jeudi 4 décembre 2008

La Boussole de Sidinna / 10 Nouba de la pierre et de la fièvre, bis

Mon année sur les ailes du récit (40/53) La Boussole de Sidinna (10/23) – 05 décembre 2008


Chemin second :

Des silex sur les dunes


Orientation troisième 2 :

Nouba de la pierre et de la fièvre, bis

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur

Où suis-je ?
Par où vais-je aller ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?


Les montagnes m'entourent-elles encore de tout horizon ? Le monde est-il toujours sombre, ténèbres? Est-ce toi qui es revenue Doraïa ? T'es-tu, enfin, souvenue de moi, grand-mère bien-aimée? Merci, Bien-aimée… Merci! Mais qu'est ce que c'est que ce pansement que tu m'appliques ainsi sur la tête ? Suis-je tombé dans le ravin ? Me suis-je fracassé la tête sur les rochers ? Et qui c'est celui-là ? Est-ce Azizi Mezri Jaïed ? Azizi… Parle-moi, Grand-père! Pourquoi ne parle-t-il pas, Doraïa ? Je ne connais pas ce grand-père-ci, car je n'ai trouvé aucune photo de lui dans la maison…
- N'aie pas peur … Essaye de dormir maintenant… Ceci est un cataplasme à l'oignon… Ferme les yeux, dors et laisse l'application aspirer toute la fièvre. Demain tu te sentiras mieux, si Dieu le veut!
- Dois-je dormir ? Suis-je, alors, en état d'éveil ? Suis-je encore en vie ? Suis-je dans la réalité ? Le fond m'aspire…

*****

Où suis-je ?
Par où vais-je aller ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?
Pourquoi les montagnes m'entourent-elles de tout horizon?
- C'est la nature de la région, fils de ta mère. Ici, Il n'y a que des montagnes.
- Sommes-nous arrivés au Nord, Doraïa ? Est-ce ici Tazoghrane ?
- Ici, on est plutôt dans le Sud, fils de ta mère. On est carrément à la porte du Sahara.
- Et pourquoi, Grand-mère, le monde demeure-t-il toujours ainsi, sombre, ténèbres?
- Je ne suis pas ta grand-mère, fils de ta grand-mère, je suis pucelle… Vieille et pucelle, comprends-tu ? Et je m'appelle Oum Ezzine et non Doraïa …
- Appelons la Baraka des pieux… Chantons donc :


Ô Ya Lella…
Malade, accorde-moi refuge
Je t'appelle, Oum Ezzine….
Ô Ya Lella…
Ô fille de Jemmal…
Ô, mère des sept locaux
Ô Ya Lella…
Ô souffrant, de suite,
Appelle Oum Ezzine…

- Mais je ne suis pas Oum Ezzine, la pieuse, fils de ta mère. Arrête de chanter et dors. Et si la fièvre ne tombe pas d'ici le lever, je t'emmènerai à qui te prescrira un meilleur remède que le mien …
- Dois-je dormir ? Suis-je en état d'éveil ? Suis-je encore en vie ? Suis-je en train de vivre la réalité ? Le fond m'aspire…

