comment ne me révolterais-je pas, petite maman, alors que tu avais hypothéqué tous tes bijoux pour donner l'argent à une étrangère? Comment ne me révolterais-je pas, alors que je t'avais averti, depuis la première année, que je refuserais d'aller travailler si une intervention de quiconque était derrière mon recrutement? Est-ce logique de refuser le favoritisme d'un côté pour accepter, de l'autre, que tu sacrifies tes bijoux pour payer le prix de mon recrutement ? Cela s'appelle corruption, "Di Jay", corruption, tu entends ! Aurais-tu vraiment accepté que moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je devienne professeur moyennant des pots de vin ? Comment ne me révolterais-je pas, alors ? Et puis où est-elle maintenant, cette bienfaitrice ; que tu puisses au moins récupérer ton argent ? Où est-elle, maintenant qu'il s'est avéré qu'elle ne travaillait pas à la direction de l'enseignement et que personne n'a sur elle la moindre information?

… J'étais cruel avec Khaddouja Jaïed. Je n'avais jamais été aussi sévère auparavant. Je n'avais même jamais élevé la voix en sa présence. Mais là, je criais et je cognais ma tête contre la colonne de la chicane jusqu'à en faire couler le sang.

La blessure de mon orgueil était encore plus profonde, "Di Jay". Pardonne-moi ma révolte. Et que Dieu te compense ce que tu as perdu. Si tu le veux, petite maman, "Fais-moi des reproches, gifle-moi", comme dirait le chanteur! Allez, c'est vrai, gifle-moi et pardonne. Je n'ai d'autre richesse que la bénédiction de mes parents, moi. Alors ne te fâche pas contre moi et ne me prive pas de ton sourire. Et puis ne refuse pas d'écouter mes rêves. Qui m'écouterait alors, petite maman si, toi, tu te détournais de moi?

Laisse-les tomber, "Di Jay", et écoute-moi ; puis interprète le rêve comme te le dictent tes sentiments. Et, si d'autres voix se levaient au dessus de la mienne, alors pince-moi! Que je me réveille du cauchemar de ma réalité, que je reprenne mon beau songe et que je récupère le fil de l'histoire, afin de te raconter ma vision. Et, lorsque je me tais, "Di Jay", ne crois pas que je suis atteint de mutité, comme "BBé" (1) Sabrya Bent El Melsen.

Tiens, à propos de "BBé" Sabrya, sais-tu, "Di Jay", que son silence n'est pas mutité et qu'elle n'est pas incapable de parler, comme vous le croyiez ? Crois-moi, Khaddouja, elle a parlé! Sabrya, La fille de ta voisine, a parlé. J'ai entendu sa voix dans mon rêve. Elle avait une voix suave et la langue encore plus déliée que celles des parleurs. C'était le plus beau rêve de ma vie, "Di Jay"! Ne t'ai-je pas dit que mon espoir le plus ardent, depuis que j'ai commencé à comprendre, était de voir "BBé" Sabrya El Melsen parler et nous éclairer sur ce que nous voyons bouillonner en elle, sans jamais rien en capter ?...

*****

Que dois-je dévoiler à Khaddoujà Jaïed de mon rêve de "BBé" Sabrya, et que dois-je lui en taire ? Je sais que certains détails de mes rêves l'indisposeraient. Mais comment lui cacher un événement pareil?

… Sur le bord de la muraille, je marche comme sur le droit chemin divin de l'au-delà. Partant de l'angle du mur du silence, mon objectif est d'atteindre le toit de la chicane de Beb-Tounes. L'horizon se voit au loin, toujours noir, au-delà d'une mer dont la mémoire arrive à restituer l'image sans que l'œil n'arrive à en distinguer l'eau du ciel… Je marche en direction de l'étoile du nord, la lune à moitié éclipsée… Pris de peur, j'avance difficilement, mettant un pied devant l'autre, ouvrant mes ailes au vent et suivant un chemin médian. Ainsi, arriverais-je à garder mon équilibre et à éviter de tomber : à droite, m'avaleraient les ténèbres des ravins et, à gauche, se briseraient mes os sur les galets du trottoir des remparts.

Je me retourne, soudain, pour regarder les toits. Notre maison et celle des El Melsen sont jumelles. Aucune limite ne les sépare. Un vaste espace d'où jaillissent des lumières blanches immaculées et dont les contours baignent dans le noir. Un espace duquel s'évapore l'odeur de la chaux encore humide et des encens. La vapeur monte transparente et vibrante s'élevant vers la voute du ciel avec ses réverbères éparpillés tels des grains de diamant.

Près du débarras sur notre toit, un corps chétif enveloppé dans un drap blanc et s'orientant vers la "Qibla", lève les bras au ciel lançant des supplications qui rappellent les psalmodies de Grand-mère, Doraïa Jaïda, dans des cercles de "Dhikr" jaillissant d'un temps plus lointain que l'horizon de ma tendre enfance.
J'ai avec mes rêves une relation de flux et de reflux, dont la plage est la nuit de mon sommeil et l'horizon le jour de ma naissance. Aussi n'est-il pas étrange que je me voie adolescent, enfant ou même bébé dans les bras de Khaddouja Jaïed et que je croie toujours ce que montre mon rêve. Ce qui me manque, c'est seulement cette force de flux qui me projetterait au delà de ma nuit de sommeil, afin de voir ce que me réserverait l'avenir.

… Soudain, je me vois enfant, sautant du haut des remparts de la ville vers le toit de notre maison. La voix de Khaddouja Jaïed criant de douleur, me rattrape par derrière tentant de m'arracher à une mort certaine. Et moi je cours sans faire du danger le moindre cas. Fuyant la colère de maman, je tente de me jeter sur le dos de Grand-mère, espérant qu'elle interrompe ses prières et me balance de son dos dans ses bras, comme elle l'avait toujours fait pour me cacher. Mais le corps chétif se tourne soudain vers moi. Et les cris de Khaddouja de grincer dans mes oreilles comme des bruits de freins de voitures, juste avant une collision. Mon élan se brise. Je m'arrête, figé devant la scène, réalisant que j'ai grandi en un clin d'œil. Et l'odeur de la chaux humide et des encens de remplir à nouveaux mes narines.

… la voix qui psalmodiait n'était pas celle de ma grand-mère, Doraïa Jaïda, mais celle de "BBé" Sabrya El Melsen, notre voisine. Eh oui ! C'était elle, avec ses cheveux argent bouclés, son visage brun allongé, son nez droit, saillant, aiguisé telle une lame de couteau et ses rides profondes aux coins des yeux. Lorsqu'elle me voit stupéfait et terrifié, "BBé" Sabrya me sourit sans cesser de remuer ses lèvres récitant les conclusions de la "Fatiha". Son recueillement m'envahit, moi aussi, mais sans rien enlever à mon étonnement : "Gloire et Pureté à ton Dieu, Dieu de la grandeur échappant à leur description."
- Mais tu parles "BBé", toi la muette !

"BBé" Sabrya hausse le ton tout en continuant :

- "et paix… ".

Je saisis le signal, demande pardon à Dieu et tends les mains pour prier avec elle. Ainsi nous finissons la "Fatiha" ensemble : "… sur les envoyés de Dieu Et louange à Allah, Seigneur de l'univers".


… Je ne me suis pas rendu compte, alors que je passais les mains sur le visage et la poitrine, comment la scène nous a transporté depuis les toits de la ville jusqu'au cimetière. Je me trouve, donc, debout derrière "BBé" Sabrya qui est maintenant allongée sur la tombe de Sidinna. Elle enlace tendrement le marbre, se couvrant la tête avec le drap blanc, sans réussir à étouffer des sanglots amers, dont les échos se faufilent entre les tombeaux.

Je relève la tête vers le mausolée de Sidi Mezri. L'aube se dévoile à mes yeux, rampant de la mer vers le minaret du Ribat. Je demeure ainsi immobile attendant que le jour répande sa lumière et que cessent, enfin, les sanglots de "BBé"Sabrya. C'est alors que je lui pose la question, juste pour vérifier, encore une fois, si elle était réellement en mesure de parler: "l'aimerais-tu encore, "BBé" ?" Et elle me répond en toute clarté :

- Seul Dieu en a connaissance, Mejda. Ma douleur est aussi vive que s'il était mort hier. La vie est ainsi. Je l'aime comme je l'ai aimé depuis l'éternité. Mais lui, il aimait Radhia Bent Kahla. Celle-ci aimait l'argent de Néji Laajel. Lequel n'aime que le reflet de son visage dans le miroir. Tout ceci alors que les mots s'envolent, emportés par les vents de Beb-Tounes, là où personne ne peut dormir tranquille.

J'ai failli sauter sur l'occasion pour lui demander si Aïchoucha Bent Laajel était en réalité une fille conçue par Sidinna, comme le chuchotaient certains vents de Beb-Tounes. Mais j'ai eu honte de moi-même et j'ai réussi à étouffer ma question en baissant la tête. En quoi cela m'intéresserait-il de connaître l'origine du sperme qui a permis la conception de Aïchoucha ? L'essentiel est qu'elle ait été créée pour m'aimer, moi, que son cœur batte pour moi, et que mon cœur à moi ne batte que pour elle. Mais comment dire tout cela à Khaddouja, lorsque je serai réveillé et que je lui raconterai mon rêve?

… Lorsque "BBé" Sabrya se rend compte que je suis allé loin dans mes méditations, elle me sourit et me tire par la main. Et nous voilà à nouveau sur les toits, la porte du débarras ouverte, comme je l'avais laissée, la veille, avant de descendre regagner ma chambre et dormir.

Des mois se sont écoulés, durant lesquels j'ai pris l'habitude de revisiter, d'un moment à l'autre, le débarras sur les toits pour chercher la boussole de Sidinna dans les sacs, dans les caisses en bois et les boites en carton ainsi que dans les amas. Mais en vain ! Chaque nuit, je rêve en attendant que Sidinna vienne dans ma chambre m'entrainer sur les toits et me montrer l'endroit exact où je peux trouver la boussole. Mais je ne l'ai pas vu depuis le rêve de la grande Meïda.

J'ai failli me résigner à croire que sa recommandation était pure hallucination de sommeil et rien de plus, comme l'avait affirmé Khaddouja. Quant à ma mère, à chaque fois que je lui demande de chercher avec moi, elle trouve une excuse valable et refuse de grimper sur les échelles pour monter sur les toits. Toute sa peur est en fait que j'arrive à trouver la boussole pour partir aussitôt. Comment alors m'attendre à ce que Khaddouja cherche avec moi, elle qui ne voit en la boussole qu'un instrument de navigation ? Comment m'attendre à ce qu'elle m'aide à partir en voyage, elle pour qui, depuis que les autres lui ont interprété mes rêves, tout voyage est devenu synonyme de "Harga" ?

