jeudi 19 février 2009

La Boussole de Sidinna / 21 Le cercle de l'âne et du papillon

Mon année sur les ailes du récit (51/53) La Boussole de Sidinna (21/23) – 20 février 2009


Chemin troisième :

Pleine, ma lune

Orientation troisième :

Le cercle de l'âne et du papillon

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Que voulaient-ils que j'avoue ?
Que voulaient-ils que je leur dise ?


C'est clair, c'est la logique même, que je n'ai pas fermé les yeux sur la dune de sable au Sahara pour les rouvrir aussitôt devant la mosquée El Qadriya au Kef. Mais ce qu'ils voulaient, c'est que j'avoue avoir connaissance d'autres faits qui se sont passés entre temps et les leur avoir délibérément cachés tout au long de l'instruction. Ils voulaient que je déclare avoir traversé le bassin minier, au cours de mon périple, que j'avais alors recouvré toute ma conscience, sachant parfaitement distinguer le Nord du sud et le lever du coucher, qu'en arrivant à Redeyef, j'avais trouvé la ville tel un volcan en éruption et que je comprenait parfaitement, vue ma longue expérience du chômage, de la pauvreté et des horizons obstrués, tous ces chants que les foules scandaient.
Et puis quoi encore ?
Aurais-je dû leur dire aussi que j'aurais pu, moi-même, me joindre à ces gens en colère pour chanter tous leurs chants, si je n'avais pas été occupé à chercher celui qui voudrait bien recevoir de moi la boussole de Sidinna, ou me rapprocher quelques kilomètres de Tazoghrane ? Ou bien s'attendaient-ils à ce que je leur vende la peau de Sofiène Jéridi, leur avouant qu'il m'avait bien reconnu, comme si nous avions gardé le contact après son départ de l'université, et qu'il m'avait sauvé d'une mort certaine en m'hébergeant jusqu'à ma guérison ?
Que voulaient-ils que je leur dise ?
Je n'ai pas menti en leur disant que j'avais oublié ou que j’étais passé comme dans une sorte de trou noir, qui se présente aujourd'hui comme une page complètement effacée de ma mémoire. Je n'avais pas peur, non plus, de leur divulguer en détail toute la vérité me concernant. Qu'est ce qu'ils m'auraient fait de plus que ce qui m'est déjà arrivé ? Et quelle différence y aurait-il entre la prison à laquelle ils me destinaient et les cachots du silence dans lesquels je me suis volontairement réfugié ?
Je ne mentais pas, mais j'ai vu se réveiller en Sofiène sa bravoure le jour où il a vu ces énergumènes me tabasser avec leurs gros bâtons. Ce jour là, il avait fait le choix de ne pas reculer devant mon appel au secours, en dépit de son engagement politique et des aptitudes qu'il connaissait à ses détracteurs de travestir la réalité pour transformer le fait de secourir un innocent en une enfreinte au devoir de discipline et en un ralliement à la cause de l'adversaire.
Voici un homme auquel je suis redevable de ce qui me reste à vivre. Comment donc ne pas répondre à la bravoure par la moindre des bravoures ? Comment dévoiler le secret de mon bienfaiteur, risquant de compromettre son avenir ?
J'ai peut-être prononcé, par erreur ou par précipitation, le nom de Sofiène Jeridi ou celui de Karim Aouled Belâaifi, alors que je tentais de me rappeler les conditions dans lesquelles j'avais rencontré Bochra Toukebri. Mais j'ai réussi à ne rien dire à propos de la maison de la sœur de Sofiène à Redéyef, ni de l'atelier de son neveu au quartier d'Oued El-Bey, ni encore de son ami médecin qui a passé plus d'une semaine à m'y rendre visite pour me soigner jusqu'à ma guérison, ni surtout de cette nuit au cours de laquelle Sofiène avait organisé ma fuite de Gafsa vers Kasserine, de peur qu'on découvre ma présence chez lui, après que certains m'aient entendu chanter et lui aient dénoncé son neveu qui aurait, prétendaient-ils, passé toute la nuit à se souler dans son atelier en compagnie de jeunes chômeurs qui, avec leurs chants liturgiques, auraient empêché les voisins de dormir.

