jeudi 21 février 2008

Un oreiller pour la Saint Valentin

Mon année sur les ailes du récit / texte 03 sur 53 / 22 février 2008

Un oreiller pour la Saint Valentin

Une rose blanche, couleur de neige. Un clair de lune qui lui donne encore plus d'éclat. Des rues qui se vident offrant aux amoureux la paix pour l'intimité et l'échange de cadeaux. Et cet amant, qui longe les voitures stationnées le long du trottoir, marchant dignement, levant sa rose, tendant sa main tout droit devant lui, et priant le seigneur de tous les êtres : me voici, amour … me voici !

On dit que la rose d'amour est de couleur rouge. Il le sait bien. D'ailleurs le fleuriste a encore des roses rouges, en stock, de quoi couvrir les amants de toute la ville d'un amour encore plus rouge que toutes les fleurs. Mais il préfère le blanc. Car son amour est clarté ; son amour est limpidité de cœur ; son amour est pardon et excuses, pour ce qui s'est déjà passé et ce qui se passera plus tard.

Il a envie de remercier l'inventeur du téléphone portable. Car sans avoir programmé un rappel sur son portable, il ne se serait jamais souvenu de la fête de l'amour, ni ne se serait préparé dès l'aube à la fêter, pour la première fois, avec tout l'éclat qui sied à sa majesté. S'il le trouvait à l'instant, pense-t-il, il reviendrait lui acheter, à lui aussi, un cadeau pour la fête de l'amour. Et ce serait, bien évidemment, une rose toute blanche, comme celle-ci !

*****
La première année de son mariage, ce fut elle qui le lui rappela par un léger reproche. "Je suis un homme aux traditions orientales, lui répondit-il, et qui ne crois aucunement à ces histoires au gout d'occident". Mais il ne tarda pas, sous la pression de sa vielle maman, à faire concession sur son archaïsme et à promettre de rectifier le tir l'année d'après.
elle sortit en claquant la porte de la maison, et gagna la maison des voisins d'en face, pour s'enfermer dans la chambre de son enfance et passer la nuit à pleurer sur sa mauvaise fortune.

La deuxième année, elle invita sa mère et son frère à un dîner surprise. Ils étaient tous là à l'attendre autour d'un long buffet bien garni, éclairé par des chandelles, avec un gâteau trônant au centre de la table. Elle avait même prévu, à servir en cachette par respect pour les deux vieilles mamans, une bouteille de vin qu'elle envoya son frère acheter au magasin général, après avoir économisé son prix sur le budget alimentaire. Tout ceci, pour le plaisir de le retrouver, après le repas, saoul de son amour pour elle. Elle était bien certaine qu'il n'aurait pas besoin de rappel pour se souvenir de la fête. Mais quand il se pointa sans cadeau ni rose rouge, elle sortit en claquant la porte de la maison, et gagna la maison des voisins d'en face, pour s'enfermer dans la chambre de son enfance et passer la nuit à pleurer sur sa mauvaise fortune.

La troisième année, elle confia à sa maman, dès l'après-midi, son nouveau né et se prépara à un dîner avec lui, en tête à tête, dans le fameux restaurant du port dont tout le monde parlait et qui servait, hiver comme été, du poisson tout frais, préparé par le chef cuisinier le plus réputé de la ville. Elle avait insisté depuis le matin pour qu'il n'oublie pas le dîner DE SAINT VALENTIN.

Comble de malchance, son patron allait le retenir au travail jusqu'après minuit. Quand, au téléphone, elle entendit sa voix se confondant en excuses, elle rejoignit son bébé et ne rentra à la maison conjugale que deux mois plus tard. Et à quel prix ! Toutes les impasses de la HOUMA* étaient au courant de cette concession qu'il fit et qu'aucun homme avant lui, dans toute la Médina, n'avait jamais osé faire. Et, comme si ce n'était pas assez cher payé, il lui offrit toute une parure en or, qui lui coûta plus de deux millions et demi. Un crédit bancaire fût même spécialement contracté à cet effet, pour implorer son pardon. Le comble était que tout cet arrangement ne put avoir lieu que sur insistance de sa pauvre vieille maman, déjà hémiplégique. "Je n'en ai plus pour très longtemps, moi, lui ordonna-t-elle de sa voix, comme toujours, tranchante, fais le pour ce petit ange qui n'a commis aucun crime".