… Debout sur le toit, le soleil venant de se coucher et la lune de se lever, je regarde ces tas de choses inutiles. "BBé" Sabrya me tient la main et, comme si elle lisait dans mes pensées, elle me répond instantanément :

- Si le sentiment maternel empêche Khadouja de comprendre ton rêve, je suis là pour le comprendre. S'il l'empêche de t'aider à partir vers ton objectif, je suis là pour t'y aider autant que possible. S'il l'empêche de croire à la recommandation de Sidinna, je suis là pour y croire. Je sais que tu ne trouvais pas la boussole qu'il t'a chargé de rechercher. J'y ai longuement pensé : si ton songe est vision, "NNa" ne te demande jamais quelque chose d'impossible à réaliser. Hier, j'ai eu une idée. Je suis montée sur les toits, le soir, pour en vérifier la pertinence. C'est que je me suis posée la question : et si, pour voir la boussole, il nous faut la chercher plutôt dans le noir ? Effectivement, je l'ai vue entre les amas et les boite sans avoir à la chercher. Elle scintillait d'un éclat unique sous la lune. Je l'ai enveloppée dans une vielle serviette, cachée dans une caisse et suis redescendue faire mes ablutions avant de remonter faire des prières là où j'ai trouvé la boussole, afin de remercier Dieu pour toi.

… Un sentiment de forte joie s'empare de tout mon être, au point que les larmes me montent aux yeux malgré moi. Je saute dans les bras de "BBé" Sabrya reconnaissant. Elle me serre contre elle et je retrouve dans ses bras cette tendresse que j'ai toujours reçue de Khadouja Jaïed. Encore une fois, l'image de ma mère me traverse l'esprit. Et, encore une fois, une question insistante me prévient que mon rêve tire vers sa fin : Comment pourrais-je raconter à maman dans le détail les propos de "BBé" Sabriya ? Ou bien aurais-je le droit maintenant de prendre la boussole de Sidinna et de partir à son insu ?

… "BBé" Sabrya semble avoir pénétré dans mon for intérieur et entendu les échos de ma question. En me tendant, enveloppée dans un une vieille serviette, une pièce en cuivre qu'elle vient juste de prendre dans une caisse en bois, elle me répond:

- "Tu laisse plutôt un message chez Rachida et tu t'en vas avant l'aube. Tu laisseras la réconciliation avec Khaddouja à quand tu seras rentré.

Je défais la serviette et en sors la boussole. Elle brille autant que si elle avait été fabriquée le jour même. Ni l'humidité ni le temps n'ont atteint son métal ni déteint sa couleur. Mais dès que je l'ouvre, pour regarder comment elle était de l'intérieur, son couvercle circulaire tombe sur le toit et roule en direction des remparts de la ville, provoquant un tintement semblable à celui d'une sonnerie. Le corps de la boussole resté dans ma main, j'y observe, sous le verre, une aiguille en argent qui scintille en vibrant et pointe en direction de la chicane de Beb-Tounes. Je relève la tête et vois "BBé" Sabrya courir derrière le couvercle pour le ramener. Soudain, Sidinna arrive en sa direction, venant du toit de la Porte en chicane. Et tous les deux de s'enlacer longuement devant mes yeux ébahis.

… Sidinna lui parle en chuchotant. Mais tout ce qu'il lui dit m'est parfaitement audible. Il l'informe que sa "Fatiha" était bien reçue et la remercie pour le soutien qu'elle m'apporte. Il lui dit que le roulement du cuivre sur le toit avait attiré son attention sur le couvercle détaché et lui avait rappelé qu'il conservait, chez lui dans l'au-delà, une micro-vis en or avec son écrou en argent, en attendant que, moi, je trouve la boussole. Et il lui remet un objet tout fin qu'il tenait entre le pouce et l'index et duquel jaillissait une éclatante lumière. Il le lui met dans la paume de la main. Elle referme, alors, ses doigts. Et Sidinna de repartir vite d'où il était venu, sans même m'adresser un regard furtif.

Comment Sidinna entre-t-il dans mon rêve et en sort-il sans m'adresser la parole ? Serait-il en colère contre moi, lui aussi ? Un fort stress m'écrase la poitrine. La terreur manque d'extraire mon cœur de sa place et je sens au pied comme l'effet d'une piqure de scorpion. Je me mets, alors, à crier : Sidinnaaaaaaaa !

*****

Mes beaux rêves se terminent, généralement, sous une forme cauchemardesque. Leur cours est rompu net, là où je ne veux pas qu'ils s'arrêtent. Et cela m'arrive généralement en raison d'effets externes. Ce qui m'a, en effet, poussé à crier, c'était que Rachida m'avait retiré violemment la couverture, me pinçant le pied pour m'obliger à me réveiller. Ma sœur était chargée de nettoyer ma chambre et il se faisait vraiment tard pour elle.

Je demande des nouvelles de maman que je trouve sortie pour quelques affaires dans la Houma. Je pense alors en profiter pour évoquer avec Rachida, en tête à tête, la question de la préparation de mon voyage. Mais qui me dit que je vais vraiment trouver la boussole là où je viens de la voir dans mon rêve ? Je cours. Je monte les échelles et, une fois sur le toit, je fonce vers la caisse en bois que je viens de voir dans le rêve. La boussole y est, au même endroit d'où "BBé" Sabrya l'avait retirée. Elle est même enveloppée dans la même vieille serviette que j'ai vue dans le rêve… Je défais alors la serviette et trouve la boussole toute propre, mais sans son couvercle. Le rêve était donc bien une vision!

Je reviens en courant vers Rachida, lui annonçant que j'avais enfin trouvé la boussole. Elle était occupée à dépoussiérer les draps. Je lui demande de laisser ce qu'elle avait entre les mains, car le temps presse et j'ai à lui dire avant le retour de Khadouja. Mais c'est elle qui entame la conversation. Elle voulait, elle aussi saisir cette occasion pour discuter avec moi d'un sujet dont elle ne voulait pas informer Khaddouja avant d'avoir mon opinion. C'est qu'on l'a informée qu'Ameur El Bintou venait de gagner le procès de Sanyet Sawana et qu'il nous faudrait faire appel avant la fin des délais légaux.

Ma réponse ne nécessitait pas beaucoup de réflexion. Rachida connaissait déjà mon point de vue sur la question. Mais ce qu'elle voulait c'était insister, à la manière de Khadouja, pour me faire changer d'avis. Alors je lui oppose de manière insistante la même réponse que je lui ai maintes fois faite:

- Je n'ai pas de temps à perdre dans les futilités du fils de tante Qmira. Qu'Ameur El Bintou mette la main sur tout l'héritage de la famille Jaïed. Je me contente du fait que La Sénya de Sawana est mienne autrement, c'est-à-dire dans mon imagination et dans mes souvenirs. Ce que je possède là lui est inaccessible, je n'ai aucun besoin de titre de propriété pour en jouir, et il n'a aucun moyen de me le contester, même si la Sénya lui avait été attribuée par les nations unies et non par le tribunal de première instance.

Soudain, on frappe à la porte. Je ne suis même pas arrivé à exposer le sujet que je voulais discuter avec Rachida. Je la laisse nettoyer la chambre, je cache la boussole et je vais ouvrir. Je m'étais bien préparé à accueillir Khadouja. Je m'apprêtais à lui sauter au cou. Je voulais la prendre dans mes bras, l'embrasser et lui imposer une réconciliation à la force de mes bras. Je lui dis en ouvrant la porte :

- Allez "Di Jay", une semaine de bouderie, ça suffit. Il faut maint…


Mais je suis surpris de trouver "BBé" Sabrya à la porte, à la place de Khadouja. Ce qui m'inquiète et me fait douter que je ne me serais peut-être pas encore réveillé de mon rêve, c'est que "BBé" Sabrya me tend le couvercle de la boussole, celui après lequel elle courait sur les toits, dans le rêve, pour me le ramener.
Je faillis crier d'étonnement: "Pince-moi, petite maman !" Mais "BBé" Sabrya entra dans la chicane tentant de me faire taire en me clouant la bouche de son index. Elle m'explique, par ses balbutiements et sa gesticulation, qu'il faut garder cette histoire entre nous. Elle me met le couvercle de la boussole dans la main. Puis, chose plus étrange que tout, elle ouvre la main gauche et là, au centre da sa paume, je vois une micro-vis en or massif introduite dans un écrou fin en argent, le tout venant tout droit de l'au-delà et scintillant à éblouir les yeux.

Le Haïkuteur …/… à suivre

(1) "BBé" : façon locale d'appeler un muet, sans que cela ne paraisse comme une offense.

jeudi 23 octobre 2008

La Boussole de Sidinna / 4 Les vents de Beb-Tounes

Mon année sur les ailes du récit (34/53) La Boussole de Sidinna (4/23) – 24 octobre 2008


Chemin premier



Mon étoile au nord


Orientation quatrième


Les vents de Beb-Tounes


" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur


Beb-Tounes est unique. Comme passage de courant d'air, cette porte de la Médina n'a pas son pareil. Bien connus, les vents de Beb-Tounes. Ils soufflent toujours à sens unique. Ils entrent, mais ne sortent jamais. A l'entrée, ils arrivent "Est-Barrani" passant par la porte en chicane coudée en se cassant à l'angle de l'enceinte de la voute, pour s'orienter, tout de suite, "sud-Bach" et descendre la rue parallèlement aux remparts de la ville. C'est à peine si les échos parviennent au bout de la rue du Beb. Et, quand bien même ils y parviendraient, ils s’essouffleraient déjà avant. Ecrasés contre la muraille muette, Ils seraient alors contraints de changer de direction et, à nouveau, ils dévieraient. Quant à nous : "chut… silence… ferme… colmate"… et "si ta porte t'amène du vent, alors condamne-la!" et "telle est la volonté de Dieu, encore qu'il ait été clément!"…


