jeudi 29 janvier 2009

La Boussole de Sidinna / 18 La cache de la lune

Mon année sur les ailes du récit (48/53) La Boussole de Sidinna (18/23) – 30 janvier 2009


Chemin second :

Des silex sur les dunes

Orientation septième :

La cache de la lune

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur



Où peut bien se cacher la lune des nuits sombres ? C'est là le vrai problème ! Si je connaissais la cache, peut être comprendrais-je le secret de toute cette obscurité qui aveugle ma conscience, m'enveloppe la mémoire et m'empêche d'arriver au bout de mon chemin. Même dans mes rêves, la scène subitement s'assombrit, la lune disparaît soudain dans sa cache inconnue et je baigne dans les ténèbres, ne sachant pas si je vais me réveiller ou si, avec l'avènement d'une nouvelle lune, je vais être cueilli à chaud par un autre cauchemar.


… Habitué à l'obscurité. A nouveau seul, allongé sur une civière, un bandeau noir sur les yeux. La salle d'écoute baigne dans le noir et l'infirmier de la prison, un dur sans cœur, applique à la lettre les directives de ses supérieurs, ne voulant même pas écouter mon point de vue. Je lui crie que je reconnais la paternité de Mayara sans que cela nécessite une analyse génétique. Mais il m'enfonce, quand même, dans la veine une aiguille de la taille d'une lance, pour remplir de mon sang toute un flacon, et puis s'en va en riant de moi. Et moi, je n'ai aucune envie de rire.

*****
… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Oh ! Enfin l'île de Ghédamssi ! Mais comment y suis-je arrivé, du Cap Bon, en un simple sprint ? C'est certainement ce que Khaddouja Jaïed appelle la chaleur de l'expulsion de l'âme. Depuis combien de temps mes rêves ne m'ont-ils pas offert un événement aussi heureux ? Enfin rentré au Bled, enfin débarrassé du propriétaire de l'âne et de sa bande ! Mais il me semble sentir comme une honte de moi-même qui me fait redouter le retour à la maison. Alors je me convaincs de rester sur l'île. Peut-être manquerais-je un peu à Aïchoucha qui viendrait à ma rencontre, ou un passant s'apercevrait-il de ma présence. L'information parviendrait jusqu'à Beb-Tounes et tout le monde viendrait, alors, me ramener au bercail, comme on ramenait jadis les femmes boudeuses au foyer conjugal… Tiens ! Une image qui provoque une nouvelle crise de fou-rire involontaire et interminable...
… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Mais tout y est sur le point de s'écrouler. Des fissures qui s'élargissent petit à petit, au point qu'il me semble entendre les craquements des pierres qui se déchirent en se séparant les unes des autres. Le rêve va-t-il se transformer en cauchemar et la crise de rires en crise de larmes ? Mais où est donc la Marina ? L'a-t-on déplacée ? Tiens ! Une autre image qui provoque une autre crise de fou-rire. Mais pourquoi ne pas poser la question au gardien enveloppé dans sa couverture, pour se protéger du froid ?
- Il n'y a aucune Marina à El-Haouariya ! Mais d'abord comment êtes-vous arrivé ici ? Il est strictement interdit d'accéder à ce site, surtout de nuit. Ne savez-vous pas lire ?
… Mohamed Lamjed Brikcha ne sait pas lire ! Une autre blague, une autre crise de fou-rire. Le gardien enveloppé dans sa couverture pour se protéger du froid, se fâche de mes ricanements et m'ordonne de quitter tout de suite les lieux pour m'éviter les tracasseries, ainsi qu'à lui-même. Mais où pourrais-je aller ? Si j'étais encore à El-Haouariya, la bande du propriétaire de l'âne serait, sans nul doute, encore là, sur la colline, à me guetter. Je trompe la vigilance du gardien et me faufile dans une autre grotte menaçant ruine. J'en fais mon abri et qu'elle s'écroule complètement sur ma tête si son vœu est de s'écrouler !
… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Et la nuit ne tarde pas à s'assombrir. La lune disparaît du ciel. Ses reflets argent sur la surface de l'eau s'éteignent. Et je plonge dans un noir total, une obscurité dans laquelle je ne me suis jamais trouvé de ma vie. N'eut été le bruit de l'eau chuchotant son écoulement aux pierres saillantes, au flux et au reflux, la vie m'aurait parue brusquement interrompue. Le silence est ici plus sombre que l'obscurité elle même. Mais où se cache donc la lune des nuits sombres ?

*****
… Habitué à l'obscurité. La salle d'écoute baigne dans le noir. Enfin, mon avocate arrive à la prison. Elle m'ôte le bandeau noir qui me couvre les yeux et ouvre la fenêtre pour laisser entrer la lumière du jour :
- Nous allons immédiatement réclamer un examen psychologique en vue d'obtenir un délai, avant votre soumission aux interrogatoires officiels! Je ne veux pas que votre transfert chez le psychiatre se fasse sur la demande de l'instruction. Car la mission du médecin serait alors de déterminer si vous êtes effectivement malade ou si vous simulez. Mais lorsque c'est nous qui réclamons l'examen, sa mission sera de vérifier s'il n'est pas injuste, à la base, de vous soumettre à l'interrogatoire en vous infligeant des questions de nature à aggraver votre état psychologique. Il y a une nuance dans l'exposé juridique, Si Lamjed, mais une nuance de taille.
- Comprenez-moi maître, je ne veux pas voir de médecin. Je veux simplement savoir où se cache la lune des nuits sombres. C'est là le vrai problème. Si je connaissais l'endroit où elle se cachait, peut être comprendrai-je le secret de toute cette obscurité qui aveugle ma conscience, enveloppe ma mémoire et m'empêche de leur donner des réponses claires à toutes leurs questions.
- Ah bon ! Possible ! Mais il y a, en attendant votre examen médical, une autre question importante sur laquelle je dois attirer votre attention. Elle concerne Mayara, la fille d'Aïchoucha Laâjel. Ne dites plus à personne que vous reconnaissez, ni que vous niez sa paternité. C'est une question qui n'intéresse que nous. Toute déclaration que vous faites ici est enregistrée dans votre dossier. Néji Laâjel vient de retirer sa plainte contre vous. Voici une information importante sur laquelle nous allons nous baser. Je vais en profiter pour retirer de votre dossier les analyses effectuées. Nous aurons tout notre temps, une fois l'affaire principale résolue, de traiter le problème de Mayara à votre convenance.

*****
… Habitué à l'obscurité. Le monde s'assombrit devant mes yeux, même en plein jour. Tous les yeux du monde voient parfaitement, sauf les miens qui deviennent aveugles dès que j'en ai besoin pour apercevoir ce que je cherche. Tazoghrane, par exemple, oui ! Je vois tout ce qui m'entoure, sauf Tazoghrane. Je tourne en rond sans jamais pouvoir y arriver. La mémoire revient puis s'en va. La conscience s'en va puis revient. Et moi, j'en suis toujours à chercher Tazoghrane ou à me reposer d'avoir, en vain, cherché Tazoghrane. Je ne sais pourquoi, mais quelque chose me pousse à monter à dos de cet âne et à chercher, inlassablement, Tazoghrane, en particulier. Et comme je tiens absolument à y arriver, Tazoghrane, elle, de jour comme de nuit, se tient exprès du côté sombre de mon champ de vision.
Je demande à toutes les personnes que je rencontre sur mon chemin de m'indiquer la route. Mais dès que je pose la question, on rit de moi et on m'assure que la route est claire et que rien n'est plus facile que d'arriver à Tazoghrane :
- Ah, Tazoghrane, Tazoghrane… Iciii ? Oh j'chais pas trop Ya'lkou, Moi j'chuis touriste ici. Mais moi, j'ai un ami qui est Tamazigh. Alors je crois savoir que Tazoghrane c'est, comme tu dirais, la rouge ou le rouge, la couleur rouge de toute façon. Mais un village, alors là, J'chais pas trop. Ici, en Tunisie ? C'est difficile de trouver ça, ya'lkhou. Car il n'y a plus de berbères ici. Par contre, chez nous, en Algérie c'est fort possible que…