La quatrième année, elle se réveilla à l'aube pour lui rappeler "sa" Saint Valentin. Elle lui imposa de s'absenter de son travail pour cause de maladie dont il n'avait jamais souffert. Elle fit taire son opposition au moyen d'un certificat médical préparé à l'avance, portant bien son nom à lui et la date du quatorze février. C'était un cadeau de la Saint Valentin, offert par une de ses amies, qui travaillait à l'hôpital.

Malgré la satisfaction de ce caprice, auquel il avait fini par céder, ils ne rentrèrent de l'hôtel que pour se disputer. Elle s'isola dans leur chambre à coucher, ne lui laissant aucun autre choix que de dormir, pendant plus d'une semaine, dans la chambre de sa pauvre vieille maman qui, depuis presque un an, vivait déjà dans l'asile de vieillards. Et là, son invalidité allait s'aggraver de jour en jour, ne lui laissant plus aucune autonomie.

*****

Cette année, elle n'a même pas attendu de vérifier s'il se souviendrait ou non de la fête de l'amour. Voici dix jours ou plus, qu'elle prit son bébé et sa valise et lui annonça qu'elle s'installait définitivement dans la nouvelle villa construite par sa mère au bord de la mer.

Jamais il n'aurait imaginé sa belle mère accepter de vivre loin de son impasse de la Houma arabe, berceau de son enfance. Najoua n'était encore, alors, que la fille des voisins. Sa taille ne dépassait guère celle d'un pain italien et sa morve n'arrêtait pas de dégouliner, hiver comme été. Mais LELLA, c'est ainsi qu'il appelait la mère de Najoua depuis que sa maman à lui l'initia à prononcer les noms des voisins, n'allait pas se contenter de quitter son foyer. Elle venait de le louer au premier étranger qui entra à l'impasse, en résident, depuis que le RBAT* était RBAT.
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La rose est blanche, couleur de neige. Et le voici qui la tient de sa main droite et avance, tout droit, à pieds. Il avait abandonné sa moto depuis plus de dix jours. Une décision qu'il prit pour perdre les quelques kilos qui lui ceinturaient le ventre et pour lesquels, Najoua, sa femme bien-aimée, n'arrêtait plus de le railler, l'invitant, pour s'en débarrasser, à suivre un régime alimentaire proposé, évidemment, par son amie de l'hôpital.

"Son épouse bien-aimée" a-t-il dit ? Oui bien sûr ! Il ne plaisantait pas en le disant. Sa maman avait réussi à la lui faire aimer pour de bon. Elle tenait, à chaque fois qu'il la boudait, à ce qu'il lui revienne. Elle ne cessait de le convaincre que tous les couples, depuis que le monde était monde, se disputaient. Elle lui disait, même quand elle vivait à l'asile et qu'elle parlait avec beaucoup de difficulté, que les temps avaient complètement changé et qu'aucune bru n'acceptait plus une belle mère pour vivre avec elle dans une même maison.

Il reconnaît, sans doute, qu'il n'aurait pas dû pousser la concession jusqu'à céder à l'exigence de sa femme de laisser sa vielle maman vivre loin de chez elle et mourir dans un asile de vieillards, dans des conditions qui firent éclater, dans la Houma, un véritable scandale, une vague de grand mécontentement. La défunte ne méritait pas un tel sort. Surtout qu'elle aimait sa bru, Najoua, et sa voisine Omm Najoua, comme disaient les feuilletons syriens, d'un amour excessif, et leur avait donné d'elle-même sans compter.