Chacune de nous vit la bourrasque comme des gaz intérieurs aigus. Après avoir inspiré les vents à plein poumons, on les sent brusquement s'enflammer en son sein. Qu'est ce qu'on aurait alors souhaité pouvoir les dégager, tel un écho fracassant "Sud-Ouest-Cherch destructeur de filets"! Mais que peut la muette chez qui ne transparait que l'effet d'une brise "Chlouq", facile à digérer ? Que peut la muette n'ayant d'autre choix que d'étouffer son cri en son sein ? Et quand bien même elle arriverait à le sortir, il serait à peine aussi audible qu'un soupir étouffé dont l'écho ne parviendrait jamais à remonter jusqu'à la porte.
Dans l'impasse Brikcha, se trouvent trois portes. Il y a la notre d'abord, à droite en entrant. Derrière elle, on trouve toujours quelqu'un qui répond, quoi qu'avec des gestes et des sons balbutiés. C'est que je suis toujours dans la chicane, ou à l'entrée de l'impasse. Je ne m'absente jamais de la Houma que pour affaire urgente et je rentre toujours vite. Il y a, ensuite, la maison des Zinouba, à gauche : une porte fermée depuis dix ans, des murs sur le point de s'écrouler et aucun locataire pour y habiter. Aucun des propriétaires ne daigne venir l'aérer ni n'accepte de la vendre. Et puis il y a, bien évidemment la maison des Brikcha. C'est celle d'en face, avec sa porte cochère incrustée dans une arcade haute et large permettant l'entrée d'une charrette tirée par son cheval, mais ça, c'était jadis. La porte mène à une chicane spacieuse et profonde qui, à l'époque de gloire, faisait officie de dépôt pour matériel de pêche et d'atelier de réparation de filets. La chicane donne sur un patio tellement spacieux qu'on y dresserait des chevaux, comme on dit.
Frappez à la porte des Brikcha et personne ne vous entendra. Rachida travaille à la cité Chraqa, de l'autre coté de la Médina. Elle ne rentre que pour une petite heure à midi. Son mari, Ayadi Touhami, s'en va dès l'aube à bord de sa camionnette, pour ne rentrer qu'à la tombée de la nuit. Quant à Lella, la pauvre Khadouja, son fauteuil roulant ne sert qu'à celui qui veut bien l'aider à se déplacer. Lorsque Rachida rentre à midi pour déjeuner avec sa mère, elle la trouve généralement au même endroit où elle l'a laissée à sa sortie, le matin. Sauf si Lella me demande de la déplacer. Car je suis la seule à pouvoir entrer chez les Brikcha en l'absence de Rachida. Je sais bien comment ouvrir la porte. Mais je ne le fais que pour aider Lella à faire ses besoins.
C'est pourquoi, quand le policier était venu et s'était approché de la porte pour frapper, je l'avais tenu par la main, j'avais pris place derrière lui sur sa moto et je lui avais indiqué par des gestes la direction de la cité Chraqa. Arrivés à la boutique, je l'avais encore pris par la main et mené tout droit à Rachida. Et les vents de se déclencher aussitôt. Les enfants de Beb-Tounes forment des cercles pour danser et chanter aux vents :
" Jeudi à ma porte, frappe un policier.
Sabria ferme la porte, il vient l'emporter."


Quand soufflent les vents dans Beb Tounes, la mutité devient chez nous, généralement, une saine qualité qui n'est plus le monopole des muets comme nous. Mais il arrive parfois que les tempêtes soufflent trop violemment. Elles foncent alors dans la chicane coudée de la porte, se cassant si violemment à l'angle de l'enceinte voutée, qu'elles entrent dans la Houma en tourbillonnant, agitant des poussières et des sciures de mots, qui se répandent dans des cercles surexcités où dansent les "diablotins de Sidna Skander". Déchainés, ceux-ci se mettent à dévoiler les secrets et à répandre les mots sous forme de bribes de récits décousus.
Ainsi a-t-on dit qu'on aurait écrit sur lui dans les journaux sans le nommer. Aussi, croit-on savoir que, sentant que la plage était encerclée, il aurait laissé tous ses protégés à leur sort et se serait jeté dans son zodiaque pneumatique, se dirigeant droit vers Lampedusa au pays des italiens. On dit aussi que les agents de la sécurité, qui s'étaient préparés à toute éventualité, l'auraient filé à bord de leurs vedettes garde-côtes et l'auraient, enfin, encerclé et arrêté, comme on fait dans les films policiers. Ses victimes, on rapporte qu'ils seraient une trentaine que la police aurait déterrée comme des souris. Ils auraient avoué qu'ils avaient tous eu l'intention de se faire une "Harga"(traversée clandestine) et qu'ils auraient avancé aux passeurs des milliers de dinars. L'un des membres de la bande, chargée de les passer, ne serait autre que lui, dit-on encore. La dernière blague qu'on raconte à Beb-Tounes, dit que lorsqu'il avait réalisé qu'il était lui-même encerclé par les gardes-côtes et qu'il n'avait plus aucune issue pour s'enfuir, il aurait commencé à leur chanter "El Ward Gamil" (belles sont les roses) et "Ya Gamret Ellil" (Lune de la nuit, éclaire-moi!), cherchant à se faire passer pour un fou et niant que le zodiaque lui appartenait.
Et nos chicanes de se remplir de petits potins chuchotés, venant de sources à l'identité parfaitement inconnue et aux intentions tout à fait obscures. Ces informations qu'aucun connaisseur n'organise ni n'en fixe la forme et dont aucun superviseur ne veille à en dévoiler les origines ni à en vérifier l'authenticité, affirment qu'il s'agirait d'un homme d'une grande intelligence qui, ne trouvant pas comment mettre son génie au service du bien pour tous les siens, se serait éclipsé pour se consacrer à l'invention de ruses inédites dont l'objectif est de semer les graines du mal partout où il passe. Ainsi, ses crimes seraient trop nombreux pour être comptés et trop variés pour couvrir un seul domaine.
Aussi, la bande volant le linge qui sèche sur les cordes, celle subtilisant les bonbons et les petites pièces de monnaie des mains des enfants, c'est lui. La bande des imposteurs promettant aux jeunes, qui rêvent de "brûler", de les faire traverser les frontières, celle qui leur soutire de l'argent sans jamais tenir ses promesses, c'est sans doute lui. La bande des voleurs de voitures, celle qui leur fait passer les frontières, celle qui les démonte pour les vendre en pièces détachées, c'est aussi lui. L'imposteur qui se déguise en agent de police, celui qui piège les citoyens innocents, c'est certainement lui. La fillette de douze ans qui fut violée et tuée par asphyxie, la tête dans un sachet en plastique, celle dont on cherche encore l'assassin, c'est encore lui. Et le cadavre de la femme trouvée sur la voie publique, celui au visage défiguré et au crâne écrasé, c'est naturellement lui. Aussi, la contrebande de marchandises trafiquée, le kidnapping d'enfants et la demande de rançons, le vol de motos, l'entretien de nids de débauche dans les cités populaires, le vol de fils électriques en cuivre qui devient la mode du siècle… c'est sans doute lui qui est derrière tout cela!
Ils sont, quand même, bizarres ces vents de Beb-Tounes qui soufflent pour vous mener, à leur guise, dans toutes les directions. N'aviez-vous pas tant loué la droiture, la morale et l'éducation de Mohamed Lamjed Brikcha ? N'aviez-vous pas estimé en lui son refus de bénéficier d'un quelconque avantage qu'il n'aurait pas mérité de plein droit ?
Est-ce possible que ce jeune homme se transforme, du jour au lendemain, en symbole de toutes les déviations causées par la pauvreté, le refoulement et le chômage?
Est-ce logique que vous en fassiez le support sur lequel vous accrochez tous les crimes qui ont été commis dans la ville depuis qu'il est parti et dont la police n'arrive pas, jusqu'à ce jour, à en démasquer les auteurs ?


… Des questions se répandent dans le Rbat. Elles se bousculent. Elles traversent les ruelles, se promènent dans les quartiers puis reviennent à Beb-Tounes. Et les petits boutons de prendre la taille de dômes, ne cessant de grandir. Les questions de se transformer en réponses toutes faites. Elles débordent des portes de la Médina. Et tous les secrets s'étalent en dehors des remparts. Le tout pour concourir à ta honte ô Lella Khaddouja, femme de Brikcha, sœur du silence. Tout le monde tend l'oreille pour ensuite parler, additionnant par ci, retranchant, par là. Sauf toi et moi, nous écoutons pour ensuite étouffer sous les pensées et les appréhensions qui s'agitent dans nos têtes.