*****


Si je ne connaissais pas bien les enfants et la femme de Boujomâa, je dirais que c'est bien lui qui s'est débarrassé de sa Kachabiya, qui s'est rasé le crâne, qui s'est enfui de la ferme de Slouguiya avec les siens, abandonnant le troupeau d'El-Hajja Héniya à son sort et qui a pris une voiture immatriculée en Algérie pour faire du tourisme à Korbous comme les riches de son pays d'origine. Voici une autre image très rigolote ! Mais je retiens mon fou-rire, par politesse, jusqu'à ce que la voiture s'éloigne ; puis je le laisse exploser. Et les échos de mes éclats de rire de retentir entre les collines environnantes, faisant trembler les membres de l'âne qui trébuche. Soudain, la lune disparaît et je me vois perdre le contrôle de la bête et tomber, aveugle, ne voyant plus rien autour de moi.
*****
… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Au large, des rochers saillants et des vagues se heurtant et gagnant en hauteur et pas de lune pour éclairer la voie. Des rumeurs sur un zodiaque qui aurait heurté un rocher, sur un trou par lequel l'eau se serait infiltrée et sur une trentaine, tous de moins de la trentaine. Ils auraient tenté de "brûler" au pays des italiens. Certains d'entre eux se seraient noyés et les agents de secours seraient encore en train de chercher les autres.
… Au large, des rochers saillants et des vagues se heurtant et gagnant en hauteur et pas de lune pour éclairer la voie. A la recherche de survivants, les agents de la protection civile braquent les projecteurs de leurs vedettes et de leurs hélicoptères. Ils s'affairent à repêcher les cadavres. Sur la terre ferme, les ambulances s'en vont et s'en viennent. Portières arrières ouvertes, elles accueillent les cadavres inanimés des brûleurs, ou leurs corps flasques conservant encore quelques restes de vie.
… Les agents de la protection civile tentent de retrouver des survivants. La plage est sur-animée, surexcitée. A même le sable, des cris de douleurs et des cercles de lamentation. Et, sur la corniche, des maisons qui s'ouvrent en signe de solidarité avec les mères endeuillées. Ici et là, des centaines de parents veillent, dans l'attente de la miséricorde divine, à l'affût de quelques bribes d'information sur leurs progénitures.
… La plage est sur-animée, surexcitée. Et moi, alors ? Quel rapport aurais-je avec tout cela, pour me trouver ici, allant et venant avec ceux qui attendent ou assis à la ronde avec ceux et celles qui se lamentent ? Soudain, j’ai comme l’impression qu’une femme de l'âge de Khadouja Jaïed m'attaque. Elle me tient par le col de la chemise comme si elle attrapait un criminel et crie :
- Enfin je t'attrape, fils de chien ! N'es tu pas le fils de Khadouja ? N'es-tu pas celui qui était venu à Kasserine, dans la voiture du professeur gafsien et qui avait rencontré mon fils Karim, au café de la gare?
- Oui je suis bien le fils de Khadouja Jaïed. Mais qui vous dit, madame, que Karim a "brûlé" ? Ce n'est qu'un mensonge, madame ! Tous les tunisiens "brûleraient"-ils jusqu'au dernier, que Karim Awled Belâaïfi s'en empêcherait, de lui même. Je me souviens de plusieurs poèmes d'amour qu'il avait dédiés à la Tunisie et qui m'avaient fait pleurer, tellement était émouvante sa façon de chanter l'impossibilité de vivre loin de cette terre. Non madame ne croyez jamais qu'il ait "brûlé" ni qu'il se soit noyé.
- Tu ne vas pas réussir à me rouler avec tes propos simulant la compassion, fils de cochonne. Tu es de ceux qui tuent la victime et marchent dans son cortège funèbre ! N'es-tu pas le propriétaire du zodiaque ?
- Non!
- Mon cœur a failli s'arrêter de battre, le jour où Karim m'a appris qu'il partait et que tu lui avais téléphoné pour l'inviter à travailler avec toi dans la cueillette des oranges à Menzel Bou Zelfa…
- Mais j'ai bien dit à Bochra Toukabri que cette accusation était sans fondement. Je n'ai jamais appelé Karim Awled Belâaïfi. Jamais ! Je n'ai d'ailleurs pas de téléphone et je ne connaissais même pas son numéro. Et puis je suis de Beb-Tounes, moi ! Pas de Menzel Bou Zelfa, pour y posséder des oranges à cueillir.
- Pourquoi me fais-tu cela, fils de Brikcha ? Et toi mon Dieu, pourquoi me prends-tu mon fils unique ? Je l’avais contraint à jurer sur le Coran qu'il ne "brûlerait" pas au pays des italiens comme le font les aventuriers. Il avait juré mais voilà qu'il n’a pas tenu promesse. Il vivait avec le seul espoir de partir à l'étranger. J'ai tenu à confisquer son passeport et à ne le laisser monter dans le bus qu'après avoir juré. Mais c'est toi qui l'as dupé, fils de Khadouja, et c'est à toi de me le rendre, vivant. Autrement je te crèverai les yeux avec mes ongles.
… Au large, des rochers saillants et des vagues qui continuent à se heurter, gagnant en hauteur et pas de lune pour éclairer la voie. Et, sur la plage, les agents de la protection civile sortent un corps inanimé qu'ils allongent sur une civière et emportent vers leur voiture. Et moi, avec les curieux, je me penche sur le noyé :
- Ah… Ah… Karim… Ah Awled Belâaïfi… Ô poète de demain, qu'as-tu fais de toi-même ? Pourquoi succomber au mirage du Nord ? pourquoi descendre des hauteurs du Châambi, pour périr ainsi sur cette plage ? Qu'avez-vous tous à "brûler" ? Aaaaah … Si nous savions où s'en va la lune des nuits sombres, peut-être, comprendrions-nous le secret de toute cette obscurité qui aveugle les consciences et enveloppe les mémoires, qui nous prive d'arriver là où nous voulons, qui nous empêche même de penser à nous ancrer sur la terre ferme pour n'être pas engloutis par la mer. C'est là, le vrai problème …
… Au large, des rochers saillants et des vagues se heurtant et gagnant en hauteur et pas de lune pour éclairer la voie. Et, sur la plage, une maman endeuillée jure de venger son fils étendu sur la civière. La voici qui s'attaque au fils de Khadouja Jaïed, croupissant maintenant dans sa cellule, tout en sachant pertinemment qu'il est innocent. La voici qui enfonce ses ongles dans mes yeux, qui me les arrache, me plongeant à nouveau dans l'obscurité.
*****
… Habitué à l'obscurité. La salle d'écoute baigne dans le noir. A nouveau seul, allongé sur une civière, un bandeau noir sur les yeux. Je crie :
- Innocent, je le jure au nom de Dieu ! Je n'ai ni tenté de "brûler" ni organisé de voyages clandestins. C'est vrai que je suis issu d'une famille de pêcheurs, mais le zodiaque n'est pas à moi et je n'y ai jamais travaillé pour le compte de qui que ce soit. C'est vrai aussi que j'ai rencontré Karim Awled Belâaïfi à Kasserine dans des circonstances dont je n'ai encore aucun souvenir. Mais jamais je ne l'ai invité à Menzel Bou Zelfa ni ne l'y ai rencontré ni n'ai été au courant de son intention de brûler.
… Habitué à l'obscurité. La salle d'écoute baigne dans le noir. Le bruit des pas de Bochra Toukabri qui vient me rendre visite en prison. Pince-moi petite maman, pince-moi vite. Je m'en souviens maintenant. Réveille-moi que je leur dise toute la vérité. Mais où es-tu Di Jay ?
- Te souviens-tu de moi maintenant, Si Lamjed ?
- Bochra… Que Dieu ne t'accorde pas de baraka ! Que fais-tu ici, en prison en cette nuit sombre, alors que la lune se cache dans un endroit inconnu ? Et pourquoi t'introduis-tu dans mon rêve accompagnant mon nom de ce "Si" ridicule et tentant de me faire rire alors que je n'en ai aucune envie ? Hé dis, Bochra, pourquoi t'es-tu séparée de mon copain Farès Khemiri?
- N'as-tu pas honte de toi, Si Lamjed ? Je tente de te sauver et toi tu t'accroches à ta perte. Pourquoi dis-tu que tu ne te souviens pas ?
- et toi, pourquoi cries-tu ainsi ? Si j'ai dit que je ne me souvenais pas c'est que je ne me souvenais effectivement pas. La dernière image que je gardais de toi remontait à l'époque de ta liaison avec Farès Khmiri. Je te vois encore couper ton gâteau d'anniversaire et jurer, au nom des vingt-quatre bougies allumées, que tu lui resterais fidèle toute la vie. Et puis, brusquement, une information me parvient qui est aussi diffamante qu'une injure envers les dieux de l'amour : Vous êtes séparés ! Et, pour s'en remettre, Farès coupe tout contact avec nous tous, quitte le pays et s'en va enterrer son chagrin dans les bras d'une vieille belge. Brusquement je n'ai plus de nouvelles ni de lui ni de toi. Le monde s'assombrit à mes yeux, Bochra. Vous deux, séparés ! C'est la faute à la lune, Toukebri. C'est la faute à la lune. Je ne sais pas où elle va lorsqu'elle se cache. Alors je tombe inévitablement dans la zône des ténèbres et ne me rappelles plus rien.
- Et maintenant ?
- Maintenant je me souviens. Je me rappelle le café Bou Makhlouf au Kef. Je t'y ai vue assise sur la Doukkana avec ton appareil photo au cou et autour de toi des jeunes dont je ne connaissais personne. Je n'ai pas compris ce jour là pourquoi tu m'avais repoussé comme si tu n'avais jamais été mon amie, ou comme si ta rupture avec Farès Khmiri devait gommer toute la sympathie que nous avions l'un pour l'autre.
- Et Nawfel El Wachem ? Sais-tu pourquoi il s'était brusquement évaporé, au moment où tu étais venu me parler ? Sais-tu où il était allé ?
- Ah oui, c'est vrai ! Nawfek El Wachem, je me souviens de ce nom ! Je me rappelle maintenant ! ça aussi, Bochra, je n'y avais rien compris. Ce n'était pourtant pas dans sa nature de me mettre dans un tel embarras. Je n'ai pas cru un instant, ce jour là, qu'il avait l'intention de se débarrasser de moi. Je le connaissais comme un homme de bien. Il m'avait hébergé des mois durant et m'avait nourri par amour pour Dieu.
- Dis plutôt que c'est un criminel, Si Lamjed ! Et saches que le fait de le couvrir va te coûter très cher. Ne savais-tu pas que c'était le chef d'un réseau de contrebande opérant à travers les frontières avec l'Algérie ? Comment en étais-tu arrivé à fréquenter ces énergumènes ? Que faisais-tu avec eux ? Les indicateurs t'ont vu dans la voiture de Nawfel El Wachem, traversant les frontières dans les deux sens. Te souviens-tu de cela, au moins ?
- De la brume… Rien que de la brume, Bochra. Et la faute est à la lune qui s'absente sans que je ne sache où elle va.
- Ecoute-moi bien, Si Lamjed, tu ne vas pas recourir à ces expressions ambigües pour esquiver la question et ne rien dire de la vérité. Maintenant que tu t'es souvenu de notre rencontre au Kef, tu n'as plus qu'à te rappeler aussi tout ce que tu sais sur Nawfel El Wachem. Tu dois nous donner toutes les indications sur lui.
- Et qu'est-ce que tu as à voir, toi, avec Nawfel El Wachem ? Es-tu venue me rendre visite ou bien comploterais-tu contre moi en connivence avec la police ?
- Tu comprendras tout en temps opportun. Ici, il n'y a que moi qui suis convaincue de ta sincérité. J'étais certaine, depuis que tu as été arrêté, que tes nerfs étaient touchés. C'est moi qui suis intervenue pour charger de ton cas la chef de service en personne. Elle a tout fait pour t'aider à retrouver la mémoire, mais tu ne lui as pas facilité la tâche. C'est moi qui ai parlé de toi, par hasard, à Nadia Belâissaouiya. J'étais au courant de ses problèmes et elle m'a tout raconté. J'ai réussi à la convaincre d'apporter son témoignage concernant votre rencontre à Menzel Bou Zelfa, pour te sauver de l'accusation de complicité dans l'assassinat d'El-Hajja Héniya. Et c'est moi enfin qui t'ai pris en photo au Kef avec les ouvriers des chantiers.
- Veux-tu me dire par là que tu es… ?
- Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie ouverte, Si Lamjed. Oui, je suis bien officier de police ! J'y travaillais déjà depuis que j'étais étudiante. Et c'est en le découvrant que Farès m'a plaquée ! Le jour où tu m'as vue au salon de thé Bou Makhlouf, j'étais avec quelques jeunes collègues attendant l'arrivée de renforts pour nous aider à mettre la main sur Nawfel El Wachem. Mais voici que tu t'amènes pour tout bousiller. Tu avais attiré son attention sur nous et créé, volontairement ou non, la diversion qui lui a permis de nous échapper. C'est toi, Si Lamjed, qui a saboté notre plan pour l'arrêter. Tu as été à l'origine de l'échec de ma mission et tu dois, maintenant, rafistoler ta mémoire pour tout nous dire sur lui et nous permettre à nouveau de mettre la main dessus. Sinon, tu vas être considéré comme son complice. Et je n'y pourrai plus rien !



*****
… Habitué à l'obscurité. La salle d'écoute baigne dans le noir. Et Bochra Toukabri n'était, depuis toujours, qu'un agent de police. Qui aurait pu prévoir tout ça ? Et comment ne serais-je pas atteint de cécité pour le restant de ma vie ? Pourquoi mon Dieu fais-tu disparaître la lune sans me guider à l'endroit où tu l'as cachée ? Pourquoi, mon Dieu, m'arraches-tu du paradis de l'oubli pour me jeter dans le feu de mes désillusions ? Pourquoi me rappelles-tu tous ces souvenirs sans me doter de la clairvoyance à même de me réconforter?
… La salle d'écoute baigne dans le noir. Seul, allongé sur une civière, comme toujours, lacéré par la fièvre et les questions. Yassine Bellaghnej, le bédouin modèle, toujours à cheval sur la morale, travaille dans la prostitution et meurt dans un règlement de comptes. Abdel-Hafidh Bettaleb Rabâaoui, le vicieux fils du vicieux, Haffa le gigolo, devient leader islamiste, tente de me recruter et de me faire passer les frontières, puis donne des ordres pour m'asséner un coup sur le crâne et me laisser mourir dans le Sahara. Karim Awled Belâaïfi, le poète amoureux du pays, se trouve obligé de "brûler" et se noie en pleine mer pour que je sois accusé de l'avoir incité à la "Harga" qui a causé sa mort. Et, enfin, Bochra toukabri… Bochra, la petite fille de Lénine… Bochra, la descendante du Ché Guevara… Bochra, qui nous assurait avoir la nausée rien qu'à entendre le mot police, était, elle-même, officier de police…
… La salle d'écoute baigne dans le noir. Et toute cette pression sur mes nerfs dépasse de loin ma capacité d'encaissement. La faute en revient à la lune, Farès ! La faute en revient à la lune, ô Khémiri le débile! La faute en revient à la lune, madame le chef de service ! La lune se cache brusquement, me laissant incapable de deviner où elle va.
Mais raison en serait bien que vous m'aviez pris la boussole de Sidinna… Rendez-moi la boussole de Sidinna, madame ! Rendez-moi vite ma boussole!
- Qu'est ce que c'est que cette affaire de boussole, Si Lamjed ? Votre sœur Rachida est venue nous la réclamer. Nous lui avons dit que vous n'aviez aucune boussole au moment de votre arrestation.
- Mais si, j'en avais une ! C'est vous qui me l'avez prise et qui l'avez égarée. Alors rendez-moi ma boussole.

*****

… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Tout y est sur le point de s'écrouler. Des fissures qui s'élargissent encore et encore. Et moi, je suis transféré, ligoté, d'une pièce fissurée à une autre encore plus fissurée. Me voici mains, pieds, ventre, thorax et cou ligotés. Allongé sur la civière dans l'obscurité, alors que dehors, les vagues se heurtent toujours, gagnant en hauteur et le vent siffle à travers les fissures les airs d'une symphonie de la terreur. Des fils électriques attachés à ma peau tout le long de mon corps. L'appareil de détection de mensonge, de l'hypocrisie, du jeu de comédie et des maladies mentales incurables. Un médecin Robot pose des questions d'une manière automatique et n'attend même pas mes réponses :
- Test de vérité… Test de vérité… L'accusé Mohamed Lamjed ben Habib ben Bahri Brikcha. Exprimez des sentiments sincères et vous aurez la paix. Si vous vous agitez, vous vous mettez sous tension, vous exprimez des sentiments simulés, des pensées fausses, vous vous forcez d'avoir du sang froid etc. etc…, nous vous injecterons le "catalyseur-dénudeur", injection après injection, jusqu'à vous mettre totalement à nu. Et la ficelle blanche se distinguera, alors, d'elle-même, de la ficelle noire. Compris ? Commençons !
Et les questions de pleuvoir comme une averse qui ne s'arrête pas : Qui êtes vous ? Quel rapport avez-vous avec le propriétaire du zodiaque ? Combien touchez-vous pour chaque "brûleur" que vous recrutez ? Pourquoi avez-vous tué Karim Awled Belâaïfi ? Qui vous a présenté à Naoufel El Wachem ? Combien de fois avez-vous traversé les frontières algériennes ? Avez-vous participé à l'assassinat de Yassine Bellaghnej ? Quel rôle avez-vous joué dans les événements du bassin minier ? Combien touchez-vous pour chaque prostituée que vous amenez aux clients ? Est-ce bien vous qui avez défloré Aïchoucha Laâjel ?
- Ah non ! Tout sauf Aïchoucha… Ne touchez pas à ma Aîchoucha …
- Injection….
- AAAAAAAAh …
Après chaque nouvelle injection, une nouvelle série de questions :
Pour qui vous prenez-vous pour refuser de travailler chez Ameur El Bintou ? Où avez-vous caché la boussole ? Quel secret y a-t-il dans votre recherche acharnée de Tazoghrane ? Quel rapport avez-vous avec Haffa le Gigolo ? Où étiez-vous entre le jour où vous avez reçu le coup sur le crâne et le jour où vous avez été repéré avec Nawfel El Wachem au Kef ? Qui vous a soufflé l'idée de simuler la perte de mémoire ? Qui vous a présenté Sofiène Jeridi ? Etait-il aussi associé à votre commerce de la Harga ? Qui sont les membres de la bande ? Nous avons trouvé votre portefeuille et vos papiers d'identité dans une voiture volée. Où l'avez-vous volée ? Qui de vous se charge de falsifier les papiers? Qu'est-ce qui prouve que Mayara est de vous et non d'Ameur El Bintou ?
- Ah non ! Tout sauf Aïchoucha ! Tout sauf Mayara ! Touchez-pas à ma Aïchoucha ! Touchez-pas à Notre Mayara !
- Injection …
- AAAAAAAAAAh…
Les questions se suivent et se ressemblent. Les injections aussi se suivent et se ressemblent. Le tout pour donner lieu enfin à un rapport d'expertise :
- Oyez, oyez ! Le dernier mot, le dernier mot ! Nous, Robot fils du Robot, chargé de l'exécution des expertises des maladies mentales incurables, annonçons que les nerfs de l'accusé Mohamed Lamjed Brikcha sont intacts. Nous attestons plutôt, après des tests minutieux, qu'il fait preuve d'une intelligence, de loin, supérieure à la moyenne ainsi que d'une capacité extraordinaire à l'affabulation. Il a le don de formuler les mensonges de façon à ce qu'ils paraissent vraisemblables. Nous affirmons que sa mémoire est intacte et sa conscience totale. Quant à ses délires, ils sont d'une logique et d'une organisation telle qu'ils ne peuvent être considérés comme maladifs. En conséquence, nous Robot fils du Robot, déclarons l'accusé apte à subir une instruction dans les normes, jugeons que ses déclarations peuvent être retenues contre lui et ordonnons son transfert immédiat de l'hôpital psychiatrique à sa cellule de prison.