*****

Je ne me souviens pas exactement qui l'avait dit à propos de moi, lorsque j'étais enfant, mais je ne suis ni débile ni naïf et je sais exactement où Satan cache ses œufs avant leur éclosion. C'est moi qui ai planifié de venir ici. Se trompe alors complètement, celui qui me croit distrait ou qui croit m'avoir roulé ou entrainé là où je ne voulais pas aller. Je suis un enfant du Rbat, moi. Et ces médecins ignorent ce que ça veut dire qu'être un enfant du Rbat et plus particulièrement un enfant de Beb-Tounes ! Ils disent que c'est moi qui me suis laissé choir dans la maladie et que l'origine de mon mal vient du fait que je me sois tellement laissé prendre au jeu du fou que je faisais semblant d'être, que je le suis effectivement devenu. Mais n'est-ce pas exactement ce que je voulais leur suggérer de dire à propos de moi ? Leur reconnaissance de ma folie n'est-elle pas la preuve que je suis plus intelligent qu'eux, qu'ils sont tous tombé dans mon piège et que celui qui va pouvoir percer mon secret serait à naître d'une mère encore trop jeune pour tomber enceinte ?
Je suis encore sain et sauf, à part ce mal de tête de temps à autre en raison de ce coup que j'ai reçu sur la tête en ce jour maudit. C'est ce qu'ils n'ont pas compris et c'est ce que je ne reconnaitrais jamais, même pas sous forme de confidences aux médecins du Château-Forteresse. Depuis que j'ai décidé d'observer définitivement une abstinence de parler, je leur ai porté à tous le coup fatal. J'ai usé du silence comme d'une arme et c'est, entre toutes, l'arme la plus redoutable. Le jeu consiste tout simplement à me taire comme si je n'entendais pas ce qu'ils disent, à détendre complètement les muscles du visage de façon à ce que personne ne puisse y lire la moindre expression, à laisser flétrir mes paupières pour paraître affligé et à regarder au loin de temps à autre, pour suivre le vol de mon papillon. Et le tour est joué ! Ils sont tous tombés dans le piège croyant que je suis fou. Et me voici toujours en train de rêver sans qu'ils ne puissent m'empêcher de planer à ma guise hors de leur lieu et loin de leur temps.
Grâce à mon silence, je suis venu à bout des agents de l'instruction qui ont abandonné la partie. Grâce à mon silence, j'ai arraché mon transfert de la prison à ce Château, sans rien demander à personne. Une piqure le matin et trois comprimés à avaler avec les repas en cours de journée. Voici tout ce que j'ai à payer en contre partie de mon séjour dans ce château-forteresse. Chaque jour, je sors dans ce vaste jardin, y promenant librement une imagination naviguant dans le royaume des cieux et y suivant des yeux mon papillon, compagnon de ma solitude, qui, volant de branche en branche, attend avec moi le printemps, rêve de fleurs et voltige avec les nuages, dans les hauteurs de l'horizon lointain.

*****

Que voulaient-ils que je leur dise ?
Que voulaient-ils que je leur avoue ?


S'ils étaient intelligents, ils auraient chargé l'un d'eux de descendre dans mon zodiaque pour vérifier si je leur disais la vérité. Ils se seraient rendus compte, alors, en touchant simplement le moteur, qu'il était encore chaud et que je ne l'avais arrêté qu'en voyant venir sur moi leur vedette à un mile ou moins. Mais le fait que j'avais fait semblant de ne pas les voir, de m'être totalement concentré sur ma chanson "Ya gamret ellil" et d'avoir ensuite suivi leurs instructions lorsqu'ils m'ont jeté leur corde, me demandant d'attacher mon zodiaque à leur vedette… Tout cela a fait qu'ils ne sont arrivés à leur port d'attache qu'une fois mon moteur refroidi. Je pouvais alors prétendre tout ce que je voulais sans qu'ils n'aient la moindre preuve de mon mensonge.
Je n'ai pas menti en disant que je n'ai jamais pensé à la "Harga". Je n'ai pas menti, mais toute personne à ma place aurait saisi une pareille occasion et aurait salivé à l'idée d'atteindre l'horizon. Car toutes les conditions étaient réunies pour m'offrir dans mon éveil ce qui était hors de portée de milliers de mes semblables, même dans le rêve : une expérience du pilotage des zodiaques, une nuit de pleine lune, une visibilité impeccable, une mer calme et une embarcation prête à partir, n'attendant de moi que de sortir de ma grotte punique et de faire quelques pas avant de me jeter dans le zodiaque, de démarrer, puis de suivre l'étoile du Nord.
Je n'ai jamais pensé à la "Harga", moi. Mais mon papillon s'était installé dans le zodiaque avant moi et n'a pas voulu en descendre. Et puis, lorsque j'ai fait logiquement le calcul, j'ai trouvé qu'une tentative de passer clandestinement les frontières sur un zodiaque pour moi tout seul, comportait moins de risque que de rester là où j'étais et où le gardien aurait pu me découvrir, le propriétaire de l'âne et sa bande auraient pu me rattraper et me faire ce qu'ils avaient menacé de faire et même le toit de la grotte aurait pu s'écrouler sur ma tête me réservant une mort sous l'eau et les décombres en même temps.