*****

La tempête s'installe dans l'impasse Brikcha. Son tourbillon niche immédiatement dans mon cerveau. Et, de jour comme de nuit, je n'arrête plus de penser.
J'étais la première à avoir appris l'arrestation de Mohamed Lamjed Brikcha. Depuis que la police nous en a informées, la porte de leur maison est restée ouverte matin et soir. Et les visiteurs n'ont plus cessé leurs allées et venues. Quant à moi, il était naturel que je me trouve, depuis ce jour, en permanence auprès de Lella, ouvrant la porte aux visiteurs et poussant le fauteuil roulant, dans un va et vient incessant, entre sa chambre et la chicane.
Je me tiens à ses côtés et j'entends. Elle aussi entend et ne répond à personne, même pas par un geste ou par un signe des yeux. Le visiteur parti, je ramène Lella à sa chambre. D'un mouvement des yeux, elle me demande de l'aider à descendre de son fauteuil et à s'allonger sur le matelas, à même le sol. Et c'est seulement alors qu'enfonçant la tête sous l'oreiller, elle se met à pleurer sans s'arrêter. Et moi, assise sur le pas de la porte, je lui tourne le dos et fais semblant de ne rien entendre de ses sanglots.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha ont soufflé sur Beb-Tounes avec une violence qui n'a d'égale que celle de la tempête déclenchée suite à la mort de Raies Nasser Jaïed. Des mots nés sous forme de gaz intérieurs se sont répandus, monopolisant l'intérêt de la ville tout entière ; exactement comme ce fut le cas il y a des années, lorsque le médecin avait ordonné l'autopsie du cadavre de Sidinna. Deux rumeurs avaient alors fait le tour de la ville. La première prétendait qu'il s'était suicidé et la seconde insinuait qu'un rival qui lui disputait l'amour d'une femme mariée lui aurait versé dans son vin une substance obscure donnant une mort lente. Mais çà c'est une autre histoire.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha soufflent sur Beb-Tounes. Dans toute la ville, du Rbat à Houmet-Chraqa, des Swanis à Qarraïa et à Stah-Jabeur, de Skanès à El Aqba et aux confins de Khnis, la résurrection du fils des Brikcha occupe toutes les discussions. Toute la ville avait cru avoir définitivement tourné la page de Mohamed Lamjed en en faisant le deuil. C'est que nous avions tous pleuré sa beauté, sa jeunesse et son érudition. Nous avions pensé avoir ainsi payé le tribut de notre incapacité à l'arracher au chômage, à la pauvreté et à la déviation du droit chemin ; le tribut de notre échec à le prémunir de l'influence de Satan, incitateur de la jeunesse à prendre le large à bord des bateaux de la "Harga". Et, comme on nous avait assuré que Mohamed Lamjed avait rejoint son père, Raïes Habib Brikcha, au fond des vagues, la ville lui avait imaginé une tombe, l'y avait virtuellement inhumé et tout le monde avait retrouvé le repos. Les habitants avaient repris leur traintrain quotidien, en parfait accord sur tout, s'abandonnant à la vie en toute confiance. Des Mohamed Lamjed Brikcha, les croiseraient-ils par dizaines, ils ne les reconnaîtraient pas. Et quand bien même ils les reconnaitraient, ils traverseraient pour poursuivre leur chemin sur l'autre trottoir et rentrer chez eux, certains que "les vents soufflent dehors et très loin" et que la contagion ne touche que les autres.
Mais voici que l'homme revient soudain à la vie. Les habitants ne sont plus d'accord à son propos. Une partie se réfugie dans le silence, se contentant de dire "Dieu soit loué, il réinsuffle la vie aux os vermoulus!". Et l'autre partie ne dort plus de la nuit, tellement la surprise est terrifiante. Certains prétendent que le retour de Mohamed Lamjed Brikcha va aboutir, enfin, à la solution de tous les problèmes en instance. D'autres rétorquent que c'est Mohamed Lamjed Brikcha qui constitue, lui-même, le fond du problème et que mieux aurait valu qu'il soit resté au fond des vagues ; tout serait alors resté couvert par la protection divine.
Dieu soit loué ! Il rouvre la vieille plaie qui s'était refermée sur son infection. Le bistouri fend l'abcès devenu volumineux. Le pus en sort et la chair vivante s'ouvre aux vents. Peu importe si leurs souffles vont l'assainir ou y injecter de nouveaux microbes qui nourriront davantage l'infection. Louanges à Dieu, Seigneur des chômeurs, des tourmentés, des mécontents, des apeurés, des attentistes, des indifférents et des autres… Il délie les langues. Des mots jaillissent, sortent des impasses et des rues, coulent à flots vers Beb-Tounes et renvoient les échos des vents anciens vers l'extérieur des remparts. Dieu soit loué, il réinsuffle la vie aux os vermoulus et redirige vers la maison des Brikcha les caravanes de visiteurs. On ne sait plus alors si celui qui arrive vient féliciter ou s'associer à la peine, s'il vient compatir ou se délecter de nos malheurs, s'il vient faire des reproches ou présenter des excuses.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha soufflent sur Beb-Tounes. La ville perd patience. Chacun se lance de son côté dans une course contre la montre pour réorganiser le récit dans sa tête avant que les tribunaux n'émettent leurs verdicts tranchants. Des informations rares mais claires circulent discrètement par ici. D'autres informations plutôt ambiguës abondent de partout, au grand jour. Les habitants s'y livrent à qui mieux-mieux. Chacun puise dans tous les canaux. Des journaux se déplacent d'une table à une autre dans les cafés. Des propos s'échangent de bouche à oreille. Des SMS se déplacent entre téléphones portables et des emails sont échangés entre ordinateurs à travers la toile. Tout le monde lit, analyse, prédit et fait des liens entre les événements d'aujourd'hui et ceux d'hier pour en déduire ce qui va en résulter demain.


Les proches s'amènent sur la pointe des pieds à Beb-Tounes : qui pour se décharger d'un devoir ennuyeux, qui pour voir de visu ce qu'il n'a pu croire en l'apprenant par ouïe dire et qui pour jeter son hameçon. Sait-on jamais ce qu'on peut attraper! Telle, par exemple, Radhia Bent Kahla, qui vient rendre visite à sa meilleure amie pour la première fois, depuis qu'elle l'avait choquée en lui annonçant la grossesse d'Aïchoucha, prétendument enceinte de Mohamed Lamjed :
- "Je le jure au nom de Dieu, Khadouja, que je n'avais jamais cru que cela nous arriverait à toi et à moi. Tu es ma sœur et plus que ça. Dieu sait à quel point j'ai le cœur brisé pour toi. Mon malheur et le tien ne font qu'un. Il aurait été plus logique que chacune de nous soutienne sa sœur et non qu'on approfondisse la plaie par la rupture. Louanges à Dieu qui nous a conduites, enfin, vers la lumière. De toute façon, la prison vaut mieux que la mort et "tant qu'il y a vie il y a retour"… J'ai entendu dire que le problème avait rapport avec le CAPES. Pourquoi ne me l'as-tu pas dit dès le début, Khadouja, avant que ton fils ne pense à la "Harga" ? Si Néji a des connaissances. Tous ces gens là ont des chantiers, Khadouja. Ils ont besoin de lui pour acheter des matériaux de construction à crédit. Si tu avais parlé dès le début, le problème aurait été résolu avant que la catastrophe ne s'abatte sur nous…"
Ameur "El Bintou" vient, lui aussi, rendre visite à sa tante, pour la première fois depuis qu'elle est en fauteuil roulant :
- "Je le jure "sur mes biceps", ma tante, que je n'étais pas au courant de ta maladie. On a dit que Mohamed Lamjed avait été retrouvé. Alors je suis venu t'en féliciter et te dire "Mabrouk". Je le jure "sur l'âme de Qmira", ma tante, que je ne croyais pas te trouver assise ainsi dans un fauteuil roulant. Je vais trouver un accord avec Rachida et je t'emmènerai voir le meilleur des médecins. Tu es une femme bien, ma tante, alors tu vas guérir.
Et ce "CAPES", ma tante, je le jure "sur mes biceps", que je ne croyais pas que ça se vendait et s'achetait. Autrement, Majda est mon frère et j'aurais payé de un à dix millions pour le lui acheter…
Quant à la Sénya de Sawana que j'ai gagnée par le biais du tribunal, n'en ayez aucun souci, ma tante, je le jure "sur mes biceps" et "sur l'âme de Qmira" que, mon frère Majda étant revenu à la vie, la Sénya lui reviendra de bon cœur. Si c'est sa volonté bien sûr! Je sui prêt à la lui concéder. Je récupère seulement ce que j'ai dépensé pour l'acquérir, sans gagner le moindre dinar. Qu'il l'achète au prix coûtant et je la lui vendrai sur le champ.
Et voici même deux jeunes que je n'avais jamais rencontrés auparavant, ni vus à Beb-Tounes. Ils affirment être des camarades de Mohamed Lamjed au club de cinéma. Mais ils paraissent plutôt insolents. Ce matin, Ils s'amènent chez Lella, mais bien comme les autres, pour jeter un hameçon :
- Dieu vous rend la santé, Lella Khadouja. Mohamed Lamjed est notre ami. Nous savons qu'il est innocent de tout ce dont l'accusent les rumeurs. Le problème n'est pas dans la "Hargua" mais dans le CAPES. Voici le sujet principal. Tout le reste, Lella Khadouja, n'est que radotage de salons et questions marginales. Mohamed Lamjed, lui-même, pensait proposer un scénario de film documentaire sur ce sujet.
Pour la première fois, les Journées Cinématographiques de Carthage se tiennent, sans qu'il ne soit avec nous du voyage à la capitale. Tous les cinéastes amateurs qui se préparaient au voyage, n'avaient d'autre sujet de discussion que l'absence, à cette session, de Mohamed Lamjed Brikcha. Alors nous avons décidé de lui rendre hommage en réalisant le film dont il rêvait. Nous inscrirons dans le générique : "Ce film est dédié à Mohamed Lamjed Brikcha qui avait rêvé de le tourner avec nous".
Tous les amateurs vont nous poser des questions sur Mohamed Lamjed. Et bien nous voulons leur annoncer notre projet de film au cours du festival. Nous avons donc décidé de ne pas partir avant d'avoir obtenu votre autorisation. Et nous voici chez vous, Lella Khadouja. Votre présence en fauteuil roulant dans quelques séquences de notre film, donnera à notre travail plus de force et de crédibilité. Vous allez être très émouvante, en n'arrivant pas à parler pour répondre à nos questions... Il y aura…


… Lella se tient là immobile dans son fauteuil roulant. Tel un bloc de marbre, elle n'a aucune expression sur le visage. Et moi, je me tiens ici dans la chicane. Ouvrant grande la porte de la maison, je leurs fais signe de sortir, mais ils ne me comprennent pas. Je sens que je vais exploser, mais aucune voix ne sort de ma gorge.
Que vous reste-t-il encore à nous faire endurer, ô vents de Beb-Tounes ? Nous étions des gens qui vivons incognitos, dans notre impasse. Notre silence nous aidait à bien cacher nos tares. Et voici que les calamités nous coupent les langues, que les journaux nous dénudent et que les rumeurs finissent par lacérer notre chair. Il ne reste plus que le cinéma pour nous filmer et exposer notre drame à la vue de tous les humains. Soyez maudis, ô vents de Beb-Tounes !


Le Haïkuteur …/… à suivre

jeudi 16 octobre 2008

La Boussole de Sidinna 3 / La Sania de Sawana

Mon année sur les ailes du récit (33/53) La Boussole de Sidinna (3/23) – 17 octobre 2008


Chemin premier :


Mon étoile au nord


Orientation troisième :


La Sania de Sawana


" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur



Oh mon Dieu…Oh mon Dieu! Un chat à sept âmes, Mohamed Lamjed, fils de Tante Khaddouja. Je le jure au nom de Dieu l'unique ! C'est au-delà de la logique ! C'est un vrai chat aux sept âmes, Mohamed Lamjed Brikcha. Oh mon Dieu !
Comment se peut-il qu'on l'ait retrouvé après une si longue absence ? Comment ? Après que ma tante ait fait son deuil et qu'elle se soit fait délivrer un certificat de décès, comment se peut-il que son fils soit vivant ? Evidemment que je suis content pour ma tante. La pauvre, elle peut, au moins, reprendre des forces et se remettre, de nouveau, sur pieds. Et, si son fils est en prison, comme le prétend sa sœur Rachida, qu'à cela ne tienne. La prison est pour les hommes et tant qu'il y a vie il y a retour. Mais comment ? Comment ?



