jeudi 23 octobre 2008

La Boussole de Sidinna / 4 Les vents de Beb-Tounes

Mon année sur les ailes du récit (34/53) La Boussole de Sidinna (4/23) – 24 octobre 2008


Chemin premier



Mon étoile au nord


Orientation quatrième


Les vents de Beb-Tounes


" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur


Beb-Tounes est unique. Comme passage de courant d'air, cette porte de la Médina n'a pas son pareil. Bien connus, les vents de Beb-Tounes. Ils soufflent toujours à sens unique. Ils entrent, mais ne sortent jamais. A l'entrée, ils arrivent "Est-Barrani" passant par la porte en chicane coudée en se cassant à l'angle de l'enceinte de la voute, pour s'orienter, tout de suite, "sud-Bach" et descendre la rue parallèlement aux remparts de la ville. C'est à peine si les échos parviennent au bout de la rue du Beb. Et, quand bien même ils y parviendraient, ils s’essouffleraient déjà avant. Ecrasés contre la muraille muette, Ils seraient alors contraints de changer de direction et, à nouveau, ils dévieraient. Quant à nous : "chut… silence… ferme… colmate"… et "si ta porte t'amène du vent, alors condamne-la!" et "telle est la volonté de Dieu, encore qu'il ait été clément!"…


Chacune de nous vit la bourrasque comme des gaz intérieurs aigus. Après avoir inspiré les vents à plein poumons, on les sent brusquement s'enflammer en son sein. Qu'est ce qu'on aurait alors souhaité pouvoir les dégager, tel un écho fracassant "Sud-Ouest-Cherch destructeur de filets"! Mais que peut la muette chez qui ne transparait que l'effet d'une brise "Chlouq", facile à digérer ? Que peut la muette n'ayant d'autre choix que d'étouffer son cri en son sein ? Et quand bien même elle arriverait à le sortir, il serait à peine aussi audible qu'un soupir étouffé dont l'écho ne parviendrait jamais à remonter jusqu'à la porte.
Dans l'impasse Brikcha, se trouvent trois portes. Il y a la notre d'abord, à droite en entrant. Derrière elle, on trouve toujours quelqu'un qui répond, quoi qu'avec des gestes et des sons balbutiés. C'est que je suis toujours dans la chicane, ou à l'entrée de l'impasse. Je ne m'absente jamais de la Houma que pour affaire urgente et je rentre toujours vite. Il y a, ensuite, la maison des Zinouba, à gauche : une porte fermée depuis dix ans, des murs sur le point de s'écrouler et aucun locataire pour y habiter. Aucun des propriétaires ne daigne venir l'aérer ni n'accepte de la vendre. Et puis il y a, bien évidemment la maison des Brikcha. C'est celle d'en face, avec sa porte cochère incrustée dans une arcade haute et large permettant l'entrée d'une charrette tirée par son cheval, mais ça, c'était jadis. La porte mène à une chicane spacieuse et profonde qui, à l'époque de gloire, faisait officie de dépôt pour matériel de pêche et d'atelier de réparation de filets. La chicane donne sur un patio tellement spacieux qu'on y dresserait des chevaux, comme on dit.
Frappez à la porte des Brikcha et personne ne vous entendra. Rachida travaille à la cité Chraqa, de l'autre coté de la Médina. Elle ne rentre que pour une petite heure à midi. Son mari, Ayadi Touhami, s'en va dès l'aube à bord de sa camionnette, pour ne rentrer qu'à la tombée de la nuit. Quant à Lella, la pauvre Khadouja, son fauteuil roulant ne sert qu'à celui qui veut bien l'aider à se déplacer. Lorsque Rachida rentre à midi pour déjeuner avec sa mère, elle la trouve généralement au même endroit où elle l'a laissée à sa sortie, le matin. Sauf si Lella me demande de la déplacer. Car je suis la seule à pouvoir entrer chez les Brikcha en l'absence de Rachida. Je sais bien comment ouvrir la porte. Mais je ne le fais que pour aider Lella à faire ses besoins.
C'est pourquoi, quand le policier était venu et s'était approché de la porte pour frapper, je l'avais tenu par la main, j'avais pris place derrière lui sur sa moto et je lui avais indiqué par des gestes la direction de la cité Chraqa. Arrivés à la boutique, je l'avais encore pris par la main et mené tout droit à Rachida. Et les vents de se déclencher aussitôt. Les enfants de Beb-Tounes forment des cercles pour danser et chanter aux vents :
" Jeudi à ma porte, frappe un policier.
Sabria ferme la porte, il vient l'emporter."