*****

Seul, debout, en dépit du froid glacial, au centre du jardin du Château-Forteresse. Je suis des yeux mon papillon qui s'accroche à la racine d'une herbe, colle au sol et ne veut s'en détacher. Je tente de lever les yeux vers le ciel espérant que mon papillon suive ma volonté de planer. Mais il demeure collé au sol, refusant de voler. Mon regard est alors obligé de se rabaisser pour ne pas perdre sa trace.
Parfois, je me demande, lorsque la piqure me fait mal ou que je n'arrive pas à avaler une pilule dont le gout amer se répand sur ma langue avant que je n'arrive à l'ingurgiter, je me demande si ma folie est un pur mensonge, comme je le pense, ou si elle est quelque part une réalité. Et dans l'hypothèse improbable qu'elle serait un peu réelle, où peut-elle bien trouver son origine ? M'a-t-elle atteint parce que j'ai perdu la boussole de Sidinna ? M'a-t-elle atteint parce que, comme le prétend ma sœur Rachida, cette boussole ne serait, à l'origine, qu'une chimère, une de mes inventions, à laquelle j'aurais ensuite cru ? Ou bien, serait-ce en raison de mes disputes avec Khadouja Jaïed qui continue à m'en vouloir et avec Sawana qui m'a complètement lâché ? Ou bien, serait-ce le manque d'Aïchoucha qui ne vient même plus me rendre visite dans mes rêves ?
Parfois, il me semble que, si j'ai ne serait-ce qu'une graine de folie, elle n'aurait rien de tel pour origine. Ce serait plutôt mon manque de courage pour poursuivre la recherche dans le sable profond du septième caillou de silex, celui que Moqaddem Abdel-Hafidh m'avait extrait du cerveau. Le rêve était clairement une vision qui annonçait tout le bien du monde. Je comprenais presque toute sa signification, sans besoin de l'interprétation de Khadouja Jaïed.
Le rêve était vision, mais c'est ma lâcheté qui l'a transformé en cauchemar.


… Seul sur la côte de Haouariya, je cours avec le sentiment enivrant d'avoir réussi à sauver ma peau. Je cours, tout confiant dans la chance qui s'est désormais faite mon alliée. Même la plage rocheuse a commencé à se transformer, sous mes pas, en sable fin, rappelant la plage de Qarraiya. Et soudain je vois le septième petit caillou de silex. Il brille à une petite distance de moi. Je le dépasse un peu. J'aurais pu m'arrêter de courir et revenir, tout calmement, le ramasser. Mais je me rappelle que les agents du propriétaire de l'âne voulaient toujours me rattraper. Alors je me retourne et plonge précipitamment sur le caillou. Mais je tombe tout juste à coté, le couvrant de sable. Déçu, je commence à remuer le sable dans tous les sens. Et, lorsque je vois arriver ces barbares du coté de la colline, courant dans ma direction comme une vague déchainée, le désespoir me gagne et, arrêtant de chercher, je reprends ma course pour leur échapper à nouveau. Mais, fini le sable fin sur cette plage. Le rêve se transforme en cauchemar et la côte redevient rocheuse, ensanglantant mes pieds nus.

*****

Assis, seul sur mon lit, je regarde à travers la fenêtre de la salle. Tous les patients sont endormis. La lumière de la lune caresse les arbres du jardin du Château-Forteresse, eux aussi endormis. Assis, seul sur mon lit. Le sommeil se refuse à moi et les souvenirs abondent dans ma mémoire.
… Pour arriver à Tazoghrane, des jeunes m'ont indiqué le chemin de Baddar. C'est un chemin long et tortueux. Et c'est là que j'ai rencontré mon compagnon. C'est là que mon papillon bienaimé a fusé d'une haie de cactus et a commencé à papillonner autour de moi, me devançant parfois pour s'arrêter ensuite et m'attendre. Je me mets à observer son vol, conscient du fait que la présence d'un papillon en plein hiver constitue un événement exceptionnel. Quelque chose, dans ses battements d'ailes, me dit qu'il n'existe que pour moi et qu'il vole, justement, pour moi. Alors je le suis, m'attardant avec lui à chaque fois qu'il s'arrête et revenant sur mes pas à chaque fois qu'il lui prend de rebrousser chemin. Et la route vers Tazoghrane de se rallonger indéfiniment.
Je continue à suivre mon papillon. Nous-nous éloignons de Menzel Bouzelfa et nous voici à l'entrée d'une ferme. Un homme vient me proposer de me joindre à ses ouvriers pour la cueillette des oranges. Et le papillon de me précéder, sans préavis, à l'intérieur de la ferme. Je ne refuse ni n'accepte la proposition. Seulement, je suis mon papillon qui va se poser sur une branche de laquelle pend une grappe d'oranges. Oui ! Une grappe de "Meski", rappelant la forme de celle du raisin, mais avec des graines un peu plus grandes que les oranges ordinaires. Je reste deux heures ou plus à admirer cette grappe. Mon papillon n'arrête pas de roder autour d'elle, papillonnant et se posant sur les touches de lumière appliquées par les rayons du soleil sur chacune de ses oranges. Le propriétaire de la ferme finit par s'apercevoir que je n'avais cueilli aucune orange. Il m'observe un moment, les yeux écarquillés devant ma concentration sur cette grappe en particulier, puis il la coupe, me l'offre et me renvoie aussitôt. Et mon papillon de sortir avec moi de la ferme. Je l'entends presque qui rigole d'un rire complice. Alors je me mets à rire aux éclats à mon tour.


… Quelque chose, dans le soleil de ce jour là, a de quoi couper le crane en dépit du froid sévère. C'est que ma tête commence à me faire mal et que je me sens fatigué d'avoir trop marché. C'est la raison pour laquelle, dès que je me fais rattraper par un vieil homme à dos d'âne, je l'arrête et le supplie de me faire monter derrière lui, ne serait-ce que pour quelques mètres. A mon étonnement, il descend et me laisse l'âne en disant :
- Je suis arrivé, fiston, l'âne est à toi. Monte et, dès que tu es arrivé, dis lui de revenir et il reviendra tout seul.
- Vous êtes bon, monsieur, lui dis-je. Mais ne craignez-vous pas que je vous le vole ?
- Vous ne le pourrez, me dit-il ! C'est un âne voué. Et les ânes voués, nous les utilisons et les laissons revenir à leurs besognes. Cet âne m'a été laissé comme je vous le laisse à l'instant. J'étais fatigué. J'ai demandé à un jeune de ton âge de me faire monter derrière lui. Mais il est descendu et m'a dit exactement ce que je viens de te dire.
… Se peut-il que tout cela ne soit que le fruit du hasard ? Je commence à douter que je rêve. Mais je suis tellement fatigué que je n'ai aucune envie de me réveiller. Je monte, l'âne démarre et je me vois emporté par le sommeil. Mon rêve de l'âne s'imbriquant dans mes rêves à dos d'âne, je n'ouvre les yeux que pour constater que l'animal s'arrête tout prêt d'une construction abandonnée au beau milieu d'un champ de blé. Le soleil est sur le point de se coucher et je pense que cette pièce pourrait servir d'abri où passer ma nuit et que je verrais par la suite comment faire. C'est alors qu'apparaît à côté de moi un homme me demandant s'il peut monter avec moi pour quelque distance. Alors je lui dis ce que m'a dit le vieil homme, je descend et lui laisse l'animal. Sans dire un mot, l'homme monte et s'en va dans la direction par laquelle je suis arrivé.