Nul doute qu'elle avait été, comme le lui disaient les voisins, le dernier symbole de l'amour dans cette impasse. Am Néji* aurait même raison de croire que sa maladie était une conséquence directe de l'exigence de Najoua de ne revenir chez lui qu'une fois la maison déclarée propriété commune aux deux époux afin de pouvoir y habiter sans belle mère.

Mais il ne pouvait nier, pour la vérité, que sa vieille maman intervenait parfois dans ce qui ne la regardait pas, ni même qu'elle sortait parfois de son silence, juste pour lancer une de ces courtes phrases assassines et vitriolées dont elle détenait le secret.

*****
La rose est blanche, couleur de neige. Et le voici qui marche, bien enveloppé dans son costume tout neuf, tout blanc, avec ce nœud papillon qu'il met pour la première fois de sa vie. Le voici qui laisse derrière lui les maisons de la médina. Il se sent envahi par l'odeur revigorante du sel froid qui titille de loin ses narines. Il lui semble même entendre le bruit des vagues qui se brisent là bas sur les rochers de l'île et ceux de l'entrée du vieux port.

Voici plus de dix jours qu'il réfléchit à ce qu'il doit faire. Et c'est un calendrier accroché au mur de la chambre à coucher qui lui souffla la solution. Najoua y avait dessiné de sa propre main, à l'aide d'un stylo à feutre rouge, un cercle autour de la date du quatorze février, avec une flèche menant à la marge où était dessiné un cœur et quelques gouttes de sang. Exactement comme il en dessinait lui-même sur les murs du lycée quand il était amoureux de Ghalia, la fille de l'impasse du tamis, à l'autre bout du RBAT.

Quelque chose, dans ce dessin, signifiait que sa boudeuse d'épouse gardait, pour lui, malgré tout, un peu d'amour dans son cœur. Quelque chose de semblable à ce qu'il garde, lui-même, pour Ghalia. Ne doit- il pas, en conséquence, aujourd'hui que sa mère est morte, faire toutes les concessions pour éviter à son enfant de faire les frais d'une situation dont il n'est aucunement responsable ?

*****
En vérité, l'histoire de son amour pour Ghalia, naquit fondamentalement désespérée. La fille de l'impasse du tamis, avait deux ans de plus que lui, voire plus. Aussi l'informa-t-elle, dès le début, qu'elle était déjà fiancée et qu'elle devait se contenter de l'aimer, juste comme un frère. Encore qu'il détectait dans ses regards et dans le rose qui lui montait aux joues à chaque fois qu'elle lui tenait les mains, beaucoup plus que ce que pouvait exprimer le cœur d'une grande sœur. Mais il était du genre à se contenter de ce qu'elle pouvait lui offrir, dans des limites qu'il lui laissait le soin de fixer elle-même.

Dès que sa maman découvrit cet amour enfantin qu'il éprouvait pour Ghalia, elle lui ordonna d'arrêter définitivement d'y penser, et le mit au courant du secret du testament de son défunt père : "tu es promis à Najoua et à nulle autre qu'elle, depuis qu'elle est née. En contrepartie, insista-t-elle, cette maison est à ton nom". Il comprit, tout de suite, à travers l'accent mis sur le mot "contrepartie", qu'il n'avait, pour casser ce verdict, aucune voie de recours. Il regarda d'un air incrédule la future jeune fille à laquelle ne le liait que la volonté et la disparition de leurs deux pères. Et, la mort dans l'âme, il fit preuve de discipline et cessa d'aller attendre sa bien-aimée devant le lycée des vraies jeunes filles. Il arrêta même de passer devant son impasse. Quant à ses rêves, même éveillés, personne n'avait, ni n'a encore, aucune possibilité de les contrôler. Même pas Najoua, qu'il apprit à aimer par habitude.


Il se sent envahi par l'odeur revigorante du sel froid qui titille de loin ses narines.