Cette information, moi, je ne peux même pas l'assimiler. C'est illogique. C'est certainement un mensonge. Serait-ce le premier avril, aujourd'hui ? Mais nous sommes en plein automne ! Y aurait-il aussi un poisson d'octobre ?
Aujourd'hui, tout le monde veut m'accuser d'avoir inventé l'histoire de la mort de Mohamed Lamjed Brikcha et de l'avoir répandue en ville ! Qu'ai-je fait, moi ? J'ai simplement cru celui qui m'a dit qu'il l'aurait vu à La Chebba, la veille du naufrage des "Clandestins". Et comme, avant le naufrage, tout le monde disait que le fils des Brikcha avait disparu pour aller "brûler" vers l'Italie, et bien il était naturel que nous en déduisions tous qu'il avait péri avec les "brûleurs" disparus.
Même Carla Piccolo m'a soumis à un interrogatoire en règle. Cette fille de chien ! Depuis qu'elle a eu vent de l'information, elle redoute qu'il y ait quelque chose entre moi et Aïchoucha Bent Laajel. Elle parait plutôt soulagée, la fille de P..., que Mohamed Lamjed Brikcha soit réapparu. Elle pressentait que je lui cachais quelque chose de grave et, maintenant, elle croit que le retour du fils de tante Khaddouja va me démasquer. Même Néji Laajel m'a invité à dîner chez lui, sans ma femme. Dans sa voix, il y avait quelque chose d'inhabituel. C'est du moins ainsi que je l'ai ressenti. Il m'a paru présager, lui aussi, que l'arrestation de Mohamed Lamjed et sa probable soumission à l'analyse génétique, constituerait un danger pour notre plan. Il m'a semblé qu'il voulait me demander des comptes, comme si moi, j'étais responsable de sa mort, ou comme si j'étais à l'origine de sa résurrection. Commencerait-il, lui aussi, à se douter d'autre chose?
Vous êtes, tout de même, bizarres ! Mon intention était honnête, moi ! Quel intérêt aurais-je à prétendre que mon cousin est mort en mer ?
Mais, moi aussi je suis bizarre, quand même! En quoi le retour de Mohamed Lamjed Brikcha à la vie me dérangerait-il? Et pourquoi suis-je aussi perturbé, aussitôt au courant de l'information ? Pourquoi ai-je quitté la maison, comme si je voulais éviter une confrontation avec Carla Piccolo? Pourquoi ai-je laissé mon restaurant flottant, comme si je fuyais le spectre de mes conquêtes faites à son bord? Pourquoi ai-je décliné l'invitation de Néji Laajel à dîner, comme si je fuyais le regard de sa fille Aïchoucha ou évitais la vue de la petite Mayara, fille du pêché? Qu'est ce qui m'a poussé à éteindre mon téléphone portable et à me retirer ici ?

*****

Et me voilà passant la nuit dans la Sénya de Sawana, dans ce Borj sur le point de s'écrouler et dont l'électricité est coupée depuis des années. Voici que je m'isole dans ce terrain délaissé, dont le puits a été enterré sous la pierre et où, de toute la végétation, seuls sont restés en vie deux oliviers, un vieux palmier et une haie de figues de barbarie. La Sénya de Sawana. C'est ainsi que nous l'appelions tous, mais c'est Mohamed Lamjed Brikcha qui lui avait donné ce nom.



C'était lors de ces vacances d'été que nous avions passées, Mohamed Lamjed et moi, chez notre grand-mère Doraïa Jaaïda, paix à son âme. Grand-mère n'aimait pas la télé. Aussi n'a-t-elle jamais laissé ce genre d'appareils franchir la porte du Borj. Mohamed Lamjed en profitait pour exiger d'elle, qu'elle nous raconte chaque soir la même histoire : "la belle Sawana, fille du noir de la nuit et de la pleine lune."
Moi, je dormais dès le début de l'histoire. Quant à lui, il veillait à l'écouter jusqu'à la fin. Depuis enfants, nous étions différents en tout. Avec moi, toute parole tombait dans l'oreille d'un sourd. Car je suis vite emporté par le sommeil. Mais lui, il "avalait" les propos de grand-mère comme on avalerait des macaronis, allant jusqu'à tout apprendre par cœur. Le lendemain matin, il venait me raconter l'histoire, ajoutant aux propos de Grand-mère absolument tout ce qu'il voulait. Et, bien évidemment, son cinéma ne m'impressionnait guère. Je ne croyais pas qu'il racontait la vraie histoire qu'avait racontée Grand-mère Doraïa. Alors il n'arrêtait pas de lui demander de la reprendre, me demandant à moi de faire attention pour m'assurer qu'il ne m'avait pas menti. Et elle, jamais elle ne s'ennuyait de satisfaire sa demande ; comme si elle trouvait un plaisir particulier à toujours raconter cette même histoire plutôt qu'une autre. Moi, comme toujours, j'obstruais mes oreilles et m'abandonnais vite au sommeil. Et, naturellement, Mohamed Lamjed ne se lassait jamais d'écouter la même histoire chaque soir, ni de me la raconter chaque matin, dans un tout nouveau style et avec, chaque jour, des événements de plus en plus bizarres.
La Sénya de Sawana. Je ne sais pas trop pourquoi j'ai filé aux Swanys dès que l'information du retour à la vie de Mohamed Lamjed Brikcha s'est répandue en ville. Est-ce l'instinct d'appropriation? Ai-je eu peur que mon cousin ne vienne me disputer la propriété de la Sénya de Sawana, la réclamant pour lui même? Ou bien ai-je voulu me prouver à moi-même que je l'avais battu par KO, depuis que la Sénya était, enfin, devenue ma propriété privée? Ou est-ce plutôt parce que, malgré tout, dans mon for intérieur, je n'avais jamais cessé d'aimer Mohamed Lamjed et que j'étais toujours nostalgique de ce temps où nous étions, lui et moi, comme des frères, avant que ne nous séparent les livres et les cahiers et que la préférence que Sidinna manifestait pour lui, à mes dépens, ne finisse par approfondir le fossé entre nous?
Je ne croyais pas, qu'après avoir gagné le procès en partage de l'héritage et que la propriété de la Sénya de Sawana m'ait été reconnue, suite à l'achat des parts de tous les héritiers, je ne croyais pas que j'allais en faire un refuge, à la première occasion où se ferait sentir le besoin de rester seul avec moi-même. Je ne croyais pas non plus, qu'en y arrivant, j'allais y trouver Mohamed Lamjed Brikcha, remplissant l'espace et occupant les lieux, comme s'il en était le propriétaire et qu'il allait m'imposer sa présence en s’immisçant dans mes souvenirs d'enfance.
Il est vrai que j'étais un peu en colère contre Mohamed Lamjed, bien avant qu'il ne quitte la ville et ses habitants. Il est aussi vrai que nos relations, depuis mon retour définitif au pays, s'étaient limitées à "bonjour", "bonsoir". C'est que je l'avais trouvé au chômage, passant et repassant, sans succès, le concours du CAPES (1) et ne trouvant aucun emploi. Je m'étais dit : "autant faire du bien en l'engageant pour travailler sur mon chalutier. Car Mohamed Lamjed avait, quand même, l'expérience de la mer et des marins. Il était, quand même, le fils de Raïes Brikcha. En plus, son éducation avait été assurée par notre oncle maternel, Raïes Nasser Jaïed.

A vrai dire, l'idée venait de ma femme, Carla Piccolo. C'est une vieille bâtarde, fruit d'une hybridation entre les races humaine et canine. Elle calcule tout au vol et sa seule religion est l'Euro ou le Dinar. Mais c'est quand même une femme qui a du cœur. Ma défunte mère lui avait parlé du chômage de Mohamed Lamjed, de ses diplômes et de sa connaissance de la mer. C'était le jour où il était venu rendre une dernière visite à sa Tante Qmira, quelques semaines avant sa mort.
"Nous lui offrirons un travail et il ne restera pas au chômage", lui avait répondu Carla Piccolo. "Laisse tomber, lui avais-je rétorqué, il y a un vieux différend entre nous!" Mais, finalement, j'ai été vite convaincu. J'ai alors dit "d'accord, ce sera gagnant-gagnant. Je lui confie le chalutier pour qu'il soit mon œil auprès de mes marins et je me consacre à mon restaurant flottant." Et j'ai exposé l'idée à tante Khadouja. Je me suis spécialement rendu chez elle. Je lui ai dit : "Je le payerai deux cent dinars par mois et, contrairement aux autres, il aura droit à sa soupe." Pauvre tante, elle au moins ne me déteste pas. Que dieu lui rende la santé. Elle m'a dit textuellement : "bonne idée. Vous êtes frères, après tout. Vous vous réconciliez et mettez la main dans la main. C'est toujours mieux pour lui que le chômage." Et elle lui a transmis ma proposition.
Qu'y avait-il là dedans qui le fasse monter sur ses grands chevaux et se pavaner tel un paon, alors qu'il avait les pieds dans la merde ? Il avait refusé, le bâtard, sauf mon respect pour ma tante. Eh oui ! En ce temps là, Il y avait déjà trois ans qu'il était au chômage. Et pourtant, il s'était permis de refuser une offre aussi généreuse que la mienne. On m'a rapporté qu'il avait dit :"Le fils des Brikcha est maitrisard, il ne travaille pas chez Ameur El Bintou". Qu'est-ce à dire qu'il soit maitrisard ? On m'avait aussi rapporté qu'il avait dit: "si Sidinna était vivant, il m'aurait interdit de traiter, en quoi que ce soit, avec le fils de tante Qmira."
Qu'est-ce qu'elle m'a fait mal, cette réponse venant de toi, cousin !
Et toi, Sidinna, l'aurais-tu vraiment empêché de travailler avec moi si tu étais vivant ? M'entends-tu là ? Dis-moi, mon oncle ; dis-moi, Nasser Jaïed, es-tu là pour m'entendre ? Et toi, Mohamed Lamjed, es-tu vraiment en prison, comme le prétend Rachida, ou bel et bien mort, comme l'affirment les rumeurs de la ville ? Est-ce ton âme qui est là à papillonner dans le noir de la Sénya de Sawana?
J'ai toujours ce sentiment d'amertume, à chaque fois que je me rappelle ta réponse, ô Majda, fils de ma tante ! Elle tonne encore à mon oreille, comme si tu la prononçais à l'instant ! Qu'est ce qu'il a de si mal, Ameur El Bintou?
… Voici que je me mets à me parler à moi-même à haute voix. Tu dois savoir maîtriser tes nerfs. Car, si je tu continues à délirer ainsi, tu finiras par devenir fou, mon vieux Ameur. La Sénia serait-elle habitée par les Djinns, comme l'affirmait ma grand-mère, Doraïa Jaïda ? Nul doute, dans ce cas, que l'âme de Sidinna habite par ici. L'âme de Mohamed Lamjad Brikcha aussi, certainement ! Ou bien serait-ce le vin qui commence à me monter à la tête ?
Qu'est-ce qui déshonorerait le fils de ta tante Qmira, ô "Majida la studieuse" ? Qu'est-ce qui déshonorerait ton cousin, Majda "le gâté", Majda "le débile", le "possédé" ? Et toi, Sidinna, qu'est-ce qui déshonorerait ton neveu? Qu'est-ce qui déshonorerait le fils de ta sœur Qmira, Ô Raies Nasser Jaïed, mon oncle maternel chéri ?
…Mais tais-toi Ameur El Bintou ! Qu'est ce que tu as à crier ainsi en cette maudite nuit ? Si quelqu'un passait par ici, il pourrait t'entendre ! Maîtrise un peu tes nerfs, mon vieux ! Qui dit que Mohamed Lamjed Brikcha est effectivement en vie ? Qui l'aurait vu, à part sa sœur Rachida ? S'il était réellement en prison, on nous aurait permis la visite. C'est elle qui dit qu'il serait interdit de visite et qu'elle n'aurait pu le voir qu'avec une autorisation exceptionnelle et pour des raisons humanitaires. Mais qui prouve que ce n'est pas une simple rumeur lancée par la police, de connivence avec Rachida, en vue de coincer l'une des personnes recherchées ?

