vendredi 7 novembre 2008

La Boussole de Sidinna / 6 La zone de gravité

Mon année sur les ailes du récit (36/53) La Boussole de Sidinna (6/23) – 7 novembre 2008


Chemin second

Des silex sur les dunes

Orientation première

La zone de gravité

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur


Très urgent.
De Ghailan (
Ghailan79@yahoo.fr)
A Mayara (
Mayaara86@gmail.com)



Mayara chérie,
Ton portable est éteint à longueur de journée. Sur Skype ton profil est toujours éteint. Même ta chambre, mon Aïchoucha, baigne dans le noir. Tout à l'heure, j'ai osé frapper sur le fer forgé de ta fenêtre, comme convenu en cas d'urgence. Mais Aucune vie dans la maison des Laajel, à ce qu'il paraît !
Je suis contraint de partir immédiatement en voyage. A partir de maintenant, il ne m'est plus possible de te contacter, vu que j'ai abandonné mon téléphone portable et que je ne suis pas certain de pouvoir accéder à Internet avant mon retour. Il ne nous reste plus, alors, qu'à nous rencontrer dans le rêve. Tu me manques beaucoup Mayara. Ah, si nous pouvions nous rencontrer, à nouveau, au large de la grande Meïda ! Tu te souviens ? Je t'y invite. J'insiste pour que tu viennes m'y rendre visite. N'aie pas peur du froid, mon amour. Les vagues sont encore tièdes. Je t'attendrai dans mes prochains rêves. Ne tarde pas.
Amour éternel
Ton Ghailane toujours – Mohamed Lamjed Brikcha
PS: Je pars en emportant la boussole de Sidinna. Elle a maintenant recouvré toutes ses composantes et elle tient bien grâce à une micro-vis en or massif et un écrou en argent. Il s'en dégage une chaleur qui me charge d'une énergie merveilleuse. Je t'en parlerai en détail, au premier rêve à venir. Je t'attends plus que fébrilement.
Doux baisers.

*****

… Enfin je respire à grands poumons. Il semblerait que maintenant tout, ou presque tout, est à la place qu'il faut. Aïchoucha recevra mon message dès qu'elle se connectera sur la toile. Khaddouja Jaïed se réveillera, le matin, pour trouver l'information chez Rachida. La boussole de Sidinna est bien avec moi, attachée à ma ceinture. Et moi, je suis dans la voiture de "Louage" (taxi en commun pour longues distances) qui me mènera à Tazoghrate. Toutes les ficelles de mon récit sont entre mes mains. Enfin, je les détiens moi-même, tout seul.
Il ne me reste plus, maintenant, qu'à voir cette voiture s'éloigner de Beb-Tounes encore quelques kilomètres. Ainsi, je me libèrerai définitivement des effets de ses vents, si jamais ceux-ci décidaient de souffler, à nouveau, dans des directions contrariantes. Tous les voyageurs dans cette voiture sont endormis. La route est, paraît-il, longue. Aucun d'eux, ni quiconque hors des remparts de la ville, n'aurait l'idée de forcer la porte de mon rêve ou de mettre la main sur mon récit pour se l'approprier à mes dépends.
Le seul hic est que, maintenant, l'aiguille de la boussole, qui doit normalement en permanence indiquer le Nord, pointe exactement vers le contraire de la direction prise par la voiture. Est-ce parce que cette boussole a été abandonnée durant de longues années? Ou bien est-ce la spécificité même de cette boussole en particulier, qui se distingue de toutes les autres par sa capacité à pointer vers le Sud ?
Ce serait un projet merveilleux, s'il se trouvait dans ce monde une boussole pour indiquer, enfin, le Sud.
Mais j'aurais, s'il en est ainsi, une responsabilité double au cours de ce voyage. Il me faudrait à la fois protéger la boussole et rechercher son propriétaire. Je vais donc commencer par la cacher, bien enfouie dans mes sous-vêtements, bien à l'abri des regards des curieux et des bandits de grands chemins. Ce sera quand même bien une lourde responsabilité. Mais je me sens à la hauteur de la tâche et je saurais ne pas décevoir Sidinna et "BBé" Sabrya. Car une énergie surhumaine m'habite désormais.
Maintenant, j'ai à mon service le rêve et la réalité, la nuit et le jour, le passé, le présent et l'avenir réunis. Et j'ai cette porte sur l'au-delà, qui s'est ouverte pour moi et par laquelle me sont arrivés des signes effectifs de soutien. Des signes que je reçois, maintenant, concrètement pendant mon éveil, alors que je me contentais de les déceler lors de mes rêves.
Les vents opposés vont-ils enfin cesser de souffler sur Beb-Tounes ? Telle est la question.
En tout cas, c'est ce qu'annonçait cette quiétude qui régnait, tout à l'heure, à l'intérieur de la porte-chicane, au moment où j'y suis passé pour accéder à l'extérieur des remparts. Et ce n'est là que l'un des signes confirmant que je me trouve bien dans la zone de gravité dont vient de me parler, à l'instant, "BBé" Sabrya.
En versant derrière moi l'eau de son seau en matière plastique blanche, comme le font toutes les mères du Rbat, au moment où leurs enfants sortent de chez eux pour un long voyage, elle m'a dit : "je n'ai pas peur pour toi, Mejda. Vas-y, Dieu est avec toi ! Tu es maintenant dans la zone de gravité." Oui ! C'est ce qu'elle m'a dit textuellement. "BBé" Sabrya est muette. Mais quand elle parle, elle ne dit que la vérité. Et j'ai constaté, preuve irréfutable à l'appui, que son sixième sens ne se trompait jamais.
A peine ai-je fait deux pas à l'intérieur de la chicane de Beb-Tounes, que souffle sur moi une brise de l'encens de Grand-mère Doraïa Jaïda. Et sa voix de se lever priant pour moi : "Que Dieu t'envoie toujours un compagnon pour tes difficiles moments, mon cœur!" Je sens mon cœur battre très fort. Je lève mes yeux pour regarder la voute et vois une ouverture semblable au sourire de Grand-mère. De cette ouverture fusa une lumière tiède qui m'éclaire le visage.
Ce n'est là qu'une première preuve. La seconde viendra tout de suite après : aussitôt sorti des remparts de la ville, la voiture de "Louage" arrive vers moi, venant du coté de la mer. On dirait qu'elle m'est tout spécialement destinée. Elle s'arrête juste devant moi, à côté du lampadaire municipal. Son conducteur en descend et m'invite tout poliment : "alors frère, tu vas sur le chemin de Dieu?"
Je lui réponds : "Bien sûr, nul ne va nulle part ailleurs!" Et je lui tends mon petit sac qu'il range dans le coffre avec les valises des voyageurs. Je m’installe sur le siège arrière, à côté d'une vieille dame qui a un beau visage, semblable à celui de Grand-mère Doraïa Jaïda. Mais un visage plutôt brun, avec un tatouage sur le front et deux autres sur les joues. La vieille dame me sourit un moment en silence. Puis elle referme les yeux et se rendort. Et voici mon voyage qui commence, enfin !