Quand soufflent les vents dans Beb Tounes, la mutité devient chez nous, généralement, une saine qualité qui n'est plus le monopole des muets comme nous. Mais il arrive parfois que les tempêtes soufflent trop violemment. Elles foncent alors dans la chicane coudée de la porte, se cassant si violemment à l'angle de l'enceinte voutée, qu'elles entrent dans la Houma en tourbillonnant, agitant des poussières et des sciures de mots, qui se répandent dans des cercles surexcités où dansent les "diablotins de Sidna Skander". Déchainés, ceux-ci se mettent à dévoiler les secrets et à répandre les mots sous forme de bribes de récits décousus.
Ainsi a-t-on dit qu'on aurait écrit sur lui dans les journaux sans le nommer. Aussi, croit-on savoir que, sentant que la plage était encerclée, il aurait laissé tous ses protégés à leur sort et se serait jeté dans son zodiaque pneumatique, se dirigeant droit vers Lampedusa au pays des italiens. On dit aussi que les agents de la sécurité, qui s'étaient préparés à toute éventualité, l'auraient filé à bord de leurs vedettes garde-côtes et l'auraient, enfin, encerclé et arrêté, comme on fait dans les films policiers. Ses victimes, on rapporte qu'ils seraient une trentaine que la police aurait déterrée comme des souris. Ils auraient avoué qu'ils avaient tous eu l'intention de se faire une "Harga"(traversée clandestine) et qu'ils auraient avancé aux passeurs des milliers de dinars. L'un des membres de la bande, chargée de les passer, ne serait autre que lui, dit-on encore. La dernière blague qu'on raconte à Beb-Tounes, dit que lorsqu'il avait réalisé qu'il était lui-même encerclé par les gardes-côtes et qu'il n'avait plus aucune issue pour s'enfuir, il aurait commencé à leur chanter "El Ward Gamil" (belles sont les roses) et "Ya Gamret Ellil" (Lune de la nuit, éclaire-moi!), cherchant à se faire passer pour un fou et niant que le zodiaque lui appartenait.
Et nos chicanes de se remplir de petits potins chuchotés, venant de sources à l'identité parfaitement inconnue et aux intentions tout à fait obscures. Ces informations qu'aucun connaisseur n'organise ni n'en fixe la forme et dont aucun superviseur ne veille à en dévoiler les origines ni à en vérifier l'authenticité, affirment qu'il s'agirait d'un homme d'une grande intelligence qui, ne trouvant pas comment mettre son génie au service du bien pour tous les siens, se serait éclipsé pour se consacrer à l'invention de ruses inédites dont l'objectif est de semer les graines du mal partout où il passe. Ainsi, ses crimes seraient trop nombreux pour être comptés et trop variés pour couvrir un seul domaine.
Aussi, la bande volant le linge qui sèche sur les cordes, celle subtilisant les bonbons et les petites pièces de monnaie des mains des enfants, c'est lui. La bande des imposteurs promettant aux jeunes, qui rêvent de "brûler", de les faire traverser les frontières, celle qui leur soutire de l'argent sans jamais tenir ses promesses, c'est sans doute lui. La bande des voleurs de voitures, celle qui leur fait passer les frontières, celle qui les démonte pour les vendre en pièces détachées, c'est aussi lui. L'imposteur qui se déguise en agent de police, celui qui piège les citoyens innocents, c'est certainement lui. La fillette de douze ans qui fut violée et tuée par asphyxie, la tête dans un sachet en plastique, celle dont on cherche encore l'assassin, c'est encore lui. Et le cadavre de la femme trouvée sur la voie publique, celui au visage défiguré et au crâne écrasé, c'est naturellement lui. Aussi, la contrebande de marchandises trafiquée, le kidnapping d'enfants et la demande de rançons, le vol de motos, l'entretien de nids de débauche dans les cités populaires, le vol de fils électriques en cuivre qui devient la mode du siècle… c'est sans doute lui qui est derrière tout cela!
Ils sont, quand même, bizarres ces vents de Beb-Tounes qui soufflent pour vous mener, à leur guise, dans toutes les directions. N'aviez-vous pas tant loué la droiture, la morale et l'éducation de Mohamed Lamjed Brikcha ? N'aviez-vous pas estimé en lui son refus de bénéficier d'un quelconque avantage qu'il n'aurait pas mérité de plein droit ?
Est-ce possible que ce jeune homme se transforme, du jour au lendemain, en symbole de toutes les déviations causées par la pauvreté, le refoulement et le chômage?
Est-ce logique que vous en fassiez le support sur lequel vous accrochez tous les crimes qui ont été commis dans la ville depuis qu'il est parti et dont la police n'arrive pas, jusqu'à ce jour, à en démasquer les auteurs ?


