jeudi 30 octobre 2008

La Boussole de Sidinna / 5 Une vis d'outre horizon

Mon année sur les ailes du récit (35/53) La Boussole de Sidinna (5/23) – 31 octobre 2008


Chemin premier
Mon étoile au nord

Orientation cinquième
Une vis d'outre horizon

" Le rapport de ceci avec le réel est pure imagination" – Le Haïkuteur



N'aie pas peur Khaddouja, je sais encore rêver !

N'aie pas peur! Même si les vents éparpillaient toutes les images et qu'ils noyaient toutes les visions dans les eaux profondes de la mer, je saurais encore rêver. Je sais encore rêver, petite maman. Des rêves, j'en ai des fleuves, j'en ai autant que les vagues dans leurs flux et leurs reflux. Un rêve se briserait-il sur la plage de la réalité que, de ses écumes, naîtrait un nouveau songe.


Pardonne-moi "Di Jay", écoute-moi et réfléchis. Ne te laisse pas tromper par les opinions des autres!

Pardonne-moi, "Di Jay", et crois-moi, exécuter la recommandation de Sidinna est le seul but de ce voyage. Je ne vise rien d'autre. On t'a menti en te disant que je partais, poussé par mon nouvel échec aux examens du CAPES. Laisse-les extrapoler, Khaddouja! Laisse-les tirer les conclusions qu'ils veulent. Je connais ma juste valeur, moi, et je sais ce que cherchent ces semeurs de doute.

Pardonne-moi, "Di Jay", et crois-moi. Je pars en direction du nord, pour un village que je ne connais pas. Sidinna m'en a donné le nom. Je crois que c'est Tazomrane ou Tamozrane. De toute façon, je trouverai le chemin qui m'y mènera. J'y chercherai, ainsi que dans les villages alentours, le propriétaire de la boussole. Je le trouverai et la lui remettrai. Et puis je reviendrai aussitôt auprès de toi. Voilà tout!

On t'a menti en te disant que mon rêve d'horizon dévoilait ma volonté de "brûler". Pourquoi "brûlerais-je" alors que le plus beau pays est le mien, que la plus belle Houma est le Rbat, que la plus belle porte est Beb-Tounes et que la plus belle impasse est l'impasse Brikcha ? Pourquoi "brûlerais-je", "Di Jay", alors que la plus belle des mamans c'est toi, ô Khaddouja Jaïed, ô femme de Raës Brikcha?

Allez, souris et pardonne-moi. Ce qui est passé n'est plus. Dieu te compensera tes pertes. Tout ce qui se dit est emporté par les vents vers le néant. Seuls restent les rêves. Et les plus durables d'entre eux, petite maman, ce sont les rêves d'horizon.


Que c'est-il passé, "Di Jay" ? Faut-il qu'à chaque fois que je rêve et que je commence à te raconter ma vision, quelqu'un vienne, de l'extérieur de mon imagination, mettre la main sur le fil de l'histoire, le tirer à lui, m'imposer le silence et se faire mon porte parole ? A chaque fois qu'ils se mêlent de notre discussion, qu'ils s'emparent de mes rêves et qu'ils vont loin dans leurs extrapolations, faut-il que tu te détourne de mes propos et que tu te mettes à écouter ce qu'ils disent ? Connaissent-ils mieux que moi les détails, les objectifs et la juste signification de mes rêves? Ou bien serait-ce que tu sois encore en colère contre moi, en raison de ma révolte, le jour où tu n'avais pas cru que j'avais raté mon concours, à nouveau ?

… Je me tenais comme sur des braises, en attendant qu'ils annoncent les résultats. Dans la tranquillité de Khaddouja Jaïed, ce soir là, il y avait quelque chose d'étrange, de douteux même! Et quand, le lendemain, la décision de me recaler à nouveau a été annoncée, je vis maman s'écrouler ne croyant pas du tout que c'étaient bien les résultats définitifs. Alors je suis devenu fou! Il était clair qu'elle avait été roulée et qu'elle était tombée dans le piège comme l'étaient avant elle plusieurs mamans. Et elle n'avait plus qu'à avouer.

