vendredi 30 mai 2008

L'affaire de ma vie

Mon année sur les ailes du récit / texte 17 sur 53/ 30 mai 2008

L'affaire de ma vie

Un âne et aussi fils d'âne, celui qui était assis derrière le volant de la "BM" blanche ! Rien qu'un âne portant des vêtements ! Sinon il n'aurait pas eu aussi peur d'un chien qui voulait traverser. C'est qu'il faillit causer un terrible accident, le monsieur, s'il ne l'avait pas vraiment provoqué ! Car, moi, je n'avais pas eu, en vérité, le temps de me retourner pour voir ce qui était effectivement arrivé après que je sois passé sain et sauf.


Nous roulions à, pas moins de, cent à l'heure. J'étais derrière lui, à quelques petits mètres, bien concentré sur la manœuvre quasi millimétrique, par laquelle je devais passer entre lui et une camionnette USUZU, qui roulait à ma gauche et tentait, elle aussi, de le dépasser. Et voilà qu'il freina brusquement, manquant de m'obliger à faire de même et de subir le choc de la voiture qui me suivait à la même allure et qui voulait, à son tour, passer par la même brèche que je me pressais d'ouvrir entre ces deux voitures.
Heureusement que je suis homme à maîtriser parfaitement ma voiture et à n'hésiter jamais à utiliser la pédale d'accélérateur là où d'autres utiliseraient celle du frein. Ce n'est qu'ainsi que j'avais réussi à échapper à une situation aussi dangereuse ! Autrement il y aurait eu un accident qui aurait ravagé au moins une dizaine de voitures. Eh oui, seule la vitesse m'avait évité d'être broyé dans ma voiture !

*****


Mais le danger auquel je venais de m'exposer ne m'avait servi à rien :
- Oh, hé braves gens, mais je suis pressé, moi … Je dois arriver avant midi à la direction du dépôt des offres de services. Autrement tous nos efforts auraient été vains!
Mais qu'est ce que c'est que cette malchance ? Je venais à peine de franchir ce détroit, laissant derrière moi tout danger, que la circulation s'arrêta net sur l'autoroute "La Marsa – Tunis". ET des dizaines, voire des centaines de voitures se collant les unes aux autres, constituaient un barrage entre ma destination et moi. Si je n'avais pas été certain qu'il s'agissait bien d'un feu rouge, j'aurais dit que les propriétaires de ces véhicules étaient en train de conspirer contre moi pour aider ceux qui voudraient m'empêcher de décrocher l'affaire de ma vie !
Oui, je dis bien l'affaire de ma vie ! J'y avais misé toutes mes économies et il aurait suffi que je remporte l'appel d'offre pour nous garantir à ma femme et à moi de vivre au paradis pour le restant de nos jours, et à mon fils unique d'entrer dans le monde des affaires par la plus grande porte. Ce qui devait graver mon nom de famille dans le monde des affaires jusqu'à la fin des temps. Mais qu'est-ce qui se passait là ? Et pourquoi l'attente du feu vert durait-elle aussi longtemps ? Si l'attente se prolongeait encore ainsi, j'allais arriver à la direction des dépôts des offres, après expiration des délais fixés.
C'étaient certainement les agents de police qui s'occupaient de régler la circulation. C'est toujours ainsi avec eux : pour peu qu'ils se mêlent d'une circulation naturellement fluide, ils ne font que la bloquer. Ils donnent l'ordre de passer puis se mettent à discuter entre eux, ne s'occupant ni de surveiller les changements de couleur des feux, ni de répartir équitablement le temps de passage des voitures.
De ce fait, il était inéluctable de mener une attaque organisée aux clacksons, pour attirer leur attention. Et c'est ce qui fut fait. J'initiai le mouvement, et c'est tout naturellement qu'une véritable symphonie assourdissante monta dans les airs, grâce à laquelle s'ouvrit enfin la voie !

*****

La circulation était maintenant normale et je roulais aisément à toute vitesse. Il me restait encore un peu de temps. Avec un peu de chance, j'arriverais à l'heure. Je pourrais même arriver avant l'heure si d'autres feux ne m'arrêtaient pas.
S'il ne dépendait que de mon fils, le dossier serait arrivé à destination à la première heure. Mon fils n'était parti se coucher qu'à la toute fin de la nuit, après avoir terminé tout le travail demandé. Tout le groupe participant à la préparation du dossier avait, d'ailleurs, veillé avec lui pour me laisser un dossier tout prêt. Mais c'était moi qui avais retardé la préparation du dossier définitif jusqu'à cette heure-ci.
Il était en effet indispensable que j'intervienne. Il s'agissait là d'un secret professionnel que je n'aurais même pas divulgué à mon fils. Ce dernier et son équipe m'avaient laissé, comme je l'avais demandé, quelques cases à remplir dans les tableaux du montage financier de l'offre proposée. Mais, arrivé aux locaux de l'entreprise juste après leur départ, j'avais dû commencer le véritable travail qui consistait en la refonte complète des tableaux du montage financier en fonction des informations que j'avais pu glaner concernant la concurrence. Et c'est ce qui m'avait retardé jusqu'ici. Telle était en fait ma recette magique. Je projetais de l'expliquer à mon fils quand nous aurions remporté le marché.
Je quittai l'autoroute en un temps record. Avec mon dossier complètement transformé, surgirais à la dernière minute, pour donner le coup de grâce à tous les participants à cet appel d'offre. Mais voici que, de nouveau, se forma un embouteillage encore plus dense que celui de l'autoroute. J'allais finir par perdre complètement mon défi si je restais ainsi à attendre que toute ces voitures passent à raison d'une toutes les minutes.