… Des questions se répandent dans le Rbat. Elles se bousculent. Elles traversent les ruelles, se promènent dans les quartiers puis reviennent à Beb-Tounes. Et les petits boutons de prendre la taille de dômes, ne cessant de grandir. Les questions de se transformer en réponses toutes faites. Elles débordent des portes de la Médina. Et tous les secrets s'étalent en dehors des remparts. Le tout pour concourir à ta honte ô Lella Khaddouja, femme de Brikcha, sœur du silence. Tout le monde tend l'oreille pour ensuite parler, additionnant par ci, retranchant, par là. Sauf toi et moi, nous écoutons pour ensuite étouffer sous les pensées et les appréhensions qui s'agitent dans nos têtes.

*****

La tempête s'installe dans l'impasse Brikcha. Son tourbillon niche immédiatement dans mon cerveau. Et, de jour comme de nuit, je n'arrête plus de penser.
J'étais la première à avoir appris l'arrestation de Mohamed Lamjed Brikcha. Depuis que la police nous en a informées, la porte de leur maison est restée ouverte matin et soir. Et les visiteurs n'ont plus cessé leurs allées et venues. Quant à moi, il était naturel que je me trouve, depuis ce jour, en permanence auprès de Lella, ouvrant la porte aux visiteurs et poussant le fauteuil roulant, dans un va et vient incessant, entre sa chambre et la chicane.
Je me tiens à ses côtés et j'entends. Elle aussi entend et ne répond à personne, même pas par un geste ou par un signe des yeux. Le visiteur parti, je ramène Lella à sa chambre. D'un mouvement des yeux, elle me demande de l'aider à descendre de son fauteuil et à s'allonger sur le matelas, à même le sol. Et c'est seulement alors qu'enfonçant la tête sous l'oreiller, elle se met à pleurer sans s'arrêter. Et moi, assise sur le pas de la porte, je lui tourne le dos et fais semblant de ne rien entendre de ses sanglots.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha ont soufflé sur Beb-Tounes avec une violence qui n'a d'égale que celle de la tempête déclenchée suite à la mort de Raies Nasser Jaïed. Des mots nés sous forme de gaz intérieurs se sont répandus, monopolisant l'intérêt de la ville tout entière ; exactement comme ce fut le cas il y a des années, lorsque le médecin avait ordonné l'autopsie du cadavre de Sidinna. Deux rumeurs avaient alors fait le tour de la ville. La première prétendait qu'il s'était suicidé et la seconde insinuait qu'un rival qui lui disputait l'amour d'une femme mariée lui aurait versé dans son vin une substance obscure donnant une mort lente. Mais çà c'est une autre histoire.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha soufflent sur Beb-Tounes. Dans toute la ville, du Rbat à Houmet-Chraqa, des Swanis à Qarraïa et à Stah-Jabeur, de Skanès à El Aqba et aux confins de Khnis, la résurrection du fils des Brikcha occupe toutes les discussions. Toute la ville avait cru avoir définitivement tourné la page de Mohamed Lamjed en en faisant le deuil. C'est que nous avions tous pleuré sa beauté, sa jeunesse et son érudition. Nous avions pensé avoir ainsi payé le tribut de notre incapacité à l'arracher au chômage, à la pauvreté et à la déviation du droit chemin ; le tribut de notre échec à le prémunir de l'influence de Satan, incitateur de