Comment ne me révolterais-je pas, petite maman, alors que tu avais hypothéqué tous tes bijoux pour donner l'argent à une étrangère? Comment ne me révolterais-je pas, alors que je t'avais averti, depuis la première année, que je refuserais d'aller travailler si une intervention de quiconque était derrière mon recrutement? Est-ce logique de refuser le favoritisme d'un côté pour accepter, de l'autre, que tu sacrifies tes bijoux pour payer le prix de mon recrutement ? Cela s'appelle corruption, "Di Jay", corruption, tu entends ! Aurais-tu vraiment accepté que moi, Mohamed Lamjed Brikcha, je devienne professeur moyennant des pots de vin ? Comment ne me révolterais-je pas, alors ? Et puis où est-elle maintenant, cette bienfaitrice ; que tu puisses au moins récupérer ton argent ? Où est-elle, maintenant qu'il s'est avéré qu'elle ne travaillait pas à la direction de l'enseignement et que personne n'a sur elle la moindre information?

… J'étais cruel avec Khaddouja Jaïed. Je n'avais jamais été aussi sévère auparavant. Je n'avais même jamais élevé la voix en sa présence. Mais là, je criais et je cognais ma tête contre la colonne de la chicane jusqu'à en faire couler le sang.

La blessure de mon orgueil était encore plus profonde, "Di Jay". Pardonne-moi ma révolte. Et que Dieu te compense ce que tu as perdu. Si tu le veux, petite maman, "Fais-moi des reproches, gifle-moi", comme dirait le chanteur! Allez, c'est vrai, gifle-moi et pardonne. Je n'ai d'autre richesse que la bénédiction de mes parents, moi. Alors ne te fâche pas contre moi et ne me prive pas de ton sourire. Et puis ne refuse pas d'écouter mes rêves. Qui m'écouterait alors, petite maman si, toi, tu te détournais de moi?

Laisse-les tomber, "Di Jay", et écoute-moi ; puis interprète le rêve comme te le dictent tes sentiments. Et, si d'autres voix se levaient au dessus de la mienne, alors pince-moi! Que je me réveille du cauchemar de ma réalité, que je reprenne mon beau songe et que je récupère le fil de l'histoire, afin de te raconter ma vision. Et, lorsque je me tais, "Di Jay", ne crois pas que je suis atteint de mutité, comme "BBé" (1) Sabrya Bent El Melsen.

Tiens, à propos de "BBé" Sabrya, sais-tu, "Di Jay", que son silence n'est pas mutité et qu'elle n'est pas incapable de parler, comme vous le croyiez ? Crois-moi, Khaddouja, elle a parlé! Sabrya, La fille de ta voisine, a parlé. J'ai entendu sa voix dans mon rêve. Elle avait une voix suave et la langue encore plus déliée que celles des parleurs. C'était le plus beau rêve de ma vie, "Di Jay"! Ne t'ai-je pas dit que mon espoir le plus ardent, depuis que j'ai commencé à comprendre, était de voir "BBé" Sabrya El Melsen parler et nous éclairer sur ce que nous voyons bouillonner en elle, sans jamais rien en capter ?...

*****

Que dois-je dévoiler à Khaddoujà Jaïed de mon rêve de "BBé" Sabrya, et que dois-je lui en taire ? Je sais que certains détails de mes rêves l'indisposeraient. Mais comment lui cacher un événement pareil?

… Sur le bord de la muraille, je marche comme sur le droit chemin divin de l'au-delà. Partant de l'angle du mur du silence, mon objectif est d'atteindre le toit de la chicane de Beb-Tounes. L'horizon se voit au loin, toujours noir, au-delà d'une mer dont la mémoire arrive à restituer l'image sans que l'œil n'arrive à en distinguer l'eau du ciel… Je marche en direction de l'étoile du nord, la lune à moitié éclipsée… Pris de peur, j'avance difficilement, mettant un pied devant l'autre, ouvrant mes ailes au vent et suivant un chemin médian. Ainsi, arriverais-je à garder mon équilibre et à éviter de tomber : à droite, m'avaleraient les ténèbres des ravins et, à gauche, se briseraient mes os sur les galets du trottoir des remparts.

Je me retourne, soudain, pour regarder les toits. Notre maison et celle des El Melsen sont jumelles. Aucune limite ne les sépare. Un vaste espace d'où jaillissent des lumières blanches immaculées et dont les contours baignent dans le noir. Un espace duquel s'évapore l'odeur de la chaux encore humide et des encens. La vapeur monte transparente et vibrante s'élevant vers la voute du ciel avec ses réverbères éparpillés tels des grains de diamant.

