jeudi 11 septembre 2008

Le malaise de Rawdha

Mon année sur les ailes du récit / texte 30/ 12 septembre 2008

Le malaise de Rawdha

Un, deux, trois et hop : à un moment mal indiqué et alors qu'on s'y attendait le moins, elle était raide par terre !
- "Puisqu'on en est arrivé là, criai-je énervé, nous allons sortir seuls. Je ne prendrai personne avec nous. Qui veut bien nous suivre nous suivra et qu'elle crève comme une chienne, puisqu'elle le veut !"


Je pris Sinda par la main et, sans plus attendre, nous sortîmes de la maison. "Je t'expliquerai tout plus tard", dis-je à ma fiancée qui me suivait affolée, lui demandant de ne penser qu'à bien se tenir derrière moi, sur mon vélomoteur. Et nous laissâmes derrière nous la maison, l'impasse et tout le Rbat, avant que la mascarade n'atteigne son apogée et que maman n'exige de moi d'aller chercher un taxi pour conduire ma grande sœur à l'hôpital.
Je ne pouvais pas être plus énervé. On avait décidé de sortir, tous ensemble, boire un café à la Marina, à l'occasion de l'anniversaire de Sinda, ma fiancée. Ce jour là, Sinda était venue pour la première fois chez nous, et tout allait bien jusqu'à ce que mademoiselle Rawdha décide, sans crier gare, de tomber dans les pommes, succombant à son habituel malaise. A son eternel manège, devrais-je plutôt dire !
Car Son Excellence avait pris l'habitude d'appuyer sur un bouton secret et hop, elle était par terre. Car, ce que ma sœur chérie adorait le plus, c'était être au centre de l'attention de tout le monde, voilà tout! Maman savait parfaitement qu'elle jouait la comédie, mais elle faisait toujours comme si elle la croyait. Et c'est ce qui l'encourageait à continuer ses manèges, bousillant nos programmes à chaque fois qu'elle nous voyait heureux, que nous nous préparions à faire la fête ou que nous soyons sur le point de sortir pour un quelconque loisir.
Tout le monde vous dira qu'elle était adorable, ma sœur Rawdha. Et c'est vrai ! D'ailleurs, Dieu m'est témoin, je l'aimais plus que le reste de la famille. Elle était serviable et généreuse. Elle aimait tout le monde et donnait plus qu'on ne lui demandait ; au point, parfois, d'incommoder celui à qui elle offrait sa générosité et apportait son aide.
Le seul problème de Rawdha c'était qu'elle n'avait pas de chance, ou plutôt, que je le dise franchement, qu'elle ne s'était pas fiancée. Elle était l'ainée de maman. Douze ans nous séparaient, elle et moi. Mais son "Mektoub" tardait à se présenter. Trop au gout de toute la famille ! C'était d'abord notre sœur qui s'était mariée, puis notre frère. Ensuite, c'était notre seconde sœur qui s'était fiancée l'année dernière. Et maintenant c'était moi, le petit dernier, qui venais de me fiancer voilà de cela un mois. Tout ceci alors que Rawdha ne cessait d'attendre son "Mektoub". Elle avait fini par ne plus y croire du tout. Elle était devenue rapidement irritable. Et c'était l'amertume de son échec dans la vie qui lui dictait maintenant son comportement.


Rawdha avait commencé à simuler ses malaises, à l'apparence de crises d'épilepsie, le jour où notre sœur Zohra, troisième enfant de la famille, avait décidé de faire fi de la coutume et de braver la volonté maternelle pour se marier avant sa sœur ainée, quelles qu'en pouvaient être les conséquences. A cette époque, l'artifice de la crise de Rawdha était trop visible. Faouzi, notre frère qui n'était pas encore marié et qui avait toujours une bouteille d'éther dans son placard, tentait de nous prouver, à chaque fois, que Rawdha nous mentait. Mais, au fil du temps, elle apprit à mieux soigner son jeu théâtral, arrivant parfois à nous obliger à la transporter d'urgence à l'hôpital. Là, on lui administrait n'importe quel calmant et elle était de retour à la maison comme si de rien n'était.
Que de fois Faouzi avait tenté de la convaincre que si elle continuait à simuler ce genre de crises, tout le monde cesserait de la croire et se désolidariserait d'elle. "Le jour où tu auras un véritable malaise, la menaça-t-il un jour, tu risques de n'avoir personne pour te porter secours".
Mais Rawdha avait l'art de s'enfoncer le doigt dans l'œil, oubliant tous les conseils et allant toujours à l'encontre du bon sens. Sentait-elle venir un moment de bonheur, au lieu de le partager avec tout le monde, elle le transformait en un moment de panique générale !

*****

"Elle doit donc m'en vouloir à moi aussi" en conclut Sinda qui regarda sa montre affirmant qu'elle ne pouvait plus attendre davantage. Le soleil allait se coucher et elle devait être rentrée avant la tombée de la nuit. Aussi me demanda-t-elle d'appeler maman au téléphone pour la hâter si elle voulait venir nous rejoindre à la Marina. Mais je compris, en regardant l'heure à mon tour, que c'était parfaitement inutile, que personne ne viendrait et qu'il fallait plutôt fêter ça sans eux.
Plate était notre fête. Nous avons commandé des boissons et des gâteaux, les avons consommés à la hâte, avons payé l'addition et sommes allés faire une promenade à pieds : un simple aller-retour sans âme sur la corniche. Finalement, je l'ai raccompagnée sur mon vélomoteur, chez ses parents. Elle était extrêmement déçue de l'ambiance familiale que je lui avais promise.


*****

A mon arrivée, le Rbat baignait déjà dans le noir. J'étais prêt à donner à ma grande sœur une leçon qu'elle n'oublierait jamais. Mais quand je m'approchai de notre impasse, d'habitude sans le moindre éclairage, je vis une faible lumière qui débordait sur notre grande rue. J'éteignis le moteur de mon vélo à l'entrée de l'impasse. Une ampoule liée à une rallonge pendait du toit et était accrochée à un clou, juste au dessus de la porte de notre maison.


Une vingtaine de chaises étaient disposées à même le mur, des deux côtés de la porte. Et tous les hommes du voisinage, ainsi que certains parents, que je n'avais pas vus depuis des années, y étaient assis. De notre vestibule venait la voix d'un lecteur psalmodiant le Coran.
Ma sœur Rawdha n'était plus !

Le Haikuteur - Monastir

Aucun commentaire: