jeudi 26 février 2009

La Boussole de Sidinna / 22 L'appel de la neige

Mon année sur les ailes du récit (52/53) La Boussole de Sidinna (22/23) – 27 février 2009


Chemin troisième :

Pleine, ma lune

Orientation quatrième :

L'appel de la neige
" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Le présent document est un message posté par Sofiène Jeridi dans la boîte aux lettres de maître Ch. B. M., avocate de l'accusé Mohamed Lamjed Ben Habib Ben Bahri Brikcha, le matin du vendredi 27 février 2009.


Chère amie, bonjour,
Je t'écris ces quelques lignes du café "Le Fénec", en face de la station de bus, à l'entrée de votre cité. Je le fais après avoir réalisé que l'enveloppe que je t'apportais était trop épaisse pour être introduite dans la fente de ta boîte aux lettres. Le numéro de téléphone portable, en haut de la page, est celui de Linda. Appelle-là et elle te donnera l'enveloppe cartonnée dont j'ai tenu à renforcer la fermeture avec du ruban adhésif.
Linda est une étudiante de la famille. Elle et son fiancé sont avec moi. Ils me raccompagnent dans la voiture de ce dernier. Elle ne connaît pas le contenu de l'enveloppe. Elle sait seulement qu'il s'agit d'un objet d'une grande valeur sentimentale pour nous deux et qu'il faut qu'elle la garde précieusement jusqu'à ce que tu viennes la récupérer. Cependant, elle a de notre relation une petite idée que j'ai fait circuler dans la famille, dès le premier jour, pour brouiller les pistes. Alors je te prie de m'excuser si sa curiosité la pousse à te poser des questions embarrassantes. Je tiens à ce que tu lui donnes des réponses vagues du genre: "tout est affaire de Mektoub" !
Car tout est effectivement affaire de Mektoub. Et si je n'avais pas l'intention d'exécuter le projet dont je vais t'informer ci-dessous, j'aurais certainement abordé, depuis le premier café du matin que nous avons pris ensemble à Gafsa, la question que, si j'ai bien compris, tu t'attendais à ce que j'évoque avec toi. Mais qui sait, mon amie ? La terre est devenue moins grosse qu'une orange et, la correspondance aidant, nous pourrions évoquer tous les sujets que, pour de multiples raisons, nous n'avons pas encore osé franchement aborder. Toujours faut-il, bien évidemment, que l'appel des vastes horizons te tente comme c'est le cas pour moi.
Pas encore déçue, j'espère ! Tu croyais avoir affaire à un homme solide, transparent, maitrisant bien son destin et sachant parfaitement ce qu'il voulait. Et te voilà en présence d'un être énigmatique et qui ne semble pas aller droit au but. Mais patience, mon amie !
Tu m'en voudras peut-être de ne t'avoir pas informée de mon projet de venir à la capitale, de n'avoir pas cherché à te rencontrer, puisque j'y suis et de ne t'avoir même pas appelée au téléphone pour entendre ta voix. Tu peux prendre cela pour de la lâcheté de ma part. Car mon vrai problème c'est que je suis effectivement un peu lâche. Mais je compte désormais combattre cette lâcheté et m'en racheter à tes yeux dans les jours qui viennent. J'ai reçu ton SMS avec ton adresse email et je vais m'en servir dès cet après-midi pour commencer à tout t'expliquer. Cependant, si tu avais une seule raison pour m'en vouloir plus, ce serait parce que, lors de notre rencontre à Gafsa, comme dans nos communications téléphoniques, je t'ai caché quelques vérités et en ai maquillé bien d'autres.
Mea culpa, mon amie ! Je suis certain que tu vas comprendre mon attitude et me la pardonner. A chacun ses raisons. Je t'expliquerai les miennes et je répondrai par écrit, clairement et dans le détail, à toutes les questions que tu m'as posées ainsi qu'à celles que tu n'as pas encore osé aborder. Seulement, n'oublie pas que tu m'as promis de n'utiliser des informations que je vais te fournir que celles qui serviraient la cause de Mohamed Lamjed Brikcha.