… Une grotte punique taillée dans la pierre à même l'eau. Tout ce qui s'y trouve s'écroule sur ma tête. Les infirmiers ôtent leurs blouses blanches et mettent des uniformes de policiers. Ils débranchent les fils électriques de mon corps et me déconnectent de l'appareil de détection de mensonge et vices assimilés. Les voici qui retirent mon cadavre des débris et me conduisent à nouveau en prison. A moi Di Jay ! Pince-moi petite maman avant que le cauchemar ne s'installe définitivement. Pince-moi petite maman avant qu'il ne soit trop tard…



Le Haikuteur …/… à suivre

jeudi 22 janvier 2009

La Boussole de Sidinna / 17 Le ravin de l'oubli, bis

Mon année sur les ailes du récit (47/53) La Boussole de Sidinna (17/23) – 23 janvier 2009


Chemin second :

Des silex sur les dunes

Orientation sixième 2 :

Le ravin de l'oubli, bis

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Suite de la rencontre ….
………………
- Malheureusement, Il a été décidé que le délai qui nous a été accordé prenne fin aujourd'hui. Alors je dois, immédiatement, savoir ce que vous avez décidé.
………
Je suis désolée, Si Lamjed, mais je dois vous avertir que personne n'a plus la possibilité d'attendre, comme nous l'avons fait jusqu'ici. Moi-même, je suis désormais convaincue qu'il n'y a plus aucune raison de poursuivre ces rencontres au delà de la séance d'aujourd'hui. Si vous ne me répondez pas tout de suite, je serai obligée de me retirer définitivement. Et vous savez ce que cela signifierait que j'annonce mon échec. Ce sera à eux d'en déduire ce qu'ils voudront. Ils auront toute latitude de vous traiter comme bon leur semblera.
- Je voudrais comprendre comment…
- Je n'ai plus le temps de vous expliquer quoi que ce soit, Si Lamjed. Vous ne semblez pas bien comprendre ce que je vous ai dit. Répondez-moi, si vous voulez, dans les limites de ma question, ni plus ni moins : où avez-vous rencontré Nadia Belâissaouiya la première fois ? Donnez votre réponse en un seul mot, ou je sortirai d'ici et vous ne me reverrez plus.

- …………..
… A Slouguia … A Slouguia, Madame, plus exactement à la sortie du village, sur le pont de la Medjerda.
- Pourquoi, alors, m'avez-vous menti ?
- Pas au Kef, en tout cas !
- Pourquoi avez-vous dit que c'était à Zaghouan, sachant que vous n'y avez jamais mis les pieds ? Pourquoi me mentir à moi alors que vous savez que je veux sincèrement vous aider ? A cause de ce mensonge, ils ne croiront même plus que vous avez perdu la mémoire. Quant à prétendre que vous avez vécu dans un état d'éveil inconscient, le moins qu'ils puissent en penser, c'est que c'est de la pure invention. Vous tenez des propos que la raison ne peut admettre, Si Lamjed. Je veux bien vous comprendre, moi, suivre votre raisonnement, vous aider. Mais eux, ils savent que vous êtes très intelligent. Ils disent même que vous êtes, en plus, bon comédien et que vous faites tout pour couvrir vos associés et gagner du temps au profit de vos complices.
…….
Répondez-moi ! Qu'est ce qui vous pousse à mentir ?
- Personne ne croira la vérité, madame. Et puis j'ai peur !
- De qui ?
- De Nadia, de la mère de Nadia, pour Nadia, du mari de Nadia. J'ai peur de moi-même, de mon incapacité à affronter la vérité. Je ne sais pas moi ! J'ai peur de vous, de tout ! Qui va croire que j'ai passé deux jours entiers, dans une maison fermée, avec une femme qui fuit son mari et qu'il n'y a eu entre nous que des discussions et rien d'autre ?

*****

Suite de la rencontre ….
………………
… Deux pains, trois berlingots de lait et autant de boites de biscuits, une boule de fromage rouge, six bouteilles d'eau minérale et bien d'autres choses dont, bien sûr, une cartouche de cigarettes. Un tas de produits ramenés dans des sachets en plastique et disposés n'importe comment au milieu du salon, par terre et sur la table basse en verre.
Nadia Belâissaouiya allongée sur le divan. Elle n'arrête pas de fumer. Et moi, allongé non loin d'elle, à même le tapis. Tantôt je tousse, tantôt je combats ma toux en buvant de l'eau. Je lui ai raconté mon histoire avec le CAPES et comment j'ai réprimandé maman parce qu'elle avait hypothéqué ses bijoux pour donner tout ce qu'elle possédait à une bonne dame, qui prétendait pouvoir intervenir pour assurer mon succès à l'examen. Je lui ai raconté comment j'ai bafoué les sacrosaintes règles de bonne conduite à l'égard des parents, élevant la voix en présence de Khadouja Jaïed, la menaçant même de quitter la maison pour ne plus y revenir.
… Nadia m'a raconté, quant à elle, comment, aussitôt sortie de la fac, elle a été désignée par son oncle maternel comme enseignante d'histoire dans un collège non loin de Testour, où elle est allée habiter après son mariage avec un riche homme d'affaires, divorcé et ami de la famille. Son mari lui ayant assuré, au moment des fiançailles, qu'il allait l'aider à poursuivre des études de troisième cycle pour devenir professeur universitaire, elle s’est trouvée contrainte de se réveiller de son beau rêve pour constater qu'avec le temps, tout était parti en fumée.
… Elle parle et fume. Quant à la nourriture, elle demeurait intacte. Nadia n'y touche pas et moi, je n'ose même pas m'en approcher. Lorsque le sommeil l’envahit, Nadia se laisse aller à dormir. Mais à peine ai-je à mon tour les yeux fermé, qu'elle allume une nouvelle cigarette. Et lorsqu'elle remarque que je me suis réveillé, elle commence par me demander des nouvelles de Yassine Bellaghnej et Fares Khmiri, me posant aussi des questions à propos des matinées cinématographiques de la maison de la culture Ibn Khaldoun. Je me tais un moment pour me concentrer et me préparer à lui répondre. Mais elle poursuit aussitôt la narration de son histoire personnelle comme si elle ne m'avait posé aucune question.
… Le drame de Nadia Belâissaouiya, comme elle me l'a expliqué, est qu'elle s'était définie, depuis son enfance, un objectif bien déterminé. Elle l'avait fait connaître à tout le monde et avait commencé à œuvrer pour l'atteindre par tous les moyens. Or, elle s'était retrouvée accablée par une situation qu'elle avait acceptée et qu'elle croyait être la voie la plus courte pour atteindre ses objectifs. Ce qu'elle voulait, c'est jouer un rôle actif de premier plan dans la société. La recette lui semblait évidente : militer au sein du parti au pouvoir et travailler afin de gravir les échelons et prouver au monde entier la capacité des femmes à occuper les plus hauts postes de commandement et à assumer les plus hautes fonctions, sur un pied d'égalité avec les hommes.
Nadia avait toutes les conditions pour réaliser son rêve. Le seul hic, à ce qu'elle dit, est qu'elle n'avait pas pris en compte la capacité de manœuvre de son mari ; un véritable manipulateur qui menait contre ses objectifs un travail de sape systématique dans les coulisses, tout en déclarant être son soutien et l'encourager à les réaliser. Aussi ne s'était-elle aperçue du piège qu'une fois devenue, en moins de six ans, une véritable femme au foyer.


Elle avait d'abord accepté de quitter son travail dans l'enseignement pour pouvoir accompagner son mari dans ses fréquents voyages d'affaires. Puis, sa belle mère tombée malade, elle avait dû faire la concession de lui tenir compagnie supervisant le travail de femme de ménage à la maison, d'autant plus que les affaires de son mari demandaient de moins en moins de déplacements. Et, pour finir, se furent les occupations ménagères qui ne lui laissèrent même plus le temps d'assister aux réunions de la cellule locale. Tout cela sans compter le temps qu'elle consacrait désormais à espionner les aventures de son mari avec les employées de sa société.
…Elle m'expliquait le lien qui existait entre l'échec de son parcours politique et celui de son couple. Puis se remettait à déclarer sa détermination à tromper, tôt ou tard et quel qu'en soit le prix à payer, ce mari qui ne se contentait plus de la manipuler comme une marionnette, mais qui la trompait, maintenant, à tout bout de champ.
Quant à moi, j'écoutais, réfléchissais à la question et trouvais, très sérieusement, que si ce qu'elle racontait était vrai, elle aurait toutes les raisons de lui rendre exactement la pareille. Mais voilà que les crises de fou-rires involontaires, que j'avais crues finies à jamais depuis le jour de l'Aïd El-Adha, m'étaient, soudain, revenues. J'ai eu alors honte de moi-même. J'ai tourné le dos à Nadia, faisant mine de tousser et j'ai ri à en perdre haleine. Quant à elle, elle n'avait ni ri, ni arrêté de fumer.
… Ce n'est que deux jours plus tard, peu avant le coucher, que sa mère, madame Neila, était arrivée venant de Zaghouan. Une femme tranchante. Elle a beaucoup reproché à sa fille cette action qu'elle a qualifiée littéralement d'action abjecte. Elle a réfléchi posément puis décidé que nous devions tous dire, au cas où quelqu'un viendrait, que la maman et sa fille m'auraient rencontré, toutes les deux, l'après-midi même, à Zaghouan et pas du tout à Slouguia.
Madame Neila a déclaré qu'en tant qu'alibi, elle appréciait bien l'idée de l'éclatement de pneu. Ce qui voulait dire qu'elle ne l'a prise que pour un prétexte avancé par Nadia pour cacher une vieille relation, que la maman imaginait entre nous et qui daterait de bien avant le mariage de sa fille. Aussi ordonne-t-elle le transfert dudit éclatement, de la sortie de Slouguia à celle de Zaghouan, renonçant par là même à me renvoyer de sa maison, à cette heure tardive de la nuit.
Le soir, la maman et sa fille avaient dormi dans l'une des chambres à coucher. Elles avaient fermé leur porte me laissant dormir à même le tapis du salon. Le matin, elles s'étaient réveillées tôt décidées à partir pour Testour. Nadia s'était totalement calmée. Elle avait complètement oublié tout ce qu'elle m'avait dit avant l'arrivée de sa mère. Sa révolte contre son mari s'était transformée en une soif de réconciliation et son désespoir en une foi inébranlable en sa capacité à faire redémarrer sa carrière politique grâce, justement, à cette alliance avec son mari, qu'elle allait mettre à profit, sans états d'âme, pour arriver à ses fins.
… Deux pains, trois berlingots de lait et autant de boites de biscuit, une boule de fromage Gauda et bien d'autres choses... Un tas de produits ramenés dans des sachets et disposés n'importe comment par terre et sur la table basse en verre. Même madame Neila n'a pas touché à la nourriture. Nous n'avons consommé, tous les trois, que de l'eau minérale. Nadia a, bien entendu, consommé également un nombre affolant de cigarettes. Sa maman aussi avait beaucoup fumé. C'est elle qui prend maintenant le reste de la cartouche. Quant aux autres sachets, elle me les met dans un couffin en paille qu'elle m'offre, me demandant avec insistance d'oublier que j'avais rencontré sa fille et, au cas où je devrais apporter un témoignage, de dire que je les ai rencontrées ensemble avec un pneu éclaté, que je les ai aidées à changer la roue et que je les ai, ensuite, priées de m'emmener avec elles jusqu'à Tazoghrane. Alors, elles m'auraient déposé à Menzel Bou Zelfa et seraient parties vers une destination inconnue.
Avant de les saluer, je leur ai demandé de me montrer réellement la route vers Tazoghrane. Elles m'ont indiqué une direction et se sont engagées avec leur voiture dans la direction opposée. Quant à moi, je suis parti, trainant les pieds et chantant à tous ceux que je rencontrais "El Ward Jamil". Et comme je ne savais pas encore très bien pourquoi je me dirigeais vers Tazoghrane, ni pourquoi je chantais cette chanson en particulier, mes crises de fou-rires involontaires reprenaient de plus belle. Aussi tous les passants se mettaient-ils à me dévisager avec des yeux interrogateurs. Je leur chantais la même chanson. Mes fou-rires s'intensifiaient. Certains riaient un peu. Certains autres se tordaient carrément de rire. Et puis chacun s'en allait son chemin.