*****

Où suis-je ?
Par où vais-je aller ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?
… Un espace d'éveil au sommet du rêve. Ou serait-ce, plutôt, un espace de rêve dans les fins fonds de l'éveil ? Une vieille pucelle, beaucoup plus belle que je ne l'avais vue dans la voiture de louage. Un tatouage sur le front et, sur chaque joue, un tatouage semblable et une rose. Et moi, marchant péniblement sur la pierre et, sans le soutien de son bras, je manque de peu de tomber. Les montagnes m'entourent toujours de tout horizon. Mais j'ai, au dessus de ma tête, une voute bleue lumineuse. Un espace sculpté, par la lumière d'un nouveau matin, dans une masse du monde sombre. L'entrée d'une habitation taillée dans la pierre, en dessous de laquelle, coulent des rigoles d'une eau limpide. Une chicane, un patio ensoleillé, puis des chambres creusées, elle aussi, dans la pierre de la montagne.
… Un espace d'éveil au sommet du rêve. Ou serait-ce plutôt un éclat de conscience dans le ravin d'un coma. Un seul éclat ramène la vue aux yeux. Un seul éclat ramène la raison à la conscience aveugle. Excusez-moi madame. Je crois avoir dérangé. Est-ce vrai que vous vous appelez Oum Ezzine ? Pardonnez-moi, madame Oum Ezzine. Aurais-je déliré à haute voix, ou aurais-je seulement parlé à moi-même, dans mon for intérieur. Je ne sais ce qui m'est arrivé. Alors pardonnez-moi mon délire, madame. Je rêvais que je vous appelais Grand-mère. Mais je vois que vous ne lui ressemblez en rien. Alors pardonnez-moi et, encore une fois, pardonnez-moi.
Un espace d'éveil au sommet du rêve. Ou serait-ce un espace de rêve au sein d'un autre rêve ? Un homme arrive au patio, sortant d'une caverne profonde. Ses traits sont ceux d'un homme dont je rêvais. Je lui parle et il ne me répond pas. Je l'appelle Azizi, mais il me toure le dos. Oum Ezzine se tient debout au centre du patio. Elle baisse la tête. Sa main me confie à la sienne. Je grelotte en la regardant se courber, pour lui parler en toute vénération :
- Sidi Moqaddem Hfaïedh, c'est un garçon que j'ai trouvé égaré dans la montagne. Il a souffert de fièvre pendant sept nuits, plongé dans un coma, dont il ne sortait que pour délirer. Des propos bizarres sur les aïeuls, sur la mort et sur la résurrection. Des chants lancés tels des appels au secours aux pieux et aux marabouts. Alors, Sidi Moqaddem Hfaïedh, pardonnez-moi cette audace. Je n'avais plus d'autres choix que de franchir la porte de votre isoloir. Car nul autre que vous ne pourrait sauver ce jeune homme.
Sans mot dire, le Moqaddem Hfaïedh me saisit solidement par le poigner. Il manque de peu me bloquer le pouls. Il me fixe dans les yeux, les siens m'envoyant des rayons plus forts que ceux du soleil. Comment continuer à soutenir ce regard assaillant ? Comment récupérer ma vue alors que la force ma manque pour refermer les yeux ?
… Le Moqaddem Hfaïedh m'étend par terre. Je me laisse faire. Il me prend la tête entre ses deux mains et la presse tellement fort que je sens ses doigts se planter dans mon crâne. Et je vois Sawana traverser la caverne en me souriant. Je m'apprête à l'appeler puis je renonce et m'abandonne, comme rassuré malgré la douleur. Je ferme les yeux puis les rouvre. Et, me voici debout dans le patio. Le Moqaddam Hfaïedh ouvre la main. Il m'avait extrait de la tête sept petits cailloux bien polis aux merveilleuses couleurs, scintillant comme des diamants :
- Ton prénom ?
- Mohamed Lamjed.
- Celui de ta mère ?
- Khadouja.
- Et celui de ta grand-mère maternelle ?
- Doraïa.
- Mohamed Lamjed, fils de Khadouja, fille de Doraïa. Ton mal est triple et ton remède est triple. La fièvre s'en ira au bout de trois temps. Compte d'abord les heures, puis les jours. Et si tu n'es pas encore guéri, alors compte les semaines. Sinon, nul salut après la troisième semaine. Tu vas maintenant prendre ces petits cailloux de silex dans ta main gauche. Mais fais attention à ne pas prononcer le nom de Dieu. Tu vas ensuite fermer les yeux et jeter les petits cailloux vers le ciel avec autant de force que tu pourras. Essaye de les envoyer au dessus de la chicane afin qu'ils tombent dans l'oued.