*****

Rêves, souvenirs, souvenir de rêves…
… Les nuits s'éternisent dans ce Château-Forteresse, les insomnies aussi. La route vers Tazoghrane se rallonge, tournant en spirale au tour des montagnes, pour revenir au point de départ sans que je ne puisse jamais atteindre mon village rouge. Les nuits se multiplient et se ressemblent. Je dors un soir sous un pont, un autre dans un hangar abandonné. Qu'elles sont nombreuses, les bâtisses en ruine, sur ces collines verdoyantes ! Je dors pour me réveiller sur les papillonnements de mon compagnon qui me réveille et me précède. A peine arrivés sur la grande route, que l'âne apparaît. Et, lorsque je monte, mon papillon se met à s'agiter joyeusement autour de moi, comme pour me rappeler que tout départ doit aboutir à une arrivée et que le printemps doit inéluctablement venir à bout de cet hiver.


… La route se rallonge et la fatigue me gagne. Je sens que mon rêve se rallonge, lui aussi. Il s'alourdit, se complique et s'étire, alors que les battements de mon cœur épuisé par ce voyage m'appellent à me réveiller avant de mourir de toux et de fièvre. Je cris entre les montagnes : "pince-moi petite maman" ! Mais nul écho ne me parvient ! La nuit et le jour continuent à se relayer sur moi, alors que je suis toujours au même point du temps. C'est du moins ainsi que je le perçois. L'âne me porte en trottant toujours entre les mêmes collines. Je n'en descends que pour le laisser à un autre voyageur et je ne me réveille d'un nouveau sommeil que pour le retrouver. Mon papillon commence, lui aussi, à être fatigué, mais il demeure aussi fidèle, s'accrochant à moi comme mon ombre. Ou peut-être est-ce moi qui m'accroche à lui !
Rêves, souvenirs, souvenir de rêves… Bribes de rêves qui se suivent. Un âne les reliant entre-elles. Jusqu'à un coin de rêve où, enfin, je me retrouve face à la mer, la surplombant du haut d'une colline. Revoyant la surface de l'eau bleue, je manque de peu d'exploser de joie et de me mettre à chanter à tue tête ! Mais je prends tout de suite peur et me retourne. Une bande de durs, armés de gros bâtons, marchent derrière l'âne. Je presse la bête pour accélérer, mais ils pressent aussi leurs pas et continuent à marcher au rythme de l'âne avant de m'encercler de toute part. Ils me disent qu'ils sont les agents du propriétaire de l'âne, qu'ils se sont épuisés à me rechercher jusqu'à ce qu'ils m'aient enfin trouvé, que leur patron est décidé à me punir d'avoir volé son âne personnel et qu'ils doivent me mener à lui afin qu'il me fasse dans son lit ce qu'il fait d'habitude à sa femme.
… En vain, j'appelle Khadouja Jaïed pour qu'elle me pince et me réveille. En vain, je me débats entre leurs grosses mains sales, leur criant que je n'ai jamais rien volé... Et puis, je ne sais comment, me vient sur le bout de la langue la fameuse tirade "d'Abou Hourayra" de Messaâdi. Je leur dit : "Est-ce ainsi que le temps viole le vierge espoir ?" Et il me semble soudain revivre les événements du "Hadith du chien". Une vague de courage monte, alors, en moi et je leur lance : "Laissez-moi… Ô, plus bas que ravins… Plus faibles qu'esclaves… Plus vils que moustiques … Ô, enfants de l'Homme !"
J'ouvre les yeux. La nuit est silence autour de moi. Je suis dans une grotte punique située à même l'eau et dont le toit menace de s'écrouler sur ma tête. Je regarde à l'extérieur et vois une nuit de pleine lune et, à quelques pas de moi, un zodiaque pneumatique attaché par une corde à un rocher. Soudain mon papillon prend son envol, passe devant mes yeux et me précède joyeusement au zodiaque. Et les événements de s'accélérer. Je ne sais plus comment je me retrouve, à mon tour, dans le zodiaque, comment je démarre et m'éloigne de la terre ferme. Me retournant, je vois une vingtaine d'hommes, ou plus, sortant tous des grottes puniques où ils étaient cachés. Je les prends d'abord pour les agents du propriétaire de l'âne. Mais se peut-il qu'ils aient l'intention de "brûler" dans ce petit zodiaque qui ne peut contenir que difficilement cinq d'entre eux ?

L'essentiel c'est que la chance m'ait envoyé leur embarcation pour la mettre à ma seule disposition. Et, qui sait, peut-être les ai-je sauvés ainsi d'une mort certaine !

Le Haikuteur …/… à suivre

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