*****

Suite de la rencontre ….
………………

… Si, si madame, je le connais. Je n'ai jamais dit que je ne connaissais pas le Kef. Je le connais et j'y étais à plusieurs reprises. J'ai vécu une longue période chez El-Hajja Héniya, mais pas dans sa vieille maison à l'entrée du Kef. Je n'ai pas travaillé, non plus, dans le chantier de sa villa à la nouvelle cité de la ville. J'ai plutôt vécu dans la pièce en terre séchée, à la ferme d'El-Hajja, à proximité du village de Slouguia. C'est elle qui venait régulièrement à la ferme. Je me souviens d'une seule fois où elle m'avait pris avec elle au Kef. C'était pour assister à une Zerda qu'elle avait donnée au mausolée Sidi Bou Makhlouf et lors de laquelle elle avait fait égorger un mouton que nous avions ramené de la ferme après l'avoir choisi dans le troupeau de Boujomâ.
Ce soir là, j'avais mangé le couscous et passé la nuit dans la villa en chantier, où il n'y avait aucun des ouvriers. Et le lendemain, dès l'aube, El-Hajja Héniya m'avait ramené à slouguia, à bord de la même camionnette. A part cela, je n'ai aucun autre souvenir du Kef. Ou plutôt si : quelques images embrumées, dont aucun souvenir d'une photo qui aurait été prise de moi avec les ouvriers d'El-Hajja. A moins que ce soit avant que je ne reprenne partiellement conscience. Et, pour vous rassurer quant à l'affaire de l'assassinat, le jour où j'ai rencontré Nadia Belâissaouiya, je n'avais pas été au Kef depuis un bon bout de temps…

*****

Suite de la rencontre ….
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… Debout devant la mosquée El-Qadiriya. Soudain, je me surprends en train de rire, mais d'un rire involontaire qui pour, la première fois, me parait relever d'un comportement anormal. Sans arrêter de rire, je m'observe en compagnie des autres mendiants, tendant la main aux prieurs qui sortent de la mosquée. J'ai très honte…
… Un éclat de lumière aveuglant me traverse. Il jaillit des yeux d'une vieille dame chez laquelle je reconnais le même éclat des yeux de ma grand-mère, Doraïa Jaïda, et de ceux de la vieille pucelle Oumm Ezzine. La main d'El-Hajja Héniya se tend vers moi avec une pièce de monnaie. Ses yeux me transpercent en profondeur. N'arrivant pas à soutenir son regard, je baisse soudain la tête, retire la main et m'enfuis, m'éloignant de la queue des mendiants…
… Debout au coin d'une autre ruelle, attendant qu'El-Hajja Héniya me rattrape. Je mets la main à la poche. Les six petits cailloux de silex y sont encore. Ma mémoire remonte, en un clin d'œil, à l'image d'une dune en plein Sahara, sur laquelle je roulais avant de tomber dans les paumes. Brusquement une question traverse mon esprit : Mais où suis-je ? Et qu'est ce que je fais ici ? Avant de trouver une réponse, une autre crise de fou-rire involontaire m'envahit et l'image de la dune disparaît dans la profondeur de l'oubli…
… Je marche regardant mes pieds. J'observe le parterre de pierres blanches. La rue étroite grimpe, serpentant entre les habitations contiguës, jusqu'à atteindre une place surplombant des montagnes vertes qu'envahissent des nuages à perte de vue. Je me rends compte pour la première fois que je suis dans une ville que je ne connais pas et que je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais visitée. Et pourtant, j'ai l'impression de me souvenir parfaitement de ces ruelles en particulier, comme si j'y avais longtemps vécu …
… Place Cheikh Ali. El-Hajja Héniya me dépasse. Je la rattrape, marchant derrière elle comme attiré par un aimant. Le gardien du musée sort d'une porte cochère et la salue :
- "Comment ça va Omma Hniya ?"
Puis il s'adresse à moi menaçant :
- "Allez vas t'en "L'As" !"
Mais El-Hajja Héniya lui répond :
- "Laisse-le tranquille ! laisse la miséricorde de Dieu descendre sur la terre."
Puis, se retournant vers moi, elle ajoute :
- "Allez viens "L'As", ne t'en fais pas !"
Ainsi donc je suis "L'As". Le gardien du musée me connais ainsi que cette femme qui n'est ni Doraïa Jaïda ni La vierge Oum Ezzine.

*****

Suite de la rencontre ….
………………
… Je vous ai dit depuis le début, madame, que c'étaient des images embrumées. Je ne m'en souviens que parce qu'El-Hajja Héniya m'avait raconté l'histoire de notre rencontre à maintes reprises. C'est elle qui m'a raconté comment elle m'avait emmené au mausolée de Sidi Bou Makhlouf et comment elle avait proposé à ses gardiens de m'y loger comme le faisaient, jadis, tous les bienfaiteurs qui rencontraient des étrangers dans la ville. C'est elle qui m'a décrit sa colère quand le gardien du mausolée avait refusé sa requête, me rappelant comment elle m'avait fait monter à l'arrière de sa camionnette avec trois sacs d'engrais blanc. Cette nuit là était la première que je passais dans la ferme de Slouguia sous la protection de Boujomâa.
… Croyez-moi, madame, je n'ai aucun autre souvenir que ces images embrumées. Même mon nom, personne ne me l'a demandé et je ne l'ai dit à personne. J'ai accepté le nom de "L'As" ne sachant même pas dans quelles circonstances il m'avait été donné. El-Hajja Héniya m'appelait "L'As", ainsi que ses ouvrières qui arrivaient à la ferme chaque matin pour s'en aller au coucher du soleil. Quant à Boujomâa, il m'appelait "Ya'lkhou"(1).
… J'ai aimé la vie avec les plantes, les haies de figues de barbarie, les cognassiers et les grenadiers. J'ai apprécié la vie avec les animaux. Je me suis intégré à eux en n'ayant de relations avec eux, que dans les limites que me traçait Boujomâa ou sur ordre de celui-ci. Car je n'étais pas, à proprement parler, un ouvrier d'El-Hajja, mais une sorte de réfugié chez elle. Je faisais ce que je pouvais quand j'en avais envie. Je travaillais ainsi en contre partie d'un repas que m'apportait Boujomâa après le coucher du soleil ou que m'offraient les ouvrières, à midi, lorsqu'elles s'asseyaient en rondes sous les arbres pour manger.

Deux jours avant l'Aïd Al-Adha, El-Hajja Héniya a rendu visite à la ferme de Slouguia. Elle a fait avec Boujomâa les comptes des ventes de moutons, pris l'argent chez lui et payé les ouvrières en leur accordant des générosités. Quant à moi, elle m'a emmené à Testour, m'a acheté des vêtements chez le fripier et m'a ramené à la ferme. En fin de journée, elle a choisi le plus beau mouton du troupeau, un cornu que Boujomâa n'emmenait pas avec lui lorsqu'il allait au souk. Une fois ligoté, nous nous sommes mis à deux, Boujomâa et moi, pour l'embarquer à l'arrière de la camionnette. Avant qu'elle ne démarre pour le Kef, El-Hajja Héniya m'a confié à l'attention de Boujomâa :
- "L'As" est ton frère, Boujomâa, et c'est l'Aîd de l'Islam ! Alors fais attention à ton frère!
C'était la dernière fois que j'ai vu El-Hajja Héniya. C'était aussi la dernière fois que j'étais pris par un fou-rire involontaire, juste en imaginant que Boujomâa et moi étions de vrais frères et qu'El-Hajja Héniya était notre maman. Les dernières paroles que j'avais entendues d'elle étaient des vœux dont l'écho continue à résonner en moi, comme une invitation à partir de Slouguia. En Actionnant le volant de sa camionnette, elle me jette un dernier regard à travers sa vitre baissée et me dit:
- Allez, bonne fête "L'As". Dieu ait pitié de toi et mette fin à ta détresse !
… A l'aube du jour de l'Aïd, j'ai allumé un feu, chauffé de l'eau, me suis lavé et ai mis mes nouveaux vêtements, comme convenu avec Boujomâa. Son fils ainé, Wa'el, est venu m'appeler et nous sommes partis, tous les trois, à travers les jardins, dans le noir, en écoutant Boujomâa nous expliquer, à son fils et à moi, comment nous devions nous comporter au cours de la prière de l'Aïd.
… A la mosquée du village, je me laisse entrainer loin par le Dhikr et pleure. Boujomâa voit mes larmes couler et gronde son fils qui m'en demandait la raison. Mes larmes silencieuse n'ont pu cesser ni lors de l'échange de vœux de l'Aïd avec les prieurs, ni alors que j'aidais Boujomâa à égorger son mouton, ni encore lorsque, par égard pour sa femme et pour ses enfants, je me forçais à manger du méchoui :
- Désolé Boujomâa, j'ai rendu triste votre Aïd.
… J'e me suis isolé deux jours durant dans la pièce en terre séchée, n'ayant envie ni de boire ni de manger. Quelque chose à l'intérieur de moi commençait à me rappeler vaguement que j'étais Mohamed Lamjed Brikcha et qu'il me fallait faire quelque chose tout de suite pour ne pas me complaire dans le personnage de "L'As", à l'identité inconnue. Deux jours entiers avec l'écho des vœux d'El-Hajja Héniya qui priait pour moi : "Dieu ait pitié de toi et mette fin à ta détresse !".
… Deux jours, seul avec le sentiment que Khaddouja Jaïed me manque, qu'Aïchoucha Laajel me manque, elle aussi, ainsi que Bbé Sabriya et l'impasse Brikcha. Mais, m'est-il encore permis de rentrer à Beb-Tounes comme si je n'en étais jamais sorti ?
… Au troisième jour de l'Aïd je sors de bon matin, avant que Boujomâa ne m'apporte à manger. Marchant d'un pas de promeneur égaré le long de l'Oued Medjerda, je me laisse bercer par le crissement des feuilles jaunes sous mes pieds et ne regarde pas derrière moi. Je marche un moment, puis m'assois pour me reposer, réfléchir et me souvenir. Pourquoi suis-je égaré ainsi ? N'avais-je pas une destination bien déterminée ? Pourquoi n'ai-je plus rêvé depuis longtemps, ni aucours de mon sommeil, ni en état d'éveil ?
… Le soleil se cache totalement derrière les nuages. Soudain, Tazoghrane, un nom de village à la consonance berbère, me saute à l'esprit avec insistance, sans que je n'en devine la raison. Dois-je me rappeler un temps passé à Tazoghrane ? Dois-je plutôt allez à Tazoghrane pour une quelconque raison?
… Une pluie fine commence à tomber. Les nuages commencent à s'accumuler, couvrant toutes les collines qui m'entourent. Le froid commence à me glacer les pieds et les mains. Il faut rentrer à la ferme. Soudain, sautent à nouveau à mon esprit des images de dunes qui se relaient, alternant la chaleur brulante du soleil durant la journée et les flammes des feux de bois s'élevant dans le noir durant la nuit.
Dieu, quel contraste je vis ? J'ai à l'esprit du feu, de la sècheresse et une voute du ciel, bleu et dégagé, et j'ai autour de moi la pluie, la verdure qui couvre toutes les collines s'enchainant jusqu'à l'horizon et le ciel qui manque de peu de me caresser les cheveux avec ses touffes de nuages gris.

… Un nouveau pan de ma conscience me revient. Moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je recommence à me poser des questions sur mon existence et à distinguer les choses autour de moi. Moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je commence à sentir une envie persistante d'allez à Tazoghrane, ou d'y retourner pour rafistoler ma mémoire. Alors je ne dormirai plus dans la pièce en terre séchée après ce soir !

*****

Suite de la rencontre ….
………………
- Pour la dernière fois, Si Lamjed : dans quelles circonstances avez-vous rencontré Bochra Toukebri au Kef ? Reconnaissez-vous, au moins, l'avoir rencontrée ? Répondez-moi, par oui ou par non !
- De la brume, madame, de la brume et rien que de la brume. Je crois pouvoir affirmer l'avoir rencontrée depuis un moment, pas très long. Il se peut que ce soit au Kef, comme vous le dites. Mais il se peut que ce soit à Gafsa, à Kasserine ou même ici dans les couloirs de cette prison. Est-elle venue me rendre visite, la semaine dernière, avec ma sœur Rachida? Aidez-moi, madame ! Accordez-moi un peu de temps et je m'en souviendrai. Le nom de Bochra Toukebri me revient à la mémoire associé à ceux de Karim Awled Belâaïfi, le poète, et Sofiène Jéridi, l'ex responsable de la section de l'union des étudiants. Mais je me sens fatigué. La brume est très dense. Ma tête va éclater. Je crois que je commence à m'évanouir…

Le Haïkuteur …/… à suivre
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(1) "Ya'lkhou" : Frère, prononcée à l'algérienne.

jeudi 15 janvier 2009

La Boussole de Sidinna / 16 Le ravin de l'oubli

Mon année sur les ailes du récit (46/53) La Boussole de Sidinna (16/23) – 16 janvier 2009


Chemin second :

Des silex sur les dunes

Orientation sixième 1 :

Le ravin de l'oubli

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Il a été exceptionnellement recommandé, pour des raisons purement littéraires, n'ayant rien à voir avec la censure, de citer ici la source, dans ces termes :
"Voici encore des extraits d'un document puisé dans le dossier de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha. Le document original est la transcription de l'enregistrement de la rencontre N°…………. entre l'accusé et Mme…………, chef du service……….. et ce, le matin du……….. à la salle d'écoute N°…..…… Transcription sur ordinateur par : R. B. T. Extraits choisis par : H.S.L.