…Silencieusement, je prends les petits cailloux de silex dans la main gauche, m'abstenant de prononcer le nom de Dieu. Je n'ai jamais reconnu à ma main gauche une quelconque force pour lancer une pierre. Alors, pour envoyer mes cailloux jusqu'à l'oued !
… Au bord du désespoir, je ferme les yeux et tente de bouger la main. Et, ô miracle, elle bouge comme si elle était indépendante de mon corps. J'ouvre des yeux ébahis. Je suis certain d'avoir réussi à envoyer les silex dans l'oued.
- Quelle énergie tu as dans la main gauche, fils de ta mère ! Maintenant tu vas sortir d'ici et ne plus jamais revenir. Cherche tes silex dans l'oued. tu pourrais en trouver quelques uns, comme tu pourrais n'en trouver aucun. Si d'ici trois heures, tu en trouves ici plus de la moitié, alors conserve-les et tu seras définitivement hors de danger, dès la fin de ta fièvre. Sinon, ils se seront éparpillés sur les chemins de la vaste terre d'Allah. Et tu souffriras à les chercher. Tu n'atteindras jamais ton objectif avant de tous les retrouver.

*****

Où suis-je ?
Par où vais-je aller ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?
… C'est l'espace d'éveil au sommet du rêve. Et il touche à sa fin. Ou serait-ce plutôt un espace de rêve dans les profondeurs de l'éveil, commençant à l'instant pour ne jamais finir ?


- Plus de trois heures se sont écoulées, fils de ta mère, et la fièvre brule toujours. Je suis fatiguée de chercher avec toi sans que nous ne trouvions le moindre caillou. Toi aussi, tu dois arrêter de chercher. Tu as urgemment besoin de repos. Mais comment ?
- Le soleil s'incline vers le coucher, Oum Ezzine, et toujours aucune trace des silex, dans ce maudit oued. C'est dur de reconnaître que j'ai échoué à les retrouver.
- Le soleil s'incline vers le coucher, fils de ta mère, et je ne peux plus t'héberger ni t'apporter la moindre aide pour te secourir d'une fièvre qui en aura pour trois jours, sinon plus. Je vois qu'il te faut immédiatement rentrer chez les tiens.
- Ne te fatigue pas davantage pour moi, Oum Ezzine. Tu as déjà assez enduré à cause de moi. Ne t'en fais pas pour la fièvre. Ramène-moi, juste, à la grande route et indique-moi la direction du Nord. Je veux aller à Tazoghrane. La fièvre n'arrivera jamais à m'en empêcher. Jamais je ne renoncerai à ma mission, ni ne reviendrai aux miens avant que la boussole ne soit arrivée à destination.

*****

Où suis-je ?
Comment me relever et sur quels pieds tenir pour marcher ?
Par où vais-je aller, si jamais je parvenais à marcher ?
Où est le Nord et où est le lever ?
Où est le Sud et où est le coucher ?
…Les montagnes m'entourent de tout horizon. Le monde est sombre, ténèbres ! Et moi, je suis étendu sur le bas côté de la route principale, gisant comme mort. Je sue une neige qui glisse sur ma peau. J'ai les yeux clos et ne peux les ouvrir. Mes mains s'agrippent à mon pantalon protégeant farouchement la boussole de Sidinna et mon sac pèse sur mon dos.
… Une lumière de torche est braquée sur mon visage. Et, du fond des années révolues, me parvient la voix d'un homme, m'appelant comme on m'appelait en ces années révolues :


- Ghailane, fils de chien de fils de chiens… Mais que fais-tu dans ce désert ? Et qui est ce cochon fils de cochon qui t'a fait ça, Ghailane ? "Est-ce ainsi que le temps viole le vierge espoir ?"
- "Laissez-moi… Ô, plus bas que ravins… Plus faibles qu'esclaves… Plus vils que moustiques … Ô, enfants de l'Homme !" Mais non, mais non ne me laissez pas! Au secours de grâce ! Ne me laissez-pas périr ici ! C'est juste une putain de tirade d'une maudite pièce de théâtre, qui me sort malgré moi. Mais qui es-tu, toi qui m'appelle Ghailane ? Dis-moi, fils de ta mère : suis-je encore en vie ? le fond m'aspire…

Le Haikuteur …/… à suivre

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