Dans tous les cas, Ameur, il faut toujours savoir être vigilant. Mais c'est, quand même, bizarre ! Vraiment bizarre ! Mohamed Lamjed Brikcha, vivant ! Dieu soit loué, il réinsuffle la vie aux os vermoulus!

Le Haïkuteur …/… à suivre

(1)- Concours auquel sont soumis les maitrisard pour obtenir le Certificat d'aptitude professionnelle à l'enseignement secondaire.

jeudi 9 octobre 2008

La Boussole de Sidinna / Ô lune de la nuit !

Mon année sur les ailes du récit (32/53) La Boussole de Sidinna (2/23) – 10 octobre 2008

Chemin premier :

Mon étoile au nord

Orientation seconde :

Ô lune de la nuit !

" Tout rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Voici des extraits d'un document puisé dans le dossier de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha. Le document original est une transcription de l'enregistrement de la première rencontre ayant réuni l'accusé et sa sœur Rachida Brikcha épouse Touhami, détentrice, "pour des raisons humanitaires", de l'autorisation provisoire de visite N°……., attribuée suite à la demande adressée par son avocate, maitre Ch. B. M. La rencontre a été enregistrée à la salle d'attente du pavillon de détention provisoire de…….. en date du ……… transcrite sur ordinateur et tirée sur papier par R. B. T. Extraits choisis par H. S. L (hsl).
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- Jusqu'à quand vais-je continuer à te parler et toi à te taire ainsi ?
- ……..
- Veux-tu que je m'en aille ?
- Non… Attendez, s'il vous plait… votre voix me plait !
- Oh Merci… Tu me fais rire enfin. Tu plaisantes évidemment.
- Votre voix est tiède. Elle renvoie à un temps modeste auquel je suis nostalgique, mais lequel? Elle fait planer au dessus d'un lieu modeste auquel je suis attaché, mais lequel? Elle figure des gens modestes comme je les aime. Mais lesquels? Pourquoi ne vois-je, de tout cela, que de la brume? Pourquoi est ce que j'éprouve clairement la nostalgie sans retrouver aussi clairement le souvenir?
- Lamjed, aie pitié de mes larmes, mon frère ! Ne m'effraie pas davantage ! Je suis ta sœur, ta sœur, tu comprends, Majda ?
- Bien sûr que je comprends : "Tous les croyants sont frères", mais il y a parmi vous certains qui me veulent du mal.


- S'il te plait Majda, ne me redis plus ça. Ecoute-moi ! Tu peux me faire un petit signe rassurant si, pour une raison ou une autre, tu simules la folie.
- …. (ici l'accusé entre dans une crise de cris hystériques. Il est clair que ceci lui arrive à chaque fois que s'intensifie sur lui la pression-hsl)… Non, de grâce non ! Je ne suis pas fou et je ne simule pas la folie ! Non, de grâce ! Je l'ai mille fois dit à vos collègues. Ce n'est rien qu'une période durant laquelle ma mémoire s'absente complètement. Elle reviendra, inéluctablement. Ma mémoire sera là, je vous dis. Pourquoi tenez-vous tant à m'interroger pendant mes périodes de crise? Je vous conjure, ayez pitié de moi. Je ne suis pas un criminel ! Attendez que revienne ma mémoire et je répondrais à toutes vos questions…!
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- La salle est froide.
- Froide! Toute la prison l'est, de nuit surtout, mais aussi de jour.
- L'été est fini.
- Toutes les saisons se ressemblent vues d'ici. Mais, oui… oui, il se peut que l'été soit effectivement fini.
- Depuis quand es-tu là ? Essaye de t'en souvenir!
- Une période aussi longue que l'éternité. Je me souviens maintenant. Cette nuit là, la lune était pleine. J'étais allongé dans le zodiaque pneumatique, après en avoir éteint le moteur. Et, content de l'avoir échappée belle, je chantais aux vagues fines et sombres de la nuit "Ô lune de la nuit, éclaire-moi!" C'est mon chant qui les avait attirés vers moi. Autrement, ils ne m'auraient pas atteint. Ils se sont abattus sur moi et m'ont conduit au centre des gardes frontière. De là, ils m'ont emmené directement ici.
- Concentre-toi, Lamjed, et essaye de te souvenir! Tu tentais donc de "brûler", n'est-ce pas?
- … (ici, l'accusé entre à nouveau dans une crise de cris hystérique-hsl)… Vous êtes avec moi ou contre moi ? Vous êtes une sœur, qui vient rendre visite à son frère ou une femme officier, qui vient poursuivre l'interrogatoire ? Vous êtes sans doute avec eux ! Quand allez-vous comprendre que j'ai trouvé le zodiaque sur la plage par hasard ? Que je l'ai utilisé pour m'enfuir de quelques criminels qui voulaient… (propos incompréhensibles-hsl)…?
- Que dis-tu ?
- Non je n'ai rien dit. Ne m'avez-vous pas dit que vous étiez ma sœur ? Alors je n'ai rien dit !
- Mais pourquoi cris-tu comme ça ? Oui, je suis ta sœur. Crois-moi, même si tu ne te souviens pas de moi. Je suis Rachida Brikcha, Lamjed. Et je t'ai interrogé pour savoir ce qui t'est arrivé et non pour poursuivre l'interrogatoire.
- Je ne vous ai pas reconnue, croyez-moi. A cet instant, ma crise se poursuit toujours et je n'ai encore aucun souvenir d'avoir une sœur. Mais que cette sœur s'appelle Rachida, voilà qui multiplie mes doutes.
- Je m'en vais alors.
- Au contraire. Si vous étiez vraiment ma sœur, alors vous attendriez que ma mémoire me revienne.
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………………………………….
- Excuse-moi Rachida, pardon petite sœur. Vous avez, tous, toutes les raisons de ne pas me croire. Mais je suis malade, Rachida, malade et non simulateur. Moi-même, quand je reviens à mon état normal, je crois à peine ce qui m'arrive. Ce n'était, cette fois-ci, qu'une petite crise passagère. Mais le pire c'est que, même après ma sortie de ce type de crises, je suis toujours incapable de me souvenir d'une partie entière de ma vie, s'étalant sur plus de trois mois. Il ne m'en revient pas la moindre image. C'est comme si je ne l'avais jamais vécue.
……(L'accusé observe un long moment de silence. Sa sœur ne l'interrompt pas-hsl).... Personne, ici, ne me croit. Tous soupçonnent que je prétends l'amnésie pour fuir mes responsabilités. Et s'ils disaient vrai, je serais impliqué aussi dans une tentative de meurtre sur une vieille dame et d'incendie de sa récolte céréalière, ainsi que dans des opérations de contrebande à travers les frontières et bien d'autres affaires. Je leur ai dit : "il se peut". Parce que je ne me souviens effectivement de rien. Si j'avais voulu me disculper, j'aurais simplement nié en bloc. Mais moi, j'ai dit : "il se peut". Ils continuent d'enquêter sur toutes ces affaires. Mais crois-tu, toi, que je sois capable de commettre de telles actions ?
- Je voudrais ne rien croire de ce dont ils t'accusent. Car il est impossible que Lamjed, mon frère que je connais, puisse même penser à ce genre d'actes. Mais tu n'es plus ce frère que j'ai connu ! Je ne sais plus, alors, que croire ou ne pas croire. Le soir de ton départ, tu avais une personnalité toute autre. Une personnalité solide, posée ; et tu avais confiance en toi malgré tous les problèmes qui s'abattaient sur toi. Aujourd'hui je retrouve en face de moi une personnalité sur-agitée l'espace d'un moment, tendre l'espace d'un autre moment, puis, tout d'un coup, complètement effondrée. La personne que je retrouve ici n'est pas capable de demeurer stable, cinq minutes de suite.
Et puis, je ne pouvais imaginer que tu allais me mentir. Tu m'avais promis, le soir de ton départ, de revenir deux semaines plus tard. Te souviens-tu maintenant ? N'eut été ta promesse, je ne t'aurais jamais donné l'argent du voyage ni n'aurais rassuré maman. Je ne l'aurais surtout pas empêchée d'informer la police de ta fugue. Sais-tu combien de temps s'est écoulé, depuis que tu as quitté Beb-Tounes ?
- Je ne le sais pas exactement. Tout ce que je sais c'est que je n'avais alors aucune intention de m'absenter plus de deux semaines. J'allais juste remettre la boussole de Sidinna à son propriétaire initial ou à son ayant droit. J'étais persuadé que j'allais le retrouver sans difficulté, que j'allais vite accomplir ma mission et revenir aussitôt. Mais des conditions indépendantes de ma volonté ont conduit mon périple, à chaque fois, là où je ne me dirigeais pas du tout. J'ai parfois senti que c'était la boussole de Sidinna qui me poussait ainsi vers des directions auxquelles je n'avais jamais pensé auparavant. Je la conservais bien attachée à ma ceinture et marchais, confiant d'être sur la bonne voie. Aurais-je commis une faute en ne suivant pas les conseils de Sawwana qui voulait m'empêcher de courir derrière le mirage ? Mais ce que j'ai vécu me parait encore tellement vraisemblable que je ne peux croire que tout cela n'était qu'un mirage.
- Qui me dit alors que ces mêmes conditions qui avaient orienté ton périple là où tu ne l'as pas souhaité, ne t'ont pas poussé à faire des actions involontaires, exactement comme elles t'ont poussé à courir derrière le mirage ?
- Serait-ce vraiment un mirage ? Serait-ce à cause de l'offense qu'avait ressentie Sawwana, ce jour là, et à la suite de laquelle elle m'avait quitté, que ma mémoire a commencé à m'abandonner à son tour?
- Sawwana ? T'y voilà revenu !
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- Je suis ta sœur Majda, ne te trompes pas sur mon compte.
- Mais non tu es avec eux et contre moi… (soudain, il revient à ses cris hystériques-hsl) Vous êtes tous pareils…
- Que tu sois mon frère ainé ne t'autorise pas à me parler sur ce ton.
- Et que tu sois ma sœur ne t'autorise nullement à interférer dans mes affaires. J'ai le droit d'aimer qui je veux, moi, et même de changer de peau si je le veux. Je suis à Aïchoucha et Aïchoucha est à moi. Me verrait-elle mourir devant ses yeux, m'inhumerait-elle de ses propres mains, personne ne me remplacera dans sa vie. Les Laajel recevraient-ils à veiller, chaque soir, mille Ameur "El Bintou", celui-ci offrirait-il mille Bateaux de pêche pour se l'approprier, et bien Aïchoucha ne lui appartiendra jamais. Aichoucha est mon affaire personnelle. Je ne te permets pas, ni même à Khaddouja, d'en parler.
- J'ai juste posé la question pour comprendre si…
- T'ai-je posé la moindre question, moi ? Ai-je cherché à comprendre quoi que ce soit ? T'ai-je demandé, par exemple, pourquoi tu as changé, toi aussi? J'ai failli ne pas te reconnaître, même après ma crise! Regarde ton visage enduit de produits cosmétiques. T'ai-je demandé pourquoi tu t'es mise à te maquiller? N'as-tu pas toujours reproché à Aïchoucha de le faire, soutenant que seules les femmes mariées y avaient droit? Regarde tes cheveux teints en blond alors que tu es brune. T'ai-je dit que c'était un manque manifeste de goût ? T'ai-je reproché de prendre maintenant du ventre, alors que tu avais toujours fait attention à ta ligne? Ai-je interféré dans la moindre de tes affaires ?
- Tu ne m'écoutais pas, n'est-ce pas ?
- C'est à toi de m'écouter. Si l'objectif de ta visite est de ternir l'image d'Aïchoucha afin de m'en éloigner, et bien la visite est terminée, mademoiselle ! Compris ?
- Mademoiselle ? Tu dis mademoiselle ? Qu'est-ce qui t'arrive, Majda ? Je viens de te dire que je n'ai pas laissé mon mari entrer avec moi, pour que votre première rencontre n'aie pas lieu en prison. Tu n'as pas compris ? Je me suis mariée Lamjed et, en ce moment, je suis enceinte. Est-ce que tu comprends maintenant ? Pourquoi n'entends-tu que ce que tu veux entendre ? Est-ce aussi l'effet de ton amnésie ? Je me suis mariée, Majda, et mon mari travaille comme chauffeur. Il est chargé d'approvisionner le magasin où je travaille… Pourquoi te tais-tu, maintenant ? Dis n'importe quoi!
- Mes félicitations.
- Et pourquoi tu le dis comme ça, l'air déçu? J'ai renvoyé bien des prétendants quand j'avais encore le temps d'attendre. Tu étais avec nous, alors. Tu étais notre homme, notre soutien. Nous alimentions l'espoir de te voir décrocher un emploi afin que tu subviennes à nos besoins et m'aides à financer mon trousseau. J'aurais épousé alors, avec ton consentement, un mari à ton goût. Je refusais de me marier pour échapper à une situation où il m'aurait été demandé des comptes si jamais je dépensais mon argent pour subvenir aux besoins de ma famille d'origine, alors que j'avais un frère ainé encore en vie. Mais puisque je me suis retrouvée sans soutien, n'ai-je pas le droit de trouver protection auprès d'un homme? Puisque nous n'avions plus de nouvelles de toi depuis plus d'un an et que la police avait perdu tout espoir de te retrouver, n'avais-je pas le droit de prendre en main ma propre destinée? Puisqu'on t'a considéré comme disparu, soit donné pour mort, après le naufrage du bateau des "brûleurs" au large de la Chebba, voulais-tu que je me soumette à la tutelle de Ameur El Bintou, alors que tu connais ses intentions ? Ou bien voulais-tu que la maison des Brikcha demeure sans homme ? Voulais-tu qu'elle soit habitée par une vieille fille, à jamais célibataire s'occupant, seule, d'une vieille femme, à jamais paralysée? Est-ce pour cela que tu fais semblant d'ignorer ce que je te dis à propos de mon mariage ? Est-ce pour cela que tu cris, cherchant à m'intimider ?
- Paralysée ?
- Oh..!
- Tu veux dire que c'est Khadouja qui … ?