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………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
- Vous voici enfin décidé à reprendre la parole ! Avez-vous bien dormi?
- Oui.
- Sentez-vous, au moins, une amélioration ?
- Oui, un peu.
- Au cours de ta cure de sommeil, votre sœur Rachida et son mari, ainsi que votre cousin et une voisine ont demandé des autorisations de visites qui leur ont été refusées pour vous laisser vous reposer.
- C'est mieux ainsi. Je n'aime pas voir Ameur El Bintou !
- Après ces longues journées de silence, je crois que nous allons, enfin, fournir quelques efforts supplémentaires.
- Depuis notre dernière rencontre, Plusieurs événements me sont revenus. Mais des événements n'ayant aucun rapport avec mon affaire. Ceux qu'il m'est demandé de me rappeler, eux, me font toujours mal à la tête dès que j'essaye de me concentrer pour m'en souvenir. Et, à chaque fois, le mal s'intensifie et je me laisse emporter par le sommeil, perdant à nouveau la mémoire.
- Nous allons, si vous le voulez bien, travailler d'une façon un peu différente. Détendez-vous bien et essayez, cette fois-ci, de vous contenter de répondre à mes questions. Ceci pourrait vous permettre, plus tard, de vous souvenir plus facilement d'autres faits sans aucune aide de ma part. Dites-moi, vous souvenez-vous d'avoir connu, lors de votre vie universitaire, un étudiant du nom de Abdel Hafidh Bettaleb ?
- Haffa Rabâaoui ? Bien sûr que je m'en souviens. Nous étions amis, à un certain moment. Il étudiait l'art dramatique. Et, avant de déménager à Ras-Tabia, J'occupais avec lui la même chambre à la cité universitaire de Ben-Arous. A l'époque, il était en troisième année et moi en première. Puis nous sommes restés en contact, jusqu'à la fin de mes études. C'était un acteur génial, brun foncé mais vraiment beau gosse. J'ai assisté à son projet de fin d'études. C'était super. Seulement, Haffa n'avait pas de chance. Après la maîtrise, il est resté au chômage quelques années. S'accrochant à son rêve comme il pouvait, il était resté dans la capitale, malgré la cherté de la vie. Il espérait décrocher un contrat avec une troupe théâtrale ou être distribué dans un film ou un feuilleton télévisé. Mais il a dû plier sous la pression de sa famille et rentrer dans le sud, abandonnant définitivement ses ambitions théâtrales pour se consacrer au travail du palmier.
- Bien, tout ça c'est bien ! Essayez maintenant de bien vous souvenir et répondez, si possible, par oui ou par non ! Lors de notre dernière rencontre, vous m'aviez dit avoir traversé le Sahara, avec un groupe qui tentait de passer les frontières algériennes. Vous rappelez-vous avoir vu cet ami parmi les membres du groupe ?
- Qui ? Haffa ? Vous rigolez, madame ! C'est une situation impossible à imaginer. Je vous ai dit que tous les membres de ce groupe étaient des dévots. Alors que Haffa Rabâaoui avait pour seule religion le théâtre et les plaisirs de la vie. On lui connaît d'ailleurs cette boutade par laquelle il répondait à ceux qui prétendaient que les arts sont prohibés par la religion. Il disait: "la religion est prohibée dans le théâtre".
- Oui, bien sûr Si Lamjed, ce sont des détails très importants. D'ailleurs tout ceci m'a été communiqué dans le dossier. On m'a même fait savoir que certains étudiants l'appelaient, passez-moi l'expression, "Haffa le gigolo!"
- Ah oui, c'est vrai. D'ailleurs il avait, à ce propos, l'art de se tourner lui-même en dérision en se faisant appeler ainsi. En fait, il jouait à l'amoureux avec quelques vieilles filles riches de la banlieue Nord de Tunis et n'avait aucune gène à déclarer qu'il se faisait entretenir par elles.
- Et pourtant, Si Lamjed, il est spécifié dans ce dossier que c'est bien lui qu'on avait arrêté avec le groupe des frontières algériennes. Moi, Si Lamjed, je dirais sans aucune intention de vous influencer, que si vous parveniez à vous assurer que c'est bien lui qui vous avait poussé à traverser, alors vous trouveriez certainement celui qui vous a frappé sur la tête dans le Sahara. Il reconnaîtrait qu'il l'avait fait parce qu'il vous considérait comme mécréant. Et cela vous aiderait beaucoup à rejeter la plus grave de toutes les accusations portées contre vous.
……………


…..Encore une fois, je ne veux pas vous faire peur, mais je vous rappelle que vous leur aviez avoué, de votre propre gré, avoir tenté de passer clandestinement les frontières. Ils n'ont d'ailleurs de preuve contre vous que vos propres déclarations.
- Que voulez vous insinuer, madame ? Voulez-vous suggérer qu'il m'est permis, pour repousser l'accusation portée contre moi, d'accuser mon ami ? Voulez-vous dire que Haffa Rabâaoui serait celui qui aurait ordonné qu'on me donne un coup de pierre sur la tête et qu'on me laisse mourir dans le Sahara ?
- Ne vous énervez-pas, Si Lamjed. Calmez-vous et ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je vous ai dit "si vous parveniez à vous assurer". Cela ne veut pas dire que je vous suggère un quelconque comportement. Je tente seulement de vous aider à être logique. Souvenez-vous que c'est vous qui aviez dit que votre sélection pour la traversée était due à une intervention d'une vieille connaissance de l'université ou d'un fils du pays. Qui était cet intervenant ? Voici la question à laquelle vous n'avez pas réussi à donner de réponse…………..
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
… Calmez-vous, s'il vous plait et parlez-moi, au lieu de vous triturer nerveusement les doigts. Je comprends parfaitement ce que vous ressentez. Mais ce silence ne peut aucunement m'aider à vous sortir de cette situation délicate. Lorsque l'affaire de ce groupe a été publiée, j'ai vu que l'arrestation de ses membres avait eu lieu à la même période et dans les mêmes circonstances que vous m'aviez décrites. Alors j'avais toutes les raisons de supposer que ce serait le même groupe au sein duquel vous aviez évolué dans le Sahara. J'ai demandé des renseignements. Et j'ai trouvé qu'aucun membre du groupe n'était originaire de votre ville. Par contre la présence d'Abdel Hafidh Bettaleb Rabâaoui a attiré mon attention. Il était le seul membre du groupe à avoir fait des études universitaires et, en plus, il avait à peu près votre âge.
………..
…..Si je vous ai posé la question, Si Lamjed, ce n'est pas pour vous pousser à faire une déduction erronée, mais parce qu'il m'importe que vous connaissiez cette vérité, vous aussi. Et, maintenant que vous vous êtes souvenu d'avoir eu des relations avec Abdel Hafidh Rabaaoui, je n'imagine pas que vous puissiez considérer cette ressemblance et cette simultanéité comme un simple fait du hasard. Si nous revenons à votre déclaration, dans laquelle vous disiez que, lors de la traversée, certains membres du groupe étaient cagoulés, alors il serait légitime de supposer que votre vieil ami était bien celui qui vous a convaincu de traverser, même si vous ne l'avez pas rencontré directement, même si vous ne l'avez pas reconnu au cours de votre marche dans le Sahara.
- S'il vous plait, madame ! Ne dites pas qu'il m'a convaincu. Je vous ai dit que j'ai vécu ces événements, comme entrainé dans un rêve…
- D'accord, d'accord ! Je ne suis pas ici pour vous juger de quelque façon que ce soit. Je n'ai aucune objection sur le rêve, en tant que forme de discours. L'essentiel, Si Lamjed, est de dire, de parler, de ne pas sombrer dans le silence. Et je suis là pour vous écouter. Alors racontez de la façon qui vous convient le mieux, par le discours direct, par le symbole ou comme vous le dictent vos rêves. L'essentiel, maintenant, est que vous recouvriez tout votre calme. Relaxez-vous et essayiez d'organiser vos idées. Mais, surtout, soyez sincère avec vous-même.
……………..
… Bien, laissons de côté, si vous le voulez bien, l'affaire de la traversée, jusqu'au moment où vous vous souviendrez spontanément de quelques nouveaux détails. Oublions aussi, provisoirement, ce trou noir dans votre mémoire dont l'évocation vous fatigue et qui, je vous le fait remarquer, se rétrécit de plus en plus grâce à notre travail. Son étendue ne couvre plus que la distance entre la traversée du Sahara et l'arrivée à Menzel-Bou-Zelfa.
Pouvons-nous, si vous le permettez, revenir précisément à cette étape de Menzel Bou Zelfa, au cours de laquelle vous jugez avoir repris conscience ?
- J'ai dit tout ce que j'avais à dire sur Menzel Bou Zelfa !

- Pardonnez-moi, Si Lamjed, mais faites comme si je n'en avais rien entendu. Auriez-vous une objection à reprendre tout depuis le début ?
… Non ? D'accord ! Seulement, souvenez-vous que si vous voulez que je sois de votre côté, il faut nécessairement me faire confiance et me dire toute la vérité sans essayer de couvrir qui que ce soit, même pas par grandeur d'âme. Je ne sais pas si vous voyez bien ce que je veux dire ! Je vous ai promis que ce que vous me direz ici ne servira jamais à porter préjudice à qui que ce soit, sans votre consentement, même si, de son côté, l'intéressé vous porte préjudice.
…………………….
- Je vous ai déjà dit que je n'avais rien de nouveau à ajouter.
- D'accord, d'accord ! Et si je vous disais que moi, j'ai du nouveau ?
… Par exemple concernant le nombre de jours que vous avez passés chez les Belâissaouiya à Menzel Bou Zelfa ! Je sais maintenant, j'en suis certaine, que vous y avez été pendant trois jours entiers et non pas seulement un jour et une nuit, comme vous l'avez affirmé lors de notre dernière rencontre.
………..
….Etablir cette vérité, Si Lamjed, vous disculpera dans l'affaire de l'assassinat de votre employeuse pour voler ses bijoux.
- Je vous ai dit que je n'avais rien à voir avec cette affaire.
- Je le sais. J'en suis même convaincue. Mais évoquer votre perte de mémoire pour nier tout en bloc, même le fait d'avoir passé quelques semaines ou quelques mois au Kef, ne peut aucunement éloigner de vous les soupçons.
…………..
… Il nous suffirait, par contre, d'apporter la preuve que vous êtes arrivés à Menzel Bou Zelfa avant le meurtre et que vous-vous y trouviez le jour où il a été commis, au Kef, par quelqu'un d'autre, pour que la photo qui se trouve dans votre dossier et qui vous montre en compagnie des ouvriers de Hajja Haniya au café, devienne un document tout ce qu'il y a de plus ordinaire et qui ne peut être utilisé contre vous.

…………………..
… Bon, vous tenez encore à votre silence?
……………..
… Et si je vous disais que j'ai pu entrer en contact avec Nadia Belâissaouiya et que j'ai réussi à savoir exactement l'endroit et surtout la date et l'heure de votre rencontre avec elle ? Allez-vous continuer à dire que vous l'aviez rencontrée à Zaghouan ?
………………………..
Voulez-vous me dire la vérité maintenant ou bien préférez-vous avoir un délai de réflexion ?
………
… Bien, me parleriez-vous si je changeais de sujet ? Ou dois-je me retirer jusqu'à ce que vous ayez réfléchi à ce que je viens de vous dire ?
……………
….Comme vous voulez, je m'en vais, mais avant d'oublier, j'ai aussi des informations sur Bochra Toukabri. Des informations qui vont vous étonner ! Ne me dites pas que vous-vous rappelez Abdel Hafidh Rabâaoui et pas Bochra Toukabri.
- Au contraire, madame, je m'en souviens très bien.
- Ah, vous voulez donc que je reste encore un peu !
- Je ne sais pas, l'évocation de Bochra m'a un peu remué. Son ancien fiancé Fares Khmiri était mon ami. Il constituait le troisième pilier du trio de la Manouba, composé de lui, de Yassine Bellaghnej et de moi-même.
- Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous l'aviez vue ?
……………………….
- ….. De la brume, rien que de la brume. Il commence à me sembler que je viens de la voir depuis peu. Mais quand ? où ? Avec qui ? Croyez-moi, cette fois-ci, madame. Je sens comme une brume dense qui enveloppe ma mémoire de façon à ce que je ne perçoive plus que les traits flous de Bochra Toukabri.
…………………..
….Mais, soudain, voici que le nom de Karim Awled Belâaïfi me revient à l'esprit.
- Qui est-ce ?
- Un étudiant que j'avais connu au cours de ma dernière année de fac. J'avais reconnu en lui un futur poète hors pair. J'avais publié plusieurs de ses textes dans la brochure de notre club de littérature. Avais-je vu Bochra en sa compagnie à Kasserine ? Mais je n'ai aucun souvenir d'être allé à Kasserine…
……………….
… Mais peut-être est-ce plutôt Sofiène Jeridi, l'ex responsable de la section de l'Union des étudiants, qui me l'aurait présentée, au café Oued-El-Bey ? Mais suis-je jamais allé à Gafsa? Et quand ? Je ne le sais.
…………………


….De la brume, encore de la brume et rien que de la brume. Croyez-moi, madame, je ne veux couvrir personne qui ait commis un acte criminel. Mais je sens que ma tête va éclater. J'ai très mal à l'endroit de mon ancienne blessure. C'est comme si je venais juste de recevoir le coup de pierre sur la tête et, comble de l'ironie, comme si Haffa Rabâaoui lui-même venait de me l'asséner… L'image commence à s'embrumer devant mes yeux. Je crois que je vais m'évanouir …….

Le Haïkuteur …/… à suivre

jeudi 8 janvier 2009

La Boussole de Sidinna / 15 Des ailes pour un papillon en feu, ter

Mon année sur les ailes du récit (45/53) La Boussole de Sidinna (15/23) – 09 janvier 2009

Chemin second :

Des silex sur les dunes

Orientation cinquième 3 :

Des ailes pour un papillon en feu, ter

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Fini le rêve, fini.
C'est vrai que je ne sais plus comment mes rêves commencent ni comment ils se terminent. Mais le rêve est bien fini.