la jeunesse à prendre le large à bord des bateaux de la "Harga". Et, comme on nous avait assuré que Mohamed Lamjed avait rejoint son père, Raïes Habib Brikcha, au fond des vagues, la ville lui avait imaginé une tombe, l'y avait virtuellement inhumé et tout le monde avait retrouvé le repos. Les habitants avaient repris leur traintrain quotidien, en parfait accord sur tout, s'abandonnant à la vie en toute confiance. Des Mohamed Lamjed Brikcha, les croiseraient-ils par dizaines, ils ne les reconnaîtraient pas. Et quand bien même ils les reconnaitraient, ils traverseraient pour poursuivre leur chemin sur l'autre trottoir et rentrer chez eux, certains que "les vents soufflent dehors et très loin" et que la contagion ne touche que les autres.
Mais voici que l'homme revient soudain à la vie. Les habitants ne sont plus d'accord à son propos. Une partie se réfugie dans le silence, se contentant de dire "Dieu soit loué, il réinsuffle la vie aux os vermoulus!". Et l'autre partie ne dort plus de la nuit, tellement la surprise est terrifiante. Certains prétendent que le retour de Mohamed Lamjed Brikcha va aboutir, enfin, à la solution de tous les problèmes en instance. D'autres rétorquent que c'est Mohamed Lamjed Brikcha qui constitue, lui-même, le fond du problème et que mieux aurait valu qu'il soit resté au fond des vagues ; tout serait alors resté couvert par la protection divine.
Dieu soit loué ! Il rouvre la vieille plaie qui s'était refermée sur son infection. Le bistouri fend l'abcès devenu volumineux. Le pus en sort et la chair vivante s'ouvre aux vents. Peu importe si leurs souffles vont l'assainir ou y injecter de nouveaux microbes qui nourriront davantage l'infection. Louanges à Dieu, Seigneur des chômeurs, des tourmentés, des mécontents, des apeurés, des attentistes, des indifférents et des autres… Il délie les langues. Des mots jaillissent, sortent des impasses et des rues, coulent à flots vers Beb-Tounes et renvoient les échos des vents anciens vers l'extérieur des remparts. Dieu soit loué, il réinsuffle la vie aux os vermoulus et redirige vers la maison des Brikcha les caravanes de visiteurs. On ne sait plus alors si celui qui arrive vient féliciter ou s'associer à la peine, s'il vient compatir ou se délecter de nos malheurs, s'il vient faire des reproches ou présenter des excuses.
Les vents de la mort et de la résurrection de Mohamed Lamjed Brikcha soufflent sur Beb-Tounes. La ville perd patience. Chacun se lance de son côté dans une course contre la montre pour réorganiser le récit dans sa tête avant que les tribunaux n'émettent leurs verdicts tranchants. Des informations rares mais claires circulent discrètement par ici. D'autres informations plutôt ambiguës abondent de partout, au grand jour. Les habitants s'y livrent à qui mieux-mieux. Chacun puise dans tous les canaux. Des journaux se déplacent d'une table à une autre dans les cafés. Des propos s'échangent de bouche à oreille. Des SMS se déplacent entre téléphones portables et des emails sont échangés entre ordinateurs à travers la toile. Tout le monde lit, analyse, prédit et fait des liens entre les événements d'aujourd'hui et ceux d'hier pour en déduire ce qui va en résulter demain.