Près du débarras sur notre toit, un corps chétif enveloppé dans un drap blanc et s'orientant vers la "Qibla", lève les bras au ciel lançant des supplications qui rappellent les psalmodies de Grand-mère, Doraïa Jaïda, dans des cercles de "Dhikr" jaillissant d'un temps plus lointain que l'horizon de ma tendre enfance.
J'ai avec mes rêves une relation de flux et de reflux, dont la plage est la nuit de mon sommeil et l'horizon le jour de ma naissance. Aussi n'est-il pas étrange que je me voie adolescent, enfant ou même bébé dans les bras de Khaddouja Jaïed et que je croie toujours ce que montre mon rêve. Ce qui me manque, c'est seulement cette force de flux qui me projetterait au delà de ma nuit de sommeil, afin de voir ce que me réserverait l'avenir.

… Soudain, je me vois enfant, sautant du haut des remparts de la ville vers le toit de notre maison. La voix de Khaddouja Jaïed criant de douleur, me rattrape par derrière tentant de m'arracher à une mort certaine. Et moi je cours sans faire du danger le moindre cas. Fuyant la colère de maman, je tente de me jeter sur le dos de Grand-mère, espérant qu'elle interrompe ses prières et me balance de son dos dans ses bras, comme elle l'avait toujours fait pour me cacher. Mais le corps chétif se tourne soudain vers moi. Et les cris de Khaddouja de grincer dans mes oreilles comme des bruits de freins de voitures, juste avant une collision. Mon élan se brise. Je m'arrête, figé devant la scène, réalisant que j'ai grandi en un clin d'œil. Et l'odeur de la chaux humide et des encens de remplir à nouveaux mes narines.

… la voix qui psalmodiait n'était pas celle de ma grand-mère, Doraïa Jaïda, mais celle de "BBé" Sabrya El Melsen, notre voisine. Eh oui ! C'était elle, avec ses cheveux argent bouclés, son visage brun allongé, son nez droit, saillant, aiguisé telle une lame de couteau et ses rides profondes aux coins des yeux. Lorsqu'elle me voit stupéfait et terrifié, "BBé" Sabrya me sourit sans cesser de remuer ses lèvres récitant les conclusions de la "Fatiha". Son recueillement m'envahit, moi aussi, mais sans rien enlever à mon étonnement : "Gloire et Pureté à ton Dieu, Dieu de la grandeur échappant à leur description."
- Mais tu parles "BBé", toi la muette !

"BBé" Sabrya hausse le ton tout en continuant :

- "et paix… ".

Je saisis le signal, demande pardon à Dieu et tends les mains pour prier avec elle. Ainsi nous finissons la "Fatiha" ensemble : "… sur les envoyés de Dieu Et louange à Allah, Seigneur de l'univers".


… Je ne me suis pas rendu compte, alors que je passais les mains sur le visage et la poitrine, comment la scène nous a transporté depuis les toits de la ville jusqu'au cimetière. Je me trouve, donc, debout derrière "BBé" Sabrya qui est maintenant allongée sur la tombe de Sidinna. Elle enlace tendrement le marbre, se couvrant la tête avec le drap blanc, sans réussir à étouffer des sanglots amers, dont les échos se faufilent entre les tombeaux.

Je relève la tête vers le mausolée de Sidi Mezri. L'aube se dévoile à mes yeux, rampant de la mer vers le minaret du Ribat. Je demeure ainsi immobile attendant que le jour répande sa lumière et que cessent, enfin, les sanglots de "BBé"Sabrya. C'est alors que je lui pose la question, juste pour vérifier, encore une fois, si elle était réellement en mesure de parler: "l'aimerais-tu encore, "BBé" ?" Et elle me répond en toute clarté :

- Seul Dieu en a connaissance, Mejda. Ma douleur est aussi vive que s'il était mort hier. La vie est ainsi. Je l'aime comme je l'ai aimé depuis l'éternité. Mais lui, il aimait Radhia Bent Kahla. Celle-ci aimait l'argent de Néji Laajel. Lequel n'aime que le reflet de son visage dans le miroir. Tout ceci alors que les mots s'envolent, emportés par les vents de Beb-Tounes, là où personne ne peut dormir tranquille.

J'ai failli sauter sur l'occasion pour lui demander si Aïchoucha Bent Laajel était en réalité une fille conçue par Sidinna, comme le chuchotaient certains vents de Beb-Tounes. Mais j'ai eu honte de moi-même et j'ai réussi à étouffer ma question en baissant la tête. En quoi cela m'intéresserait-il de connaître l'origine du sperme qui a permis la conception de Aïchoucha ? L'essentiel est qu'elle ait été créée pour m'aimer, moi, que son cœur batte pour moi, et que mon cœur à moi ne batte que pour elle. Mais comment dire tout cela à Khaddouja, lorsque je serai réveillé et que je lui raconterai mon rêve?