Fini le rêve-horizon, que j'ouvre volontairement en me laissant emporter par le sommeil, ou en m'évadant de mon réel vers un monde de mon imagination. Fini le rêve-abri, duquel je ne sors qu'à la levée du jour, sur insistance de mon environnement immédiat, ou lorsque le réel se fait envahissant et impose le dictat de sa routine quotidienne, me faisant miroiter l'espoir d'une possible éclaircie.
Fini le rêve, fini. Mais je suis loin de m'installer dans un éveil où se trouvent des repères clairs. Loin de renouer avec un réel qui a de quoi m'attirer, me provoquer ou même m'agresser. Mais si le rêve est fini, c'est pour que, sans répit, se relaient les cauchemars. Des cauchemars du réel qui investissent mon sommeil. Des cauchemars de mon sommeil qui se propagent dans la sphère du réel. Ils s'enchevêtrent dans un enchainement interminable. Nul éveil de celui-ci, nul retour de celui-là. Un cercle qui ne finit que pour recommencer.
Fini le rêve. Fini cet être narratif que je pouvais maîtriser à la réception comme à la restitution. Finie cette construction dramatique bien structurée, avec une porte d'entrée, une porte de sortie et une issue de secours, me permettant de m'en éloigner un peu, pour observer, pour me souvenir, pour raconter. Pourquoi et comment ai-je perdu la maîtrise de mes rêves ? Pourquoi et comment en suis-je arrivé à dégringoler d'un cauchemar à un autre cauchemar puis à mille autres encore ? Pourquoi dois-je toucher le fond, sans trouver en moi la moindre volonté de ressurgir.
Peut-être est-ce une idée absurde, mais tout cela n'est-il pas parce que je me trouve coupé de toutes mes femmes ?
Je tends l'oreille aux battements de mon cœur et entends, tout de suite, l'écho de ma mésentente avec Aïchoucha. Je l'ai invitée à mes rêves. Je lui ai écrit un email pour qu'elle m'y rejoigne, mais elle parait heureuse de ce silence radio. Affecté par cette absence inexpliquée, aveuglé par cette maudite liasse de billets à moi laissée par Yassine Bellaghnej, j'ai dû vite oublier que je lui devais fidélité à vie et me suis précipité dans l'adultère jusqu'à être pris en flagrant délit avec une putain professionnelle.
J'éprouve le manque de Bbé Sabriya, à laquelle je confiais, pendant la journée, tous mes secrets et toutes mes craintes. Elle me les gardait précieusement, ne sortant jamais de son mutisme éveillé et, la nuit venue, je la rencontrais dans mes rêves et elle m'entretenait du dit et du non dit. Mais voici qu'entre elle et moi se dressent des montagnes et des dunes, coupant entre elle et moi tout contact, même dans le songe.
Je ressens le mal de Beb-Tounes, de l'impasse Brikcha, de la tendresse de ma petite maman. Mais je vois s'étendre entre Khadouja Jaïed et moi des distances que je ne sais comment effacer ni comment franchir. J'ai le mal de ces matins où "Di Jay" se tenait assise au bord de mon lit, me demandant de raconter mes rêves et me les interprétant de cette façon dont elle détient seule le secret et qui avait le mérite de me retenir à la vie.
Quant à Sawana, elle ne se manifeste plus que dans la peau d'une chienne enragée, les yeux en feu et les canines bien aiguisées. Comment lui faire confiance ?


Pour qui me réveillerais-je, alors ? A qui confier cet incendie qui me brule les trippes ? Et comment demeurer enclin à rêver d'un lendemain qui me sortirait de ce tunnel ? Comment s'étonner, alors que je touche le fond du fond, perds ma capacité de concentration et ne peux suivre les événements de mon cauchemar qui défile à une vitesse destructrice ? Comment ne pas prendre, alors, l'obscurité pour la lumière, l'ignorance pour le savoir, la nuit pour le jour, le feu pour l'eau et la haine pour de l'amour ? Comment s'étonner que je choisisse pour ami mon ennemi et pour protecteur mon bourreau ? Comment s'étonner que je m'instille dans les yeux du vitriol, lorsque je ressens le besoin d'une vision plus claire ?
*****
… Les yeux bandés, je suis couché sur une civière. Je ne sais pas d'où m'est venue cette blessure à la tête, ni comment je suis arrivé ici, ni encore qui a couvert ma nudité avec cette Jebba en toile qui ne m'appartient pas.
- Chchut… Bonjour frère. Que ta journée soit de dattes et de lait. Personne ne dois nous entendre. Réponds par chuchotement.
- Bonjour.
- C'est toi Mohamed Lamjed Brikcha, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est bien moi. Mais qui vous l'a dit ? J'ai perdu mon portefeuille et je n'ai décliné mon identité à personne !
- Chchutt… Noble et issu de la noblesse. Le mal n'est pas de se tromper mais de ne pas se repentir. Et toi, tu t'es bien repenti, n'est-ce pas ?
- Repenti, moi ? Oui, oui bien sûr que je me suis repenti. Mais où suis-je, donc ?
- Pour l'instant à l'hôpital, mais après moins d'une heure, tu seras au sein de ta famille et parmi tes proches. N'aimes-tu pas l'Irak spolié ?
- L'Irak spolié ? Ah oui bien sûr que j'aime l'Irak ! Et je n'aime pas du tout qu'il soit spolié. Mais…
- Chchut… Noble et issu de la noblesse. Unique est ta passion pour le sacrifice et unique ton amour pour l'Irak. N'es-tu pas l'auteur du poème sur l'Irak dont le début est : "J'aime l'Irak comme personne n'aime l'Irak" ?
- Si, si, mais ce n'était qu'un petit essai que j'avais composé en état d'ivresse. Comment ce poème vous est-il parvenu et comment avez-vous su que j'en étais l'auteur ?
- Chchchut… modeste et issu de la modestie. Peu importe comment il m'est parvenu, l'essentiel est de savoir que son écho est arrivé jusqu'en haut de la pyramide. Je vous félicite, Mohamed, mon frère, d'avoir gagné la confiance du sommet de la pyramide.
- Je reconnais que c'est la première fois que j'entends parler de cette pyramide. Mais c'est un véritable honneur que l'écho de mon poème parvienne à son sommet. Dites-moi, que m'est-il arrivé au juste pour que l'on m'ait amené à cet hôpital ? Dois-je être ramené en prison après ma guérison ?
- Chchchuttt… Ne parle plus de prison, frère, et n'aie aucune crainte. Tu n'iras pas en prison. Et puis la blessure que tu as à la tête ne nécessite pas hospitalisation. Les agents de gardiennage de l'hôtel te conduisaient effectivement à la voiture de police. Ils t'avaient pris en flagrant délit dans une suite affectée à la débauche. Mais l'écho de ton poème avait précédé ta débâcle et tu as bien mérité d'être sauvé.
- Sauvé ? Vous voulez dire sauvé des gardiens de l'hôtel ?
- Chchuttt… Nous sommes tous susceptibles de nous tromper, Mohamed. Le sommet de la pyramide t'a reconnu, dès que l'écho de ton poème lui est parvenu. Il est, paraît-il, un enfant du pays ou un ancien camarade d'école. Alors il a spécialement chargé notre grand frère de te détourner, de la voiture de police vers l'ambulance. Félicitation Abou Al Majd, félicitations.
- Pourquoi serais-je à féliciter ? pour la voiture de la police ou pour l'ambulance ? Ah, je crois que j'ai, à nouveau, perdu la mémoire.
- Chchuttt… Mais pourquoi dis-tu cela ? Dis plutôt que tu t'es réconcilié avec ta véritable mémoire et es devenu apte à la traversée.
- Apte à la traversée ! Ah, bien sûr que je suis apte à tout, moi, même à la traversée ; mais à condition que quelqu'un se rende compte de mes dons. Dites-moi, cependant, de quelle traversée me parlez-vous, au fait ?
- Chchchuttt… Nous attendons tous de traverser là où nous préparerons à nos ennemis tout ce qu'il faut de force et de chevaux.
- Ah bon ! Mais le problème c'est que je suis maigre, moi, et qu'en plus, je ne sais pas monter à cheval.
- Chchuttt… Noble et issu de la noblesse. Vous vivrez modestement quelques jours et vous serez un vrai dur. Vous êtes intelligent et vous allez tout apprendre très vite. Alors félicitations Mohamed, mon frère. Certains de nous attendaient depuis toute une année afin de mériter l'honneur de la traversée. Et toi, tu as été choisi par notre grand frère dès le premier jour.
… Noble et issu de la noblesse ? Je durcirai vite ? Oui, mais intelligent, je ne le suis plus. Les yeux bandés, je suis couché sur une civière. La blessure de ma tête est légère, mais très profonde est celle de mon âme. Je ne me rappelle pas comment je suis arrivé ici, mais je suis redevable à celui qui a couvert ma nudité avec cette Jebba de fortune et qui m'a détourné de la voiture de police vers l'ambulance. Je traverserai, bien sûr. Et pourquoi ne traverserais-je pas ? Puisqu'il le faut ! Ne vaut-il pas mieux traverser qu'aller en prison ? Ne vaut-il pas mieux traverser que tourner en rond ? Pour l'instant, je ne comprends rien de ce cauchemar. Mais, je comprendrai bien plus tard, lorsque j'aurai traversé avec les autres. Ou bien est-ce mon destin de vivre, jusqu'à la fin des temps, des cauchemars que je ne comprendrai jamais? Pince-moi, petite maman… Ou bien aurais-tu choisi, toi aussi Di Jay, de me lâcher, au point que je n'arrive même plus à obtenir de toi que tu me pinces ?

*****

Où suis-je ? Où m'emmenez-vous? Où est le Nord et ou est le lever ? Où est le Sud et où est le coucher ?
…Les dunes de sables se forment tels des dômes semés par le vent à perte de vue. De l'horizon à l'horizon, le sable se meut en vagues sous la voute céleste. Le soleil se couche. L'appel à la prière rassemble et aligne tous les groupuscules qui marchaient dispersés, pendant que s'apaise incendie du coucher qui s'éteint petit à petit. Et la voute céleste se teint d'un bleu sombre et profond parsemé d'étoiles s'illuminant au dessus de nos têtes, tels des diamants qui se recueillent avec les prieurs sur terre, louant Dieu, le créateur de la beauté de lumière et d'obscurité. Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand. Il n'y a de Dieu que Dieu.

Où avez-vous trouvé tout ce bois ?
L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole ! (1)
… Ce soir est Achoura et demain sera encore Achoura(2)… Nous marchons durant la journée sous le soleil brulant afin de nous purifier. Et, quand vient la nuit, nous entassons du bois et allumons un feu dont la hauteur des flammes est inégalable
.


... L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole !
… Comment pourrais-je sauter, les yeux bandés, au dessus de ce feu géant ? Comment pourrais-je, alors que le monde est sombre, ténèbres, voir où mettre les pieds?
- Chchchtt… tais-toi Aboul Majd. Que la pierre s'abatte sur les mécréants… La lumière est dans nos cœurs, frère.
...Dieu est le plus grand. Dieu est grand, très grand… Qui a le cœur en paix, prie pour l'envoyé de Dieu… L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole ... Khamssa We Khamis. Présence est Mohamed et absence est Ibliss... Dieu est grand, très grand. Dieu soit loué, beaucoup loué !
… Gloire au bon vieux temps, notre passé auquel il faut revenir et qui est la seule voie de salut… Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand…
… L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole ! Et que s'élèvent les flammes… Maudit soit un présent dont le passé est meilleur… Anéanti soit un avenir qu'il vaut mieux bruler qu'attendre qu'il passe sans jamais prendre conscience de son avènement...
… Khamssa We Khamis. Présence est Mohamed et absence est Ibliss... L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole ! … Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand. Nous sommes tous prêts au sacrifice pour l'Irak. Prêts au sacrifice pour Al-Hussein. Nous te pleurons, Al-Hussein.
- Mais comment pourrais-je voler sans avoir des ailes ?
- Vas-tu te taire, Aboul Majd ? Lamente-toi avec nous, lamente-toi. Dis "nous te pleurons Al-Hussein" et assez de questions. Comment t'a-t-on choisi pour la traversée alors que tu ne connais même pas Al-Hussein ?
- En vérité je connais Al-Hassen, le cousin d'Aichoucha qui a survécu, mais son jumeau Al-Hussein, je ne l'ai jamais connu. On dit qu'il est mort avant l'âge du sevrage. Mais pourquoi me lamenterais-je sur lui, alors qu'il n'est même pas un parent éloigné ?
- Tais-toi Aboul Majd, tais-toi ! Que la pierre s'abatte sur les mécréants. Aide-nous au moins par ton silence, si tu veux sortir de ce Sahara sain et sauf !
… Qui a le cœur en paix, prie pour l'envoyé de Dieu… L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole… Dieu est grand. Dieu est grand. Nous te pleurons Al-Hussein. Mais c'est à toi que je pense, Aïchoucha ! Dois-je aussi me lamenter en pensant à toi ? Je n'arrive pas à pleurer un cousin à toi que toi-même n'as jamais connu. Ah si tu étais venue dans mes rêves, Aichoucha, tout ceci ne me serait pas arrivé.
… Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand… Que les amoureux du prophète prient pour lui… L'argent du pétrole, les gars, l'argent du pétrole… Nos âmes et notre sang à sacrifier pour toi, Al-Hussein. Nos âmes et notre sang à sacrifier pour toi, Irak…
- Mais alors quel rapport peut avoir l'Irak avec le cousin d'Aïchoucha ?
…Que les amoureux du prophète prient pour lui. Khamssa we khmiss… Où es-tu, Di Jay ? Le jour et la nuit fusionnent... Le sable est brûlant sous mes pieds nus et le soleil me grille le crâne découvert… Les frontières algériennes sont loin et ce Sahara est sans fin... Si tu m'avais pincé le doigt du pied, Di Jay, je me serais réveillé et t'aurais décrit l'immensité du ravin vers lequel je me précipite, dans cet horrible cauchemar.
… Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand et gloire à l'Irak. Où es-tu Bbé Sabriya ? N'y a-t-il pas un autre chemin pour l'Irak que celui-ci ? Si je pouvais te trouver seule dans la chicane, Bbé Sabriya, je t'avouerais que ma bouche qui dit oui trahit mon cœur qui dit non… Si je trouvais une occasion pour te voir, je te dirais franchement :
- je témoigne qu'il n'y a de Dieu que Dieu. Je témoigne que Mohamed est son prophète. Je témoigne que je souffre trop dans ce monde périssable, mais que je ne le déteste nullement. Je témoigne que j'aime l'Irak comme personne n'aime l'Irak, mais que je ne veux sacrifier mon âme pour tuer des âmes innocentes...
- Que la pierre s'abatte sur les mécréants. Tais-toi fils de Brikcha, tais-toi à jamais. Que la colère de Dieu s'abatte sur toi !
- A moi Sidinnaaaaa…

*****

… Une pierre lourde s'abat sur une blessure légère. Qui est celui qui me punit d'avoir composé un poème sur l'Irak sans avoir connu, au préalable, le cousin d'Aïchoucha ? Qui est celui qui a éteint la lumière du jour ? Par pitié, allumez une bougie, que je puisse mieux voir les étoiles de la sieste ! Allumez une bougie, que je puisse à nouveau chanter :


L'argent du pétrole les gars,
L'argent du pétrole
Ramassons des bouts de bois,
Et versons du pétrole
Et viens, Ya Bahija,
Allumons le feu
Et tapons des mains, des pieds
Chacun saute un peu
Eh, toi, fils de ta maman,
Pousses-toi de là !
Qu'une gifle sans raison,
Sur ta joue s'abat(te)!
Et la poule couveuse
Et ta femme boudeuse
Et le cochon au museau
Ne quitte pas son berceau
Car personne n'est dans la rue
Sauf Bouk Ahmed, le têtu
Bouk Ahmed tient à sauter
Dis lui d'abord de payer
Le pris du pétrole.
Allez, l'argent du pétrole les gars,
L'argent du pétrole.