Les proches s'amènent sur la pointe des pieds à Beb-Tounes : qui pour se décharger d'un devoir ennuyeux, qui pour voir de visu ce qu'il n'a pu croire en l'apprenant par ouïe dire et qui pour jeter son hameçon. Sait-on jamais ce qu'on peut attraper! Telle, par exemple, Radhia Bent Kahla, qui vient rendre visite à sa meilleure amie pour la première fois, depuis qu'elle l'avait choquée en lui annonçant la grossesse d'Aïchoucha, prétendument enceinte de Mohamed Lamjed :
- "Je le jure au nom de Dieu, Khadouja, que je n'avais jamais cru que cela nous arriverait à toi et à moi. Tu es ma sœur et plus que ça. Dieu sait à quel point j'ai le cœur brisé pour toi. Mon malheur et le tien ne font qu'un. Il aurait été plus logique que chacune de nous soutienne sa sœur et non qu'on approfondisse la plaie par la rupture. Louanges à Dieu qui nous a conduites, enfin, vers la lumière. De toute façon, la prison vaut mieux que la mort et "tant qu'il y a vie il y a retour"… J'ai entendu dire que le problème avait rapport avec le CAPES. Pourquoi ne me l'as-tu pas dit dès le début, Khadouja, avant que ton fils ne pense à la "Harga" ? Si Néji a des connaissances. Tous ces gens là ont des chantiers, Khadouja. Ils ont besoin de lui pour acheter des matériaux de construction à crédit. Si tu avais parlé dès le début, le problème aurait été résolu avant que la catastrophe ne s'abatte sur nous…"
Ameur "El Bintou" vient, lui aussi, rendre visite à sa tante, pour la première fois depuis qu'elle est en fauteuil roulant :
- "Je le jure "sur mes biceps", ma tante, que je n'étais pas au courant de ta maladie. On a dit que Mohamed Lamjed avait été retrouvé. Alors je suis venu t'en féliciter et te dire "Mabrouk". Je le jure "sur l'âme de Qmira", ma tante, que je ne croyais pas te trouver assise ainsi dans un fauteuil roulant. Je vais trouver un accord avec Rachida et je t'emmènerai voir le meilleur des médecins. Tu es une femme bien, ma tante, alors tu vas guérir.
Et ce "CAPES", ma tante, je le jure "sur mes biceps", que je ne croyais pas que ça se vendait et s'achetait. Autrement, Majda est mon frère et j'aurais payé de un à dix millions pour le lui acheter…
Quant à la Sénya de Sawana que j'ai gagnée par le biais du tribunal, n'en ayez aucun souci, ma tante, je le jure "sur mes biceps" et "sur l'âme de Qmira" que, mon frère Majda étant revenu à la vie, la Sénya lui reviendra de bon cœur. Si c'est sa volonté bien sûr! Je sui prêt à la lui concéder. Je récupère seulement ce que j'ai dépensé pour l'acquérir, sans gagner le moindre dinar. Qu'il l'achète au prix coûtant et je la lui vendrai sur le champ.
Et voici même deux jeunes que je n'avais jamais rencontrés auparavant, ni vus à Beb-Tounes. Ils affirment être des camarades de Mohamed Lamjed au club de cinéma. Mais ils paraissent plutôt insolents. Ce matin, Ils s'amènent chez Lella, mais bien comme les autres, pour jeter un hameçon :
- Dieu vous rend la santé, Lella Khadouja. Mohamed Lamjed est notre ami. Nous savons qu'il est innocent de tout ce dont l'accusent les rumeurs. Le problème n'est pas dans la "Hargua" mais dans le CAPES. Voici le sujet principal. Tout le reste, Lella Khadouja, n'est que radotage de salons et questions marginales. Mohamed Lamjed, lui-même, pensait proposer un scénario de film documentaire sur ce sujet.
Pour la première fois, les Journées Cinématographiques de Carthage se tiennent, sans qu'il ne soit avec nous du voyage à la capitale. Tous les cinéastes amateurs qui se préparaient au voyage, n'avaient d'autre sujet de discussion que l'absence, à cette session, de Mohamed Lamjed Brikcha. Alors nous avons décidé de lui rendre hommage en réalisant le film dont il rêvait. Nous inscrirons dans le générique : "Ce film est dédié à Mohamed Lamjed Brikcha qui avait rêvé de le tourner avec nous".
Tous les amateurs vont nous poser des questions sur Mohamed Lamjed. Et bien nous voulons leur annoncer notre projet de film au cours du festival. Nous avons donc décidé de ne pas partir avant d'avoir obtenu votre autorisation. Et nous voici chez vous, Lella Khadouja. Votre présence en fauteuil roulant dans quelques séquences de notre film, donnera à notre travail plus de force et de crédibilité. Vous allez être très émouvante, en n'arrivant pas à parler pour répondre à nos questions... Il y aura…


… Lella se tient là immobile dans son fauteuil roulant. Tel un bloc de marbre, elle n'a aucune expression sur le visage. Et moi, je me tiens ici dans la chicane. Ouvrant grande la porte de la maison, je leurs fais signe de sortir, mais ils ne me comprennent pas. Je sens que je vais exploser, mais aucune voix ne sort de ma gorge.
Que vous reste-t-il encore à nous faire endurer, ô vents de Beb-Tounes ? Nous étions des gens qui vivons incognitos, dans notre impasse. Notre silence nous aidait à bien cacher nos tares. Et voici que les calamités nous coupent les langues, que les journaux nous dénudent et que les rumeurs finissent par lacérer notre chair. Il ne reste plus que le cinéma pour nous filmer et exposer notre drame à la vue de tous les humains. Soyez maudis, ô vents de Beb-Tounes !


Le Haïkuteur …/… à suivre

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