… Lorsque "BBé" Sabrya se rend compte que je suis allé loin dans mes méditations, elle me sourit et me tire par la main. Et nous voilà à nouveau sur les toits, la porte du débarras ouverte, comme je l'avais laissée, la veille, avant de descendre regagner ma chambre et dormir.

Des mois se sont écoulés, durant lesquels j'ai pris l'habitude de revisiter, d'un moment à l'autre, le débarras sur les toits pour chercher la boussole de Sidinna dans les sacs, dans les caisses en bois et les boites en carton ainsi que dans les amas. Mais en vain ! Chaque nuit, je rêve en attendant que Sidinna vienne dans ma chambre m'entrainer sur les toits et me montrer l'endroit exact où je peux trouver la boussole. Mais je ne l'ai pas vu depuis le rêve de la grande Meïda.

J'ai failli me résigner à croire que sa recommandation était pure hallucination de sommeil et rien de plus, comme l'avait affirmé Khaddouja. Quant à ma mère, à chaque fois que je lui demande de chercher avec moi, elle trouve une excuse valable et refuse de grimper sur les échelles pour monter sur les toits. Toute sa peur est en fait que j'arrive à trouver la boussole pour partir aussitôt. Comment alors m'attendre à ce que Khaddouja cherche avec moi, elle qui ne voit en la boussole qu'un instrument de navigation ? Comment m'attendre à ce qu'elle m'aide à partir en voyage, elle pour qui, depuis que les autres lui ont interprété mes rêves, tout voyage est devenu synonyme de "Harga" ?

… Debout sur le toit, le soleil venant de se coucher et la lune de se lever, je regarde ces tas de choses inutiles. "BBé" Sabrya me tient la main et, comme si elle lisait dans mes pensées, elle me répond instantanément :

- Si le sentiment maternel empêche Khadouja de comprendre ton rêve, je suis là pour le comprendre. S'il l'empêche de t'aider à partir vers ton objectif, je suis là pour t'y aider autant que possible. S'il l'empêche de croire à la recommandation de Sidinna, je suis là pour y croire. Je sais que tu ne trouvais pas la boussole qu'il t'a chargé de rechercher. J'y ai longuement pensé : si ton songe est vision, "NNa" ne te demande jamais quelque chose d'impossible à réaliser. Hier, j'ai eu une idée. Je suis montée sur les toits, le soir, pour en vérifier la pertinence. C'est que je me suis posée la question : et si, pour voir la boussole, il nous faut la chercher plutôt dans le noir ? Effectivement, je l'ai vue entre les amas et les boite sans avoir à la chercher. Elle scintillait d'un éclat unique sous la lune. Je l'ai enveloppée dans une vielle serviette, cachée dans une caisse et suis redescendue faire mes ablutions avant de remonter faire des prières là où j'ai trouvé la boussole, afin de remercier Dieu pour toi.

… Un sentiment de forte joie s'empare de tout mon être, au point que les larmes me montent aux yeux malgré moi. Je saute dans les bras de "BBé" Sabrya reconnaissant. Elle me serre contre elle et je retrouve dans ses bras cette tendresse que j'ai toujours reçue de Khadouja Jaïed. Encore une fois, l'image de ma mère me traverse l'esprit. Et, encore une fois, une question insistante me prévient que mon rêve tire vers sa fin : Comment pourrais-je raconter à maman dans le détail les propos de "BBé" Sabriya ? Ou bien aurais-je le droit maintenant de prendre la boussole de Sidinna et de partir à son insu ?

… "BBé" Sabrya semble avoir pénétré dans mon for intérieur et entendu les échos de ma question. En me tendant, enveloppée dans un une vieille serviette, une pièce en cuivre qu'elle vient juste de prendre dans une caisse en bois, elle me répond:

- "Tu laisse plutôt un message chez Rachida et tu t'en vas avant l'aube. Tu laisseras la réconciliation avec Khaddouja à quand tu seras rentré.

Je défais la serviette et en sors la boussole. Elle brille autant que si elle avait été fabriquée le jour même. Ni l'humidité ni le temps n'ont atteint son métal ni déteint sa couleur. Mais dès que je l'ouvre, pour regarder comment elle était de l'intérieur, son couvercle circulaire tombe sur le toit et roule en direction des remparts de la ville, provoquant un tintement semblable à celui d'une sonnerie. Le corps de la boussole resté dans ma main, j'y observe, sous le verre, une aiguille en argent qui scintille en vibrant et pointe en direction de la chicane de Beb-Tounes. Je relève la tête et vois "BBé" Sabrya courir derrière le couvercle pour le ramener. Soudain, Sidinna arrive en sa direction, venant du toit de la Porte en chicane. Et tous les deux de s'enlacer longuement devant mes yeux ébahis.