J'avais tout prévu dans cette opération sauf ces embouteillages à répétition qui risquaient de m'empêcher d'arriver à l'heure. Il me fallait donc trouver une solution. Et là, tous les moyens étaient légitimes. L'essentiel était d'atteindre à temps l'objectif fixé. Il ne me restait alors que le "Système D", c'est-à-dire le recours au bas côté, à droite de la chaussée, qui me permettrait de dépasser tout le monde.
Il y avait deux voitures entre moi et la bande de terre nue du bas côté. Un sourire à ce vieillard et un coup de force devant cette dame prétentieuse et je roulais sur une voie libre avalant des centaines de mètres. Le tout était maintenant de pouvoir réintégrer la chaussée goudronnée. Mais pourquoi toutes les femmes étaient-elles devenues si agressives ?
- Juste une seconde s'il vous plait madame ! Mais pourquoi êtes-vous si méchante ? OK… OK… passez donc vite vielle malade … Et vous pourquoi klaxonnez-vous ainsi ? Ne comprenez-vous donc pas qu'i y ait un homme pressé ? Il n'y a plus de tolérance dans ce pays, ou quoi ?

*****

Enfin me voici arrivé au goulot d'étranglement de la circulation. J'étais certain qu'il s'agissait d'un accident. Il y aurait, parait-il, une voiture renversée. Mais je ne pouvais voir que l'agent de police qui intimait l'ordre aux conducteurs de vite s'éloigner. Discipliné, voici que j'essayais de me plier à ses ordres, alors que les autres cherchaient à savoir ce qu'il en était, gênant ainsi la circulation.
- Mais pourquoi n'exécutez-vous pas les ordres de la police ? Il est vraiment bizarre ce peuple… Ils ont vraiment raison ceux qui disent de nous que nous sommes encore bien loin d'un comportement civique.
Je klaxonnai, m'engouffrai parmi eux et passai enfin laissant cet homme, qui s'arrêtait pour me disputer, aboyer comme un chien. Il avait maintenant affaire au policier. Ce dernier s'empressait de lui demander ses papiers pour lui dresser une contravention : refus de se plier aux indications des agents de l'ordre et perturbation de la circulation sur la voie publique.
- Voilà ! C'est avec cette fermeté là que doit se comporter notre police nationale, face à des singes de cette espèce…
Il était maintenant midi moins dix. La vitesse était limitée ici, mais la voie était libre et j'étais contraint de me permettre ce léger dépassement. J'étais maintenant à quelques centaines de mètres de l'administration. Il me fallait juste arriver au croisement avant que le feu ne tourne au rouge.
- Orangé… moi, j'ai vu qu'il était orangé.
- Mais non il était rouge. Veuillez montrer vos papiers s'il vous plait !
- Désolé monsieur l'agent. Je vous jure que je l'ai vu orangé et, à dire vrai, je suis pressé. L'administration est là devant vous et…
Je n'ai trouvé aucune autre solution que de donner mes papiers et ceux de la voiture au policier, avant de lui laisser la voiture elle-même, moteur en marche, de prendre le dossier de l'appel d'offre et de courir pour atteindre, enfin, le siège de l'administration, sous le regard étonné du policier.
- Ouf… Midi moins deux minutes. Il me reste encore du temps pour déposer mon dossier.
Avant de mettre un pied sur la première marche des escaliers menant à l'entrée de l'administration, mon téléphone portable se mit à sonner. C'était le numéro de mon fils. Il devait vouloir s'informer de l'arrivée à temps du dossier. Je décrochai pour le rassurer. Mais une toute autre voix m'interpella :
- Connaissez-vous ce numéro ?
- Oui, bien sûr !
- Etes-vous le papa du propriétaire de cette ligne ?
- Ben oui ! Qui êtes-vous ? Et qu'est-il arrivé à mon fils ?


- C'est la police de la circulation. Désolé monsieur. Mais vous devez être fort et courageux. C'est un accident qui a touché une dizaine de voitures sur l'autoroute "La Marsa-Tunis". Beaucoup de blessés et… de morts. Vous êtes priés de venir reconnaître votre fils.

Le Haïkuteur - Tunis

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Good post.