- Désolée… Je ne voulais pas t'en informer. Tu as assez de soucis avec ta prison et l'issue incertaine qui t'attend. Ce sont tes cris qui m'ont poussée à te le dire. Mais quelle vieille femme autre que Khadouja habiterait dans la maison des Brikcha ? C'est de ta mère qu'il s'agit. Oui! C'est "Di Jay" qui est paralysée, Majda. Une hémiplégie, un fauteuil roulant et de grandes difficultés à parler.
- En raison de mon départ ?
- Plutôt en raison du maudit forfait que tu as commis avant de partir. Quatre mois après, l'information s'est répandue en ville, que tu aurais "brûlé" et péri en mer. Radhia Bent Kahla est alors venue à Beb Tounes pour informer ta mère. Elle lui a tout dit d'un bloc. Et c'était au dessus de ses forces.
- Mais qu'a-t-elle dit, Radhia Bent Kahla ?
- C'est toi qui le sais. A moins que tu ne sois pas vraiment certain de la fidélité d'Aïchoucha ! Mais l'important maintenant n'est pas ce qu'elle a dit. La tragédie est maintenant que Khadouja ait reçu un choc paralysant, que Néji Laajel ait déposé un recours en reconnaissance de paternité contre un homme mort qui a fréquenté sa fille maritalement et qu'Aichoucha ait quitté la faculté parce qu'elle était tombée enceinte. Elle a accouché d'une petite fille.
- Aichoucha ? une petite fille ?
- Oui, Aichoucha a une petite fille et elle prétend que tu en es le père ! Elle lui a donné pour nom Mayara, prétendant que cela prouverait son attachement à toi !
…………………………………………………………………………………..………………………………………………………………………………………….
- La visite est terminée, madame. Suivez-moi, si Lamjed !
- Veux-tu que je t'amène maman à la prochaine visite?
- Non… Je ne veux pas que Khadouja me voie avant que je récupère ma mémoire. Ils ont promis d'appeler un médecin spécialiste pour m'examiner. Après, ils me transféreront, peut-être, à l'hôpital. Dis simplement à "Di Jay" qu'elle me manque, que j'ai mal pour elle et que je lui reviendrai lorsque mon innocence sera totalement établie. Dis lui aussi que les femmes ne sont pas… non, ne lui en dis rien ! Laisse entre nous ce que je viens de te dire. Dis lui seulement que la seule accusation convaincante portée contre moi est celle d'avoir volé un zodiaque pour pouvoir échapper à des criminels qui me voulaient du mal.
- As-tu besoin d'autre chose ?
- Des livres, j'aurais besoin de livres. Il se peut que mon séjour se prolonge quelque peu ici. Depuis que je suis sorti de Beb-Tounes, je n'ai pas tenu en mains un livre. Peut-être que la lecture m'aidera à retrouver ma mémoire. Ou peut-être reverrai-je les rêves qui ont déserté mon sommeil depuis la première nuit passée ici. Apporte-moi autant de livres que tu peux. Sur une étagère de ma chambre, tu trouveras "Le Procès" de Kafka et "L'étranger" de Camus. Amène-les-moi. Je les relirai. Peut-être y trouverais-je un peu de moi.
- Et des cigarettes ?
- Ne t'encombre pas avec ça. Je n'ai pas fumé depuis qu'on m'a arrêté. Alors fais comme si j'avais arrêté. Seulement, ne te laisse pas douter de mon innocence. Et n'oublie pas de visiter Aïchoucha, même si "Di Jay" s'y oppose. Transmets-lui mon message. Dis lui "Ne laisse pas le temps violer le vierge espoir!"
- Et la boussole de Sidinna?


- Passe à l'administration de la prison. Essaye de la récupérer. Si tu y arrives, garde là bien jusqu'à ce que je sorte d'ici. Je reprendrai mon périple pour retrouver son propriétaire. J'en ai fait la promesse à Sidinna.

Le Haïkuteur…/…A suivre

lundi 6 octobre 2008

Les remerciements du Haïkuteur

Mon année sur les ailes du récit / Vues et infos 2/ 6 octobre 2008


Les remerciements du Haïkuteur


Quand j'ai entamé cette expérience en vue d'un tournant dans "mon année sur les ailes du récit", je savais que j'avais besoin d'une grande bouffée d'air frais, une bouffée aussi grande que le territoire de ma patrie, de son Sahara au Sud à son littoral méditerranéen au Nord. Il faisait très chaud à la mi Aout. Et pourtant, une force intérieur m'a appelé à venir chercher au Sahara de quoi réchauffer mes racines Sahéliennes et partager avec les miens, là bas, un peu de l'air qu'ils respirent tous les jours.

J'avais soif de ces chaleureuses rencontres, qui sont seules à même d'apaiser la chaleur étouffante de l'été. Je suis donc allé me désaltérer à la source de l'amitié et de la fraternité, y puisant le soutien me permettant d'affronter cette première manche de mon nouveau périple narratif, cette manche qui est la plus importante de tout le jeu. Car c'est celle où le projet prend sa forme première et me donne à découvrir ses contours. A condition, bien sûr, que j'arrive à chasser mes illusions en m'immergeant dans la réalité et à me délester d'une part de mon ignorance en tendant l'oreille aux gens du savoir, afin qu'ils m'apprennent ce que j'ignore.