*****

La rose est blanche, couleur de neige. Et le voici qui la serre tendrement contre sa poitrine et marche sous une lune qu'il n'a plus vue aussi pleine et aussi éclatante depuis des années. Nul besoin de deviner maintenant l'odeur du sel dont la présence se précise, aussi bien que celle du bruit des vagues déchainées. Beaucoup moins précis le souvenir d'une porte qu'on lui aurait ouverte, d'un accueil qu'on lui aurait réservé, ni même d'un quelconque chien qui aurait aboyé. Une seule certitude toutefois : il est là devant elle à tendre le bras avec sa rose blanche : Me voici, amour … me voici !

- Tu m'as terriblement manqué. Tu es, pour moi, la plus chère des Najoua au monde. Ne te fâche pas si ma rose est blanche. Les rouges expriment un amour comme celui de tous les autres. Alors que mon amour pour toi est, je le jure, plus limpide que tout amour, plus blanc que toute neige. Je viens ce soir célébrer la fête de l'amour, pour la première fois, de ma propre initiative, et reconnaître que tu es la plus grande Najoua qu'une impasse du RBAT* ait jamais enfantée depuis la création du monde. Me voici donc, debout, devant toi, à te demander pardon absolution et bénédiction.

Il ne parlait pas à voix basse. Tout un chacun pouvait tout entendre, même de loin. Il était là debout devant elle et parlait. Sa voix était franche et ne souffrait d'aucune larme qui lui serait montée à la gorge. Quant à elle, elle avait le silence majestueux et n'était nullement émue par ses paroles. Ce qu'il disait n'arrivait pas à lui faire vibrer le moindre cheveu !

Il s'agenouilla devant elle ; si, si, pour la supplier. Il était même en larmes, maintenant. Mais elle ne daigna pas tendre la main pour recevoir sa rose, ni balbutier le moindre mot pour lui répondre. Il eut soudain le sentiment d'être devenu la plus méprisable des créatures. Et, comme si ce silence ne suffisait pas, à lui tout seul, pour l'humilier, voici que la voix d'Om Kolthoum fusa en ce moment précis pour scander : "Il est trop tard"*.

*****
Trop tard ?
La chanson venait du coté de l'arbre, pas loin d'eux !

- Hé ! Frère…, frère, lève-toi de là, s'il te plait. Mes patrons ne veulent pas !
- Ils ne veulent pas ?

Quand la voix du gardien le réveilla, les premières lueurs de l'aube commençaient à éclairer les gouttelettes de brume accumulées sur le marbre tout autour de lui. Il ne savait s'il s'était évanoui de n'avoir pu supporter l'humiliation, ou si comme le prétendait le gardien, il s'était réellement endormi, avec pour seul oreiller une rose blanche, à même le marbre du tombeau de sa vielle maman.
les premières lueurs de l'aube commençaient à éclairer les gouttelettes de brume accumulées sur le marbre tout autour de lui
Quand, depuis le cimetière, il vit enfin le vieux port, l'aube était levée. Plus une vague nerveuse ne semblait s'aventurer à heurter la petite île. Le jour semblait promettre plus de clarté.

Le Haïkuteur – Monastir

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La Houma : le quartier d'une medina arabe - Am Neji : Am pour tonton et Néji est un nom propre - Le RBAT : Nom du quartier de naissance de l'auteur à Monastir - "Il est trop tard" : Chanson d'Om Kolthoum "Fat El Maad", nous avons opté pour l'insertion de la traduction dans le texte car c'est le sens des paroles qui y était recherché.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Dommage le copyright sur la photo surtout que ça ne sert à rien du tout, sinon à l'enlaidir !!! Du moment que tu publies sur Internet tu prends le risque de la copie ;
pour te protéger en revanche( texte et images ) déclare les ... c'est payant mais pas cher http://www.copyrightfrance.com/
ou ne publie pas :-)
Pour retarder tu peux interdire le clic droit ... (trouver un petit script sur internet et l'inclure dans la page en mode source ou html ou équivament après la balise body ) sur over blog ça fait partie de la configuration , juste une case à cocher .