*****

… J'ouvre les yeux. Des claquements de portières et des mouvements de corps secouent la voiture. Combien de kilomètres avons-nous parcouru jusqu'ici? Il emble que la route est encore longue… Je regarde à travers les vitres. Je ne vois que le noir épais de la nuit qui enveloppe la voiture. Je devine les voyageurs s'éloignant en direction d'une lueur qui paraît être assez loin de la route goudronnée. Il se peut que ce soit un café. Car je crois avoir entendu le conducteur de la voiture me proposer de descendre boire un café et lui avoir répondu sans réfléchir que je préférais me rendormir.
Aucun voyageur n'est resté dans la voiture. C'est en tout cas ce que j'ai cru, avant de refermer les yeux. Mais, voici des doigts tendres qui commencent à me caresser les cheveux. Est-ce à dire que la vieille dame qui était à côté de moi, est restée en voiture, elle aussi ? Mais comment se permettrait-elle de me caresser les cheveux de cette manière, comme si j'étais son enfant ou son amant ?
J'ouvre à nouveau les yeux. Ô mon dieu ! Depuis combien d'années n'ai-je pas vu ce visage familier, y compris dans mes rêves ? Ne me pince pas, petite maman, s'il te plait ! Laisse-moi dans le rêve encore un instant, encore une minute seulement:
- Sawana ! Comme tu me manques Sawana ! Où étais-tu passée pendant toutes ces longues années ? Enfin, tu acceptes de venir me rendre visite dans mon rêve !
- Je viens plutôt te rendre visite dans ton éveil, Mejda. Exactement comme je le faisais lorsque tu étais enfant. Tu t'en souviens ?
- Bien sûr que je m'en souviens. Mais, avant, tu n'avais pas l'habitude de venir déguisée. Et voici que maintenant tu te caches des gens. Tu étais bien déguisée en vieille femme, à l'instant !
- Mais non, je ne me suis jamais déguisée. Je viens juste d'arriver et je n'ai aucun rapport avec la vieille dame qui, elle, est partie et reviendra avec les autres.
- "BBé" Sabrya ne m'avait donc pas menti. Je suis bien dans la zone de gravité. J'en suis très heureux, Sawana ! Mais, en vérité, j'ai peur. Peur d'échouer dans ma mission, Sawana ! C'est en fait la première fois que je sors de Beb-Tounes, sans que mon retour ne soit attendu au Rbat pour le jour même. C'est pourquoi j'aurais besoin de quelqu'un pour m'accompagner dans mon voyage. Et nul, pour quelqu'un comme moi, n'est meilleure compagne que toi! Voudrais-tu rester avec moi, Sawana ?
- Voici qu'ils reviennent. Tais-toi maintenant et rendors-toi. Je te retrouverai quand il fera jour. Tu seras, alors, bien arrivé.


… Je sens, encore une fois, battre très fort mon cœur. Avant que les portières ne s'ouvrent et que les voyageurs ne remontent en voiture, je lève les yeux pour regarder le plafond et vois une petite ouverture fendre la tôle. Une ouverture semblable à celle déjà vue dans la voute de Beb-Tounes, qui rappelle toujours le sourire de ma grand-mère et d'où la même lumière tiède fuse pour m'éclairer à nouveau le visage. Quand les voyageurs ouvrent, enfin, les portières et montent, l'odeur d'une mixture d'encens et de café se répand dans la voiture.

Le Haïkuteur …/… à suivre

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