… Une pierre lourde s'abat sur une blessure légère. Je tombe du haut de la dune et roule dans le sable. Je vois les groupuscules de marcheurs pour la pureté s'éloigner de moi en courant. Ils m'abandonnent à mon sort. Une fièvre plus tard, je crois entrevoir, au loin, comme une mouche ou peut-être un vol d'hélicoptère. Va-t-on me sauver ou va-t-on les arrêter ?
Et la scène de s'embrumer petit à petit. Encore une fois, devant mes yeux fuse un éclat. Trois cailloux de silex aux couleurs merveilleuses, me deviennent clairement visibles, brillant sur le sable dans l'obscurité comme des étoiles descendues de la voute céleste sur la dune.


… Et voilà trois autres cailloux de ces sept que Moqaddem Abdelhafidh m'avait extrait du cerveau ! Désormais, il ne m'en manque plus qu'un. Mais qu'est-ce que la mort, si ce n'est cette absence totale de conscience ? Et qu'est-ce que la résurrection sinon celle qui, brusquement embrume la scène à nouveau ? Y a-t-il quelqu'un pour ramasser ces cailloux et me les mettre dans la main, avant que je ne m'éteigne ? Pourquoi te jeter dans les flammes, papillon de Beb-Tounes, si tu ne veux pas que tes ailes prennent feu ?


Le Haïkuteur …/… à suivre

(1) Refrain que les enfants chantaient autour d'un feu qu'on allumait pour fêter "Achoura" et sur lequel les enfants sautaient.
(2) La "Achoura" dont il s'agit ici est, à ma modeste connaissance, une fête populaire d'origine chi'ite dont ne persistait, à l'époque de mon enfance, que ce feu qu'on allumait précisément sous les remparts, face à Beb-Tounes. Un rituel maintenant disparu, à ce que je sache.

jeudi 1 janvier 2009

La Boussole de Sidinna / 14 Des ailes pour un papillon en feu, bis

Mon année sur les ailes du récit (44/53) La Boussole de Sidinna (14/23) – 02 janvier 2009

Chemin second :

Des silex sur les dunes

Orientation cinquième 2 :

Des ailes pour un papillon en feu, bis


" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Un miroir ! Qui peut bien m'offrir un miroir ? J'ai besoin de voir mon visage. Suis-je moi-même ou suis-je quelqu'un d'autre ?


Je me laisse ici tout seul, gisant sur les cailloux et le sable. Je me relève de moi-même et cours chercher un miroir, comme si ce paysage désertique pouvait en être plein. La grande route est à un jet de pierre de moi. Le bus est à l'arrêt sur le bas-côté. Je cours vers le bus, juste pour demander un miroir. Il se peut que c'est pour tout à fait autre chose que j'ai fait signe au conducteur de s'arrêter ; mais, en courant maintenant vers le bus à l'arrêt, je n'ai d'autre désir que me regarder dans un miroir.
Je dis cela au conducteur, lorsqu'enfin j'arrive près de son bus. Il sourit. J'ajoute à voix basse, comme pour le soudoyer:
"J'ai de l'argent, vous savez. Je peux vous en donner autant que vous soulez. Laissez-moi seulement voir mon visage dans votre rétroviseur."
Le conducteur me regarde du haut de son poste de commande. Sans dire un mot, il arrange la position du rétroviseur se trouvant à sa gauche. Il l'incline vers le sol de façon à ce que je puisse m'y voir. Je lui dis :
"Merci, c'est assez comme ça. Ainsi je suis certain que je suis moi-même. Combien voulez-vous en contre partie de votre service ?"
Il sourit à nouveau, demeurant silencieux. Une vague de ricanements s'entend parmi les voyageurs. Le bus démarre. Le conducteur n'a reçu de moi aucun millime. Quelques curieux se mettent à me regarder à travers les vitres. Je les entends qui ricanent. En quoi leurs ricanements me dérangeraient-ils ? Maintenant, je suis rassuré et c'est le plus important. Je ne me sentais pas tout à fait moi-même, mais ce n'était qu'une illusion. Je suis encore bien moi-même. L'image est mienne, même si les sentiments sont différents. C'est toujours le miroir qui a raison, pas les sentiments.
Ainsi donc je suis encore moi-même, même si je me suis permis de m'arracher, de force, la liasse de billets que je tenais à la main ! Ainsi donc je suis encore moi-même, même si je me suis laissé là bas, couché à plat ventre sur les cailloux et le sable, n'ayant pas plus de cinquante dinars en poche ! En quoi m'intéresserais-je, maintenant ? S'il faut que l'un de moi meure, il vaut mieux que ce soit Mohamed Lamjed Brikcha. Je commence à me sentir plus actif que lui, plus fort encore. Ne suis-je pas le plus riche ?
Mais où est-il ? Il était là, étalé sur la petite dune de sable, mais il n'y est plus. Une bergère fait les cent pas autour de la dune. Elle est accompagnée par quelques chèvres et une chienne blanche de race arabe. Je lui demande si elle avait vu un homme couché sur cette dune, ou si elle savait si on l'avait kidnappé, s'il avait été élevé aux cieux ou s'il s'était enfui. Quelle bergère ! Elle a un visage rayonnant et un sourire vraiment beau, mais sa réponse est intrigante. Oui, Intrigante ! Mais pas au point de me faire perdre confiance ou d'altérer ma conviction que je ne suis pas quelqu'un d'autre. Elle me dit :
"Voici une heure que je fais les cent pas autour de cette dune. Je n'ai vu aucune autre personne couchée là-dessus. Si j'en avais vu un, je me le serais approprié avant qu'une autre ne me le prenne."
"Et le bus qui vient de partir", lui dis-je ?
"Aucun bus ne passe par ici", répond-elle.
Souriant d'une façon équivoque, elle me demande:
"Et toi, qui es-tu ? Et pourquoi es-tu couché ainsi sur cette dune ?"
Je lui dis, en tentant de m'asseoir :
"Je ne sais pas si c'est moi qui suis couché sur la dune ou si c'est le sable qui s'est glissée sous moi. Tout ce que je sais c'est que je suis issu d'une branche d'arbre, d'un rocher de la montagne ou d'un caillou de silex. A présent, je suis un homme sans nom et sans mémoire. A l'instant même, une personne du nom de Mohamed Lamjed Brikcha était là, devant moi, couchée à plat ventre sur le sable et serrant dans la main gauche trois cailloux de silex de très belles couleurs. Cette personne serait morte ou portée aux cieux par les anges. Mais maintenant, elle ne m'importe plus. Je l'ai oubliée. J'ai oublié comment je l'ai connue. Et, pour tout te dire franchement, sans hypocrisie ni détours, je suis maintenant issu des rochers de cette montagne lointaine. J'ai de l'argent et rien ne m'intéresse plus que cela. Je suis libéré de toute ma mémoire et je veux semer le plaisir autour de moi. A mon âge, je n'ai encore pas commencé à vivre dans ce monde. Je veux donc me gaver de vie, comme les autres."
Elle me fixe des yeux et me dit audacieusement :
"C'est très clair. Il n'y a qu'à regarder ce que je vois raidir sous ton pantalon, rien qu'à ma vue. Tu es un vrai étalon et c'est ce que je cherche. Alors lève-toi et suis-moi si tu veux de moi."
Elle s'en va aussitôt suivie de ses chèvres et traverse la route principale. Quant à la chienne blanche, elle reste immobile à me regarder avec des yeux tout rouges, me fixant d'un regard douteux. J'en ai peur, ou peut-être ai-je plutôt peur de sa maitresse, de cette femme belle mais étrange, qui tient des propos dont je n'arrive pas à saisir le sens caché.
Je la suis du regard alors qu'elle s'éloigne. Mais je reste hésitant n'ayant pas l'audace de me lever pour la rattraper. Soudain, je commence à douter que je rêve. La route n'est plus route. Elle est ligne d'horizon. Elle ouvre sur une voute plus limpide que tout miroir, plus bleue que tous les cieux.
Oui ! Je suis maintenant ici, à tenter de me relever. Sous mes pieds un sol mi-sable mi-cailloux et devant moi la chienne blanche qui continue à me regarder avec des yeux en feu, ouvrant sa bouche comme pour bien me montrer ses canines. De l'autre côté de l'horizon, la jolie bergère et ses chèvres voguent dans la voute céleste parmi les nuages.


Je crois que je commence à comprendre. Je ne rêve certainement pas. Je suis, sans doute, mort. La ligne d'horizon serait plutôt le pont au dessus des abîmes et cette jolie bergère vient me montrer comment traverser. Ce sont donc des instructions claires. Je crois devoir les suivre.

*****

Des heures aussi longues que l'éternité se sont écoulées. Je suis toujours là, debout, à hésiter ; alors que la jolie bergère continue de me faire signe pour que je la suive, et vite. Je manque de peu lui dire "chère madame si je te fatigue, alors porte-moi ZAQAFOUNA" (1), mais je m'en abstiens, de peur que le contexte de la vraie résurrection ne se prête pas à une citation d'El Ma'arry, ou que la jolie bergère soit offensée si jamais elle n'avait pas lu "L'Epitre du Pardon", alors qu'elle était dans le monde périssable.
Je prends mon courage à deux mains et j'avance d'un pas en direction de l'horizon. Soudain, la chienne aboie. Ses aboiements me parviennent comme un violent échange de tirs dans une guerre qui remue le ciel et ses alentours. Mon cœur faillit sortir de ma poitrine. Je tremble, donc j'ai peur. C'est la logique même. C'est "Apocalypse Now" et je suis lâche. Je dois vaincre ma peur si je veux réaliser mes désirs enfouis.
Je lève la voix et crie à la chienne:
"Va-t'en de mon chemin, fille de chien!"
Oh, super ! Je n'avais besoin que de ce cri pour m'imposer et soumettre totalement à mon autorité la race canine. La chienne baisse la tête. Elle s'approche de moi, mesquine, agitant sa queue. Des sons émanent d'elle qui ne sont pas aboiement. Ils sont aussi expressifs et aussi clairs que des paroles. Elle me dit :
"Que t'arrive-t-il Mejda ? Comment ne me reconnais-tu pas ? Et pourquoi m'insultes-tu ? Je ne voulais que te conseiller de ne pas suivre cette femme. La suivre c'est se jeter entre les mâchoires d'un crocodile."
Crocodile ! C'est vraiment étrange. Je ne sais où ni quand j'ai vu des mâchoires de crocodile bien ouvertes. Mais comment se fait-il que les chiens parlent ? Comment cette chienne veut-elle que je la reconnaisse alors que je ne l'ai jamais vue auparavant ? Je dis à la chienne :
"Moi je ne connais pas de chiens. Et puis j'ai envie de suivre cette femme et je ne comprends pas pourquoi je m'en abstiendrais. Je ne comprends pas non plus pourquoi tu mets le museau dans cette affaire qui ne concerne que moi."
La chienne me répond:
"L'étrange est que tu me vois comme une chienne, Mejda! Je suis Sawana, ton amie Sawana, Mejda. Et si je te dis que suivre cette femme est un danger, c'est que c'est un danger. Et si j'interviens dans tes affaires, c'est pour te protéger de ce genre de dangers. C'est mon rôle. Je suis là pour ça !"
Je lui dis:
"Je te prends pour une chienne, tout simplement parce que je dois croire mes yeux qui me disent que tu es une chienne, et donc pas du tout mon amie. Et puis tu te trompes, je ne suis pas Mejda ! Je n'ai jamais connu ce Mejda dont tu parles, ni entendu parler de Sawana. Je ne suis, quand même, pas un mineur pour avoir besoin qu'une chienne me montre ce qui est dangereux et ce qui ne l'est pas. Alors ôte-toi de là et laisse-moi choisir tout seul mon chemin comme je le veux. Que savent les chiens à propos de la mort et de la résurrection ? En ce moment, je suis au paradis ! Qu'en sais-tu du paradis, toi, petite chienne? Je suis au paradis et, la preuve, c'est cette liasse de billets que j'ai entre les mains. Cela veut dire que les portes du paradis s'ouvrent pour moi. Je ne laisserai donc personne les refermer. Alors disparais de ma vue."
Brusquement la chienne pousse un hurlement semblable au cri de douleur d'une femme qui vient de perdre son enfant. Elle se retourne et disparaît comme disparaît en fondu une image de film. Avec elle disparaissent les cailloux, le sable et la terre ferme. Je regarde sous mes pieds. Je me vois sur un nuage, tout content d'avoir réussi à braver une chienne. Je vois la jolie bergère me sourire de loin. Elle parait contente de moi et, maintenant, son sourire se veut délibérément séducteur. Je vois qu'elle m'ouvre dans son nuage une porte. Je cours. Je pousse la porte et entre. Waaawou ! Quel bonheur !