A propos de lui, puisque tu vas incessamment lui rendre visite dans sa prison, salue-le de ma part. Dis lui que si, malheureusement, je n'ai ni assez de courage ni une quelconque qualité me permettant de demander à le voir, je ne suis pas moins fier d'avoir été à la hauteur de la confiance qu'il a placée en moi. Ceci dit, je voudrais que tu n'établisses aucun lien de cause à effet entre l'affaire Brikcha et l'information que je tarde encore à te donner, ni entre cette information et le fait que j'aie accepté de m'entretenir avec toi lors de ta venue à Gafsa ; surtout lors de notre longue rencontre, cet après-midi là, au café d'Oued El-Bey, alors qu'il regorgeait d'avocats venus de la capitale pour le procès, ainsi que d'informateurs guettant tout ce qui s'y passait.
Je veux que tu saches que tu n'es en rien coupable de ce qui m'arrive et que notre rencontre n'a été d'aucun effet sur ma situation professionnelle, ni sur ma prise de décision dans le sens que j'ai finalement choisi. Mais, parfois, les événements s'accélèrent autour de nous, de façon à changer radicalement le cours de notre vie en quelques mois, voire en quelques semaines. Et notre rencontre n'a été que l'un de ces événements qui sont, dans de pareilles circonstances, provoqués par cette accélération du rythme de la vie ou qui s'intègrent naturellement dans le cours de ce rythme au point de paraître à l'origine de son accélération. Car ma décision d'engager dans ce sens le cours de ma vie, se préparait à feu doux depuis assez longtemps.
Je vais te paraître un peu compliqué, mais, sous le choc de certaines pratiques que j'ai trouvées aberrantes, j'ai décidé de tisser ma toile dans le silence absolu et de n'en faire la confidence à personne. Hier après-midi encore, j'étais au bureau comme s'il n'allait rien se passer. Ce matin, personne ne m'a encore téléphoné, mais je suppose qu'ils me croient malade. Ce sera un abandon de poste en bonne et due forme. Même ma sœur ne sait pas où je suis ni où je vais. Elle l'apprendra par une lettre qui lui sera transmise par Linda à son retour, demain, à Redayef.
Tu n'en as rien remarqué, mon amie, mais je me sentais étouffé là où j'étais. C'est que j'ai découvert, depuis que j'ai rejoins l'administration, à quel point j'étais naïf dans mon approche du travail, des relations professionnelles, de l'action sur le terrain ainsi que de la vie en général. J'ai constaté mon incapacité organique à faire quoi que ce soit. Non pour influer sur le cours des événements ou les orienter dans une direction que je crois meilleure. Car ce rêve, j'ai appris à l'enterrer depuis le premier jour. Mais juste pour m'élever au dessus de cette hypocrisie généralisée qui me cause la fièvre en alimentant la plaie un peu plus chaque jour, dans le seul but de conserver de maigres avantages sans aucune substance.
Voilà, mon amie, pourquoi il m'était devenu urgent de respirer une bouffée d'air frais, d'air froid, d'air glacial, s'il le faut. J'ai soudain été pris par une sorte d'obsession de changer radicalement le cours de ma vie tant qu'il était encore temps. Et j'ai commencé à y travailler sérieusement depuis l'été dernier. Ta venue à Gafsa aurait pu me pousser à renoncer, à la dernière minute. Mais je crois avoir été assez sage, ou assez malchanceux, pour mener mon plan à son terme, comme si je ne t'avais pas rencontrée, et reprendre à zéro notre relation par correspondance.
A toi d'appeler mon acte fou comme il te plaira. Considère-le comme un simple revers de la médaille de mon éternelle lâcheté, comme une soumission aux lois du marché de l'hémorragie des compétences, ou même comme une "Harga" par air qui ne tombe pas sous le coup de la loi. Mais au moment où tu trouveras ce message dans ta boîte aux lettres, mon avion aura déjà décollé en direction de Londres d'où je gagnerai Montréal ce soir même. Je vais y passer deux ans, au cours desquels je vais réfléchir sérieusement à mon avenir et me fixer définitivement un chemin à suivre. Et je ne te cache pas qu'il y a de fortes chances pour que je décide de m'y installer définitivement.
Voici, mon amie, un premier jet des confidences que je me suis promis de te faire en raison de notre attirance mutuelle apparente et de ce qui me semble être une convergence de vues sur l'essentiel. Ce message aurait pu faire l'objet de l'email que je t'aurais envoyé ce soir même. Mais les circonstances ont voulu que je te l'écrive sur du papier, acheté dans la librairie de votre quartier. J'aurais pu t'écrire encore plus, mais Linda et son fiancé commencent à s'impatienter et je vais être en retard pour mon avion.


Alors voici mon email. Peut-être recevrais-je, ce soir même, ta réponse, avant que je ne quitte l'aéroport de Londres Heathrow, d'où mon avion décollera à 19h05.
Toute mon amitié et beaucoup plus si tu es prenante.
Sofiène Jéridi
sofianova-tn@hotmail.com


Le Haïkuteur …/… à suivre

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