Aussi suis-je redevable à tous ces amis, auxquels je dois d'exprimer toute ma gratitude et d'adresser mes remerciements pour tout ce que cette visite au Sud du pays a pu apporter à "La Boussole de Sidinna", mais aussi à mes connaissances en général. Je leur suis encore plus redevable de tout ce que je vais pouvoir éviter à ce projet comme erreurs, grâce à ce contact que j'ai pu avoir avec eux avant que je ne fixe définitivement la nature des événements et les traits des personnages sur lesquels se base mon entreprise.

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Je commence par remercier tout particulièrement mon ami, mon frère, l'artiste et l'homme de culture Salah Swiai Marzouki, que j'ai rencontré après une vingtaine d'années de séparation et que j'ai trouvé aussi fidèle qu'au jour où je lui ai fait mes adieux à Tunis quand, pour de nobles raisons, il avait fait passer ses obligations d'être humain avant sa carrière artistique, choisissant de s'installer dans sa ville natale de Douz. Salah a fait sien mon projet sans en connaître les détails. Il m'a ouvert les portes du Sahara, se consacrant entièrement à mon accompagnement et n'épargnant aucun effort pour m'aider et m'apporter informations et conseils. Bientôt, je publierai, ici même, une modeste page spéciale que je lui dédierai en guise de reconnaissance.

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Ceci dit, mes remerciements vont, par ordre chronologique de nos rencontres :


A Hajja Nedjma qui représentera ici les honorables dames qui se sont dérobées à l'objectif de notre caméra, mais qui ne nous ont pas moins accueillis fraternellement dans leurs Haouchs, aux environs de Sidi Touati (Matmata), nous ouvrant spontanément leurs lieu d'habitation et nous entretenant de leur mode de vie dans ces superbes espaces fondés sur la générosité et la satisfaction.

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A Si Hédi Belaïd Bel Haj Ibrahim, l'un des plus familiers du Sahara et des plus rodés au voyage à travers ses étendues à dos de chameaux. Il nous a chaleureusement reçus dans sa boutique, nous consacrant deux séances d'entretien, l'une en pleine heure de sieste et l'autre de très bon matin. Il nous a aussi ouvert sa documentation, papier et numérique, et nous a fourni certaines photos intéressantes (prises par lui lors de ses voyages au Sahara) dont nous publierions quelques unes avec son aimable autorisation.

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A Haj Amor Belaïd Bel Haj Ibrahim qui nous a entretenu, à son tour, des affaires du Sahara, de la morale du Sahara et de l'élevage des chameaux, "embarcations du Sahara". Il était pour nous comme un livre ouvert, nous enseignant avec sa méthode orale, comme on lui avait jadis enseigné.


Haj Amor est ainsi. Il occupe toujours la place du patriarche et fait office, parmi les siens, de guide et d'enseignant. Il a son propre rituel et ne parle qu'une fois assurées toutes les conditions de l'écoute parfaite. Et pour clore son discours, il tient toujours à engager une prière s'adressant à Dieu le tout puissant afin qu'il bénisse son auditoire et faisse que ce qu'il leur dit leur soit utile et soit utilisé pour le bien. La Fatiha qu'il a engagée suite à ses réponses à nos questions m'a surpris autant qu'elle m'a impressionné. Et je n'oublierai jamais notre recueillement au moment nous la récitions, ni le sentiment d'amour, de sincérité et de fraternité qui se dégageait de notre réunion.



Haj Amor prédisait-il, au moment où il s'adressait à Dieu, lui demandant avec insistance de protéger notre "embarcation" de tous les dangers du voyage, que notre voiture allait être ensablée en raison du vent de sable qui s'est levé juste après notre tentative de photographier le coucher du soleil sur les dunes de Sabria, aux environs de Douz ?

Dieu a certainement exaucé les vœux de Haj Amor. Car l'aide n'a pas tardé à venir d'un Douar situé à environ un kilomètre de l'endroit où notre voiture a été ensablée. Merci donc à MM El Aïd (premier à droite) et M'hamed (troisième à partir de la droite) de nous avoir aidé, par leurs efforts et leur expérience, à rentrer passer la nuit dans notre chambre d'hotel à la ville de Douz.

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Merci aussi à M. Taoufik Bouguenna qui nous a ouvert les dépôts de conditionnement des dattes et des fruits qu'il vient de construire à l'entrée de Douz. Il nous a entretenu sur le commerce des dattes et nous a expliqué les usages en matière de rapports professionnels entre producteurs, conditionneurs, distributeurs et exportateurs de dattes.

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Merci aussi à M.Lotfi Bakkar qui nous a aidé, sans nous rencontrer et ce en permettant de nous ouvrir, en son absence, son exploitation agricole modèle. Merci aussi aux ouvriers de l'exploitation qui nous ont accueillis et ont répondu à nos questions concernant l'élevage de bétail et la production de dattes.

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Un remerciement tout particulier est adressé à Haj Abdel Aziz Bouabidi qui nous a généreusement accueilli, et à notre ami l'artiste et homme de théatre Ridha Bouabidi, absent sur la photo en raison d'un voyage qu'il effectuait à Tunis lors de notre passage chez lui, mais qui nous a généreusement ouvert son exploitation agricole à Deghèche, nous permettant de côtoyer de près les différents travaux agricoles, et nous hébergeant dans son appartement de l'exploitation.

Un grand merci aussi aux ouvriers de l'exploitation qui nous ont chaleureusement accueillis nous expliquant patiemment leurs travaux.

J'adresse tout particulièrement mes remerciements à Si Makhlouf ouvrier résident dans l'exploitation de jour comme de nuit, qui nous a tenu compagnie pendant notre séjour et nous a longuement entretenu de son travail et des us et coutumes du travail agricole dans les oasis en général surtout en matière de contrats de travail entre les propriétaires et les ouvriers permanents comme lui. Aussi nous a-t- il rendu notre séjour confortable et avons-nous partagé avec lui l'espace du sommeil ainsi que "l'eau et le sel", comme on dit chez nous.

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Merci, aussi au Cheikh Mqaddam Chafaï, Cheikh de "la confrérie sunnite" de Hammet-El-Jerid, qui ouvre sa résidence aux disciples venant de toute part. Il a bien voulu nous recevoir, supportant nos questions parfois aussi provocantes qu'indélicates, surtout lorsqu'l s'est agi d'anciennes pratiques de divinations et de talismans. il nous a répondu avec toute la clarté requise. Qu'il en soit remercié.

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Merci aussi à l'ancien combattant, Si Mohamed Abdel Hafidh qui était l'un des derniers à rendre les armes après la lutte pour l'indépendance nationale. Il m'a tout d'abord surpris en m'affirmant son amour pour la ville de Monastir et son désir de s'y rendre encore et encore. Il a ainsi jeté un petit pont entre le Rbat où je suis né et les dunes de Hazoua, me prouvant, si besoin est, l'étendue de mes racines arrivant jusqu'ici. Il nous a accueillis dans son exploitation agricole et nous a fait visiter celle de son frère, toutes les deux situées à Hazoua. Si Mohamed Abde Hafidh se trouve être l'un des premiers à s'être installé dans cette partie du territoire pour fonder le noyau d'une ville frontalière, mettant fin à une vie de nomades dans le Sahara. L'entretien avec lui a été très enrichissant. Il a porté aussi bien sur sa participation au mouvement de la lutte nationale que sur l'histoire de la ville. Il a aussi porté sur les techniques de l'agriculture bio, sujet abordé en présence de ses neveux dans l'exploitation modèle de ces derniers qui sont absents sur la photo, mais auxquels nous adressons aussi nos remerciements. Aussi devons nous remercier Si Ali Bessaïdi qui nous a mis en contact avec Si Mohamed Abdel Hafidh.

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Merci aussi à Anis, le conducteur de chameaux dans les dunes de Hazoua. Il a été patient avec nous et nous a entretenus, sous un soleil de plomb et presque malgré lui, des conditions de son travail précaire à la marge du "tourisme saharien". J'ai presque envie de m'excuser à la place des autres, pour les conditions difficiles qui nous ont réunies.

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Merci aux jeunes et aux enfants de Chebika et de Tamaghza, qui ont accepté de nous parler et qui l'ont fait avec beaucoup de dignité et de patience, dès que nous avons éloigné dictaphone et appareil photo.

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Merci aussi au professeur et néanmoins ami, Omrane Abdeljelil, qui nous a amicalement accueillis à Tozeur, le temps de boire un café. Nous avons profité de l'occasion pour nous enrichir à son contact de certaines connaissances touchant à certaines activités de loisir chez les jeunes dans les oasis de la région. Ne nous contentant pas des informations recueillies pendant notre rencontre éphémère, nous l'avons harcelé, après notre retour du Sud, par des questions téléphoniques auxquelles il a bien voulu répondre toujours aussi amicalement.

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Finalement, je ne sais si je dois remercier mon frère (biologique cette fois), mon ami de toujours malgré notre lien de fraternité et mon compagnon dans ce voyage "aventure", l'artiste et homme de théâtre, Fathi Labbène, ou si je dois plutôt remercier tous ceux que je viens de citer, en son nom aussi… En tout cas, je vais me contenter ici, de signer cette page de remerciements en son nom et au mien. Si ce texte est de moi et si mon visage apparaît presque dans toutes les photos, nul besoin de recourir à un devin pour découvrir qui se tient derrière l'appareil photo. Et puis sa photo à la porte du conducteur de la voiture ne peut aucunement me permettre de nier qu'il a partagé avec moi la conduite de ma voiture, pour que nous ne soyons pas encore plus lessivés que nous l'étions au retour du voyage.

Pour terminer, je dois préciser que tous ces noms, tous ces lieux et tous ces domaines d'activités m'ont beaucoup enrichi. Ils m'ont certainement inspiré des idées de lieux, de personnages et d'événements à inventer dans mon imagination, mais que leurs vrais personnages, leurs vraies histoires et les lieux où ils se trouvent n'ont et n'auront aucun lien avec les événements, les lieux et les personnages de "La Boussole de Sidinna". Cet avertissement vaut tout aussi bien pour me préserver de tomber dans le piège du style journalistique et du genre touristique et documentaire.

Avec toutes mes excuses pour le retard dans la publication de cette page. Vous comprendriez facilement à quel point le temps était trop exigu pour permettre à la fois d'accomplir ce devoir, de fixer un plan et de rédiger, dans les deux langues, les deux "Fenêtres" et le premier épisode de "La Boussole de Sidinna".

Avec les meilleurs sentiments de frères

Fathi et Salem Labbène