*****

Voici une heure ou plus que je suis dans ce salon céleste aménagé à la manière d'un bar d'hôtel touristique de grand luxe. Je suis assis tout seul sur un haut siège pivotant, accoudé à un comptoir tout en marbre rose. Je bois et attends la belle bergère qui m'a laissé ici, pour aller vaquer à une occupation urgente et revenir me chercher.
Je bois et attend. La belle bergère ne vient pas encore. Tous les clients, ici, sont des gens très respectables. Depuis que je suis entré, ils sont là à discuter d'une affaire très importante. Ils discutent et lèvent leurs verres, buvant à un paradis qu'ils auraient, parait-il, perdu à jamais. Et moi je suis là à superviser leurs cercles du haut de mon comptoir, buvant tout seul et écoutant leurs débats de loin, tout en regardant des images de destruction massive et d'incendies défiler sur un écran de télévision.
Je les vois versant leurs boissons dans des vers de luxe avant de les boire. Je remarque que je suis le seul dans ce salon à laisser propre mon chope de cristal doré pour boire directement de la bouteille. Peut-être est-ce parce que je suis émerveillé par la beauté et la propreté de ce verre, ou parce que le garçon n'ose tout simplement pas m'en faire la remarque. Alors je continue à boire directement de ma bouteille verte.
Je commence à trouver long ce silence dans lequel je suis plongé. J'entends toujours ce brouhaha des clients, mais je ne distingue plus de toutes leurs discussions que le mot "Irak". Je lève les yeux vers la télévision. Je réalise que Canal Al Jazeera du Qatar continue, lui aussi, à diffuser une émission spéciale sur l'Irak, animée par un speaker tunisien qui était anonyme dans son pays avant de devenir une star dans le pays des autres.
L'effet de la bière commence à me monter à la tête. Il était nécessaire que je parle d'Irak, moi aussi. Que me manque-t-il pour prendre la parole ? Ne suis-je pas, moi-même, anonyme à Beb-Tounes ? Je pourrais bien devenir star dans ce bar ! Mais il me faudra avoir suffisamment de courage pour participer à l'enrichissement de ce copieux vacarme.
Je descends du haut de mon siège pivotant. Je claque deux bouteilles entre elles jusqu'à ce que tous les clients me prêtent attention. C'est alors que j'avance au centre du salon et m'adresse à l'assistance, levant ma bouteille pour boire à leur santé :
"Mes frères… il faut un début à tout. Mais avant de commencer, je voudrais boire cette gorgée à votre santé et à celle de l'Irak."
Ô, quel fracassant succès ! Ils lèvent tous leurs verres et nous buvons ensemble à notre santé et, surtout, à celle de l'Irak. Ainsi je peux poursuivre mon discours tranquillement et en toute clarté:
"Mes frères… Vous ne me connaissez naturellement pas. Mais je jure par Dieu le tout puissant que, depuis que j'ai bu ma seconde ou ma troisième bouteille, je me sens devenu un de vous. Je vous aime et j'aime l'Irak autant que vous, sinon un peu plus.
"J'étais en train d'écouter très attentivement, vos discussions. Et maintenant, je sens l'envie de m'associer à votre fructueux dialogue sur cette question de l'Irak. N'ayez crainte, mes frères, je ne serai pas long. Il me vient à ce sujet, quelques vers de poésie que j'ai envie tout simplement d'improviser en votre présence. Et ce sera là toute ma modeste participation. Alors veuillez bien m'écouter et si le poème vous plait, alors applaudissez-moi et je serais devenu poète.
"Je voudrais dire, honorables messieurs, fascinantes dames :


"J'aime l'Irak, comme personne n'aime l'Irak!"

"Bien sûr, ceci est, comme vous le voyez, un authentique pastiche de notre poète Awled Ahmed, dont j'entends parler mais que je ne connais pas encore. Peut-être serait-il ici parmi vous, alors on ferait connaissance et je bénéficierais de ses encouragements. Mais tout ça n'est pas très urgent. Je disais donc:

"J'aime l'Irak, comme personne n'aime l'Irak!"
Mais "aujourd'hui c'est un jour de vin"

"Ceci aussi est un emprunt de quelques paroles d'Imry'Ul Qayss, comme vous l'avez certainement remarqué. Je disais donc, et je ne commenterai pas plus que cela :

"J'aime l'Irak, comme personne n'aime l'Irak!"
Mais "aujourd'hui c'est un jour de vin"
Et, en attendant que vienne demain
– et mon demain à moi ne viendra jamais-
Je verrais si j'y aurais un ordre à donner.
Sinon… Je ne peux décider de rien …
A part poursuivre ma beuverie !
Je bois avant l'arrivée du matin,
Je bois dans l'après midi
Et le samedi soir, je bois jusqu'à…
Ce que pointe Dimanche matin.
Et ce maudit matin
Mes bobos lui interdisent de se lever
Ainsi que toutes les tragédies de ma vie
Et c'est pourquoi jamais, de boire, je ne prendrai congé.
Pour que personne ne partage avec moi l'amour de ce vin.
Pardon, peut-être ai-je voulu dire plutôt :
" Pour que personne ne partage avec moi l'amour de cet Irak."
Mais comme il s'agit simplement de troquer une parole contre une autre,
Alors verse-moi à boire, garçon !
Donne à boire à tous les présents et mets ça sur mon compte."


A peine ai-je terminé l'improvisation de mon poème et me suis-je courbé pour saluer l'assistance que, de la dense fumée des cigarettes, s'élèvent des sons de claquement de verres et d'applaudissements nourris et fort signifiants.
Je reviens à ma place. Peu à peu, le vacarme se calme et tous reprennent leurs débats intimes sur l'Irak, indifférents de moi, oubliant complètement que j'existe. Tous sauf Canal Al Jazeera du Qatar qui continue à s'adresser à moi en personne, pour me parler, sans se lasser, d'Irak.
Le garçon du comptoir est un jeune d'une grande bonté. Il a vite eu le même sentiment que moi. Aussi a-t-il tout de suite exprimé, sans détour, ce que je me suis forcé de dissimuler. A chaque fois qu'il en a l'occasion, il s'approche de moi et me souffle à l'oreille :
"…Vous êtes un homme bon et généreux, monsieur. Mais eux, ce sont des gens qui ne comprennent rien à rien. Ils ne respectent surtout pas les gens douées… Je vous dis franchement qu'ils n'ont peut-être pas accordé la moindre attention à votre poème. Ils n'ont pas applaudi votre poésie, mais plutôt l'ordre que vous m'avez donné de leur servir un verre sur votre compte...
"…De toute façon, mon frère, ne vous tracassez pas pour cela. Moi, j'ai bien fait attention à votre poème et il m'a vraiment plu… Ne vous méprenez pas sur mon compte, frère, et ne me jugez pas à travers ce travail de serveur que je fais...
"…Je suis, en vérité, un connaisseur en matière de poésie. J'ai une maitrise d'art dramatique et des essais d'écriture théâtrale et même poétique… Mais ça c'est une autre histoire dont je vous parlerai une autre fois. Bref ! Lorsque je reconnais, moi, que vous êtes poète, alors croyez-moi, vous l'êtes vraiment. Vous en êtes même un des plus racés…
"… je ne vous laisserai pas dépenser votre argent pour des gens qui ne se soucient pas de vous… Ils sont tous saouls et ils oublieront que vous leur aviez commandé des boissons...
"…Vous aussi, vous avez assez bu, mon frère... Et, si vous me permettez un conseil fraternel, vous ferez mieux d'arrêter définitivement de boire. D'abord c'est un pêché. Ensuite, votre devoir de grand poète envers votre poésie ne vous y autorise pas…
"… Ah, qu'est ce que je vous envie ! Si j'avais votre don, votre courage et la sincérité de votre adhésion à la cause, je me serais, tout de suite, repenti et me serais tourné vers Dieu.. C'est que vous, vous avez de quoi ambitionner de jouer un rôle déterminant dans la défense de l'Irak...


"… Il n'est pas encore trop tard… Réfléchis y bien et ne dis rien à personne… Nous nous rencontrerons très bientôt et je vous présenterai, si vous le voulez bien, à une personne qui vous ouvrira les portes de la postérité."
Je ne sais pas si j'ai bien saisi ses propos. Mais, il me parait avoir des sentiments sincères envers moi et je ne sais ce qu'il faut répondre. Heureusement qu'à cet instant précis, la jolie bergère arrive. Elle s'était préparée à notre rendez-vous de la meilleure façon qui soit. Elle était debout à la porte entrouverte. Lorsque ses yeux rencontrent les miens, elle me fait signe de la suivre et s'en va.
Je fais mine de suivre le conseil du garçon. J'arrête de boire. Je paye ce que j'ai consommé moi-même, mais rien de ce que j'ai promis à l'assistance. Je lui propose un bon pourboire pour le récompenser de sa gentillesse et de son service. Mais il refuse net, demandant pardon à Dieu. Il insiste, par contre, pour que je me souvienne bien de lui et me promet de prier pour moi, afin que Dieu me pardonne et me guide vers le droit chemin.
"Je sais, me dit-il, que vous ne ressemblez en rien à tous ces gens. Vous êtes un grand et ils sont des minables. Vous êtes unique. Mais je sens que quelque chose en vous vous fait très mal. Et ce mal là ne cessera qu'en évoquant Dieu. Alors, frère, je prierai Dieu ce soir pour qu'il vous montre le droit chemin."

*****

"Lors de l'examen…", l'ivresse s'en va et viennent les larmes. Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, les larmes aux yeux, incapable de prononcer un mot.
L'examen ? Une jolie bergère qui se déshabille devant moi, me déshabille et attend de moi que je lui prouve… ma virilité. Et moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout devant mon examen, devant cette jolie bergère qui exprime toute sa déception de moi. Elle reconnait être une prostituée professionnelle, mais m'avoue franchement ne m'avoir pas seulement dragué pour l'argent que je déclarais posséder. C'est qu'elle avait attendu impatiemment l'instant de me retrouver au lit après s'être préparée comme elle ne l'avait jamais fait pour retrouver un autre client avant moi.
Mais quelle ne fut sa surprise lorsqu'après m'avoir finalement ôté tous mes vêtements, elle a découvert que ce qu'elle avait pris pour une virilité en constante érection, n'était que la boussole de Sidinna qui pendait de ma ceinture entre mes jambes. Quant à mon organe, il était resté, en dépit de tous ses efforts, désespérément mou. Et me voici, pleurant comme un impuissant, ne sachant ni comment m'excuser, ni où trouver un prétexte qui expliquerait mon incapacité.
Je lui dis entre deux sanglots :
"En vérité je ne suis pas sexuellement impuissant. Mais j'ai juré, pour la vie, fidélité à Aïchoucha. Et c'est certainement ce qui m'a rendu physiquement incapable de la tromper, même si j'ai prémédité l'adultère, même si j'ai tenté de le consommer."
Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, minable, la tête baissée. J'ai, en plus, succombé au bavardage. Ah, que j'aurais du ne jamais ouvrir la bouche ! Je croyais être en présence d'une jolie bergère sensible, foncièrement humaine. Elle s'était permise de se laisser aller à son désir et d'attendre de moi que je le satisfasse. Alors j'ai cru qu'elle allait me regarder avec des yeux humains et compréhensifs, qu'elle allait même me plaindre. Mais c'est la putain professionnelle qui s'est réveillée en elle, l'incitant à pousser ces éclats de rire vulgaires, à me lancer ce regard insolent et à me dire à haute voix, sans se soucier que ses propos parviennent aux occupants de la chambre à côté :
"Ecoutez cette explication débile ! Seul est plus débile ton comportement au bar, lorsque tu lisais ton soit disant poème sur l'Irak à des clients que tu ne connaissais pas et qui n'ont rien à cirer de ta poésie. Pourquoi te permets-tu de boire alors que tu n'es pas digne du vin ? Pourquoi as-tu recours aux services des femmes alors que tu n'as pas de quoi les satisfaire ? Puisque tu es incapable de jouir des plaisirs de la nuit, donne-moi vite mes honoraires pour que je déguerpisse, vite fait. Et toi, va cacher ta honte sous cet oreiller jusqu'au matin."
Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, minable, la tête baissée, ma mémoire revenue à moi, totalement et d'un seul jet. C'est en raison du choc, je crois. Je revois en toute clarté tout ce qui m'est arrivé jusque là.
Et donc ?
Et donc, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je suis toujours vivant, mais d'une vie à laquelle la mort est préférable, car au moins plus honorable. Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, minable, la tête baissée. Et cela veut dire que je ne me suis pas scindé en deux comme je l'avais cru. Cela veut dire que je suis tombé très bas sans pouvoir me libérer de ce que j'avais emmagasiné dans ma mémoire. Cela veut dire que je n'ai pu ni semer le plaisir autour de moi, ni me gaver de vie, comme les autres.
Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, minable, la tête baissée. J'ai échoué à m'approcher du bord du terrain dont Yassine Bellaghnej a réussi à dompter tous les reliefs. J'ai échoué à préserver l'innocence de Mohamed Lamjed Brikcha, échoué à protéger sa pureté des immondices de Tarhouni.
Mais où es-tu Sidinna ? Et qui peut bien me réveiller de cet horrible cauchemar ? Où es-tu Sidinna ? Je suis indigne de ta confiance, indigne de la mission que tu m'as confiée. Mon voyage a trop duré, Sidinna. Je suis égaré. Je ne trouve pas ma route. J'ai été incapable de résister et c'est comme çà que J'ai trahi ta boussole, que je t'ai trahi. Je suis tombé si bas, Sidinna, et je n'ai récolté que le regret étouffant.

Et comme une catastrophe n'arrive jamais seule, mais se fait toujours suivre par des catastrophes en série, trois civils investissent notre chambre d'hôtel et nous prennent en flagrant délit… Lors de l'examen, moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je me tiens là, debout, nu, minable, la tête baissée. Les assaillants me couvrent d'un drap blanc. Ils me font traverser les couloirs de l'hôtel les yeux bandés. Je ne vois pas où mettre les pieds. Est-ce Sawana qui prend sa revanche ?

Le Haïkuteur …/… à suivre
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(1) (Abul Ala Al Ma'arry – L'épitre du pardon). "Sitty In A'ayeki Amri F'ahmilini Zaqafouna" est la fameuse tirade d'Ibn Al Qarih qui pour traverser le pont sur les abîmes vers le Paradis demande que sa belle guide le porte sur son dos.