… Sidinna lui parle en chuchotant. Mais tout ce qu'il lui dit m'est parfaitement audible. Il l'informe que sa "Fatiha" était bien reçue et la remercie pour le soutien qu'elle m'apporte. Il lui dit que le roulement du cuivre sur le toit avait attiré son attention sur le couvercle détaché et lui avait rappelé qu'il conservait, chez lui dans l'au-delà, une micro-vis en or avec son écrou en argent, en attendant que, moi, je trouve la boussole. Et il lui remet un objet tout fin qu'il tenait entre le pouce et l'index et duquel jaillissait une éclatante lumière. Il le lui met dans la paume de la main. Elle referme, alors, ses doigts. Et Sidinna de repartir vite d'où il était venu, sans même m'adresser un regard furtif.

Comment Sidinna entre-t-il dans mon rêve et en sort-il sans m'adresser la parole ? Serait-il en colère contre moi, lui aussi ? Un fort stress m'écrase la poitrine. La terreur manque d'extraire mon cœur de sa place et je sens au pied comme l'effet d'une piqure de scorpion. Je me mets, alors, à crier : Sidinnaaaaaaaa !

*****

Mes beaux rêves se terminent, généralement, sous une forme cauchemardesque. Leur cours est rompu net, là où je ne veux pas qu'ils s'arrêtent. Et cela m'arrive généralement en raison d'effets externes. Ce qui m'a, en effet, poussé à crier, c'était que Rachida m'avait retiré violemment la couverture, me pinçant le pied pour m'obliger à me réveiller. Ma sœur était chargée de nettoyer ma chambre et il se faisait vraiment tard pour elle.

Je demande des nouvelles de maman que je trouve sortie pour quelques affaires dans la Houma. Je pense alors en profiter pour évoquer avec Rachida, en tête à tête, la question de la préparation de mon voyage. Mais qui me dit que je vais vraiment trouver la boussole là où je viens de la voir dans mon rêve ? Je cours. Je monte les échelles et, une fois sur le toit, je fonce vers la caisse en bois que je viens de voir dans le rêve. La boussole y est, au même endroit d'où "BBé" Sabrya l'avait retirée. Elle est même enveloppée dans la même vieille serviette que j'ai vue dans le rêve… Je défais alors la serviette et trouve la boussole toute propre, mais sans son couvercle. Le rêve était donc bien une vision!

Je reviens en courant vers Rachida, lui annonçant que j'avais enfin trouvé la boussole. Elle était occupée à dépoussiérer les draps. Je lui demande de laisser ce qu'elle avait entre les mains, car le temps presse et j'ai à lui dire avant le retour de Khadouja. Mais c'est elle qui entame la conversation. Elle voulait, elle aussi saisir cette occasion pour discuter avec moi d'un sujet dont elle ne voulait pas informer Khaddouja avant d'avoir mon opinion. C'est qu'on l'a informée qu'Ameur El Bintou venait de gagner le procès de Sanyet Sawana et qu'il nous faudrait faire appel avant la fin des délais légaux.

Ma réponse ne nécessitait pas beaucoup de réflexion. Rachida connaissait déjà mon point de vue sur la question. Mais ce qu'elle voulait c'était insister, à la manière de Khadouja, pour me faire changer d'avis. Alors je lui oppose de manière insistante la même réponse que je lui ai maintes fois faite:

- Je n'ai pas de temps à perdre dans les futilités du fils de tante Qmira. Qu'Ameur El Bintou mette la main sur tout l'héritage de la famille Jaïed. Je me contente du fait que La Sénya de Sawana est mienne autrement, c'est-à-dire dans mon imagination et dans mes souvenirs. Ce que je possède là lui est inaccessible, je n'ai aucun besoin de titre de propriété pour en jouir, et il n'a aucun moyen de me le contester, même si la Sénya lui avait été attribuée par les nations unies et non par le tribunal de première instance.

Soudain, on frappe à la porte. Je ne suis même pas arrivé à exposer le sujet que je voulais discuter avec Rachida. Je la laisse nettoyer la chambre, je cache la boussole et je vais ouvrir. Je m'étais bien préparé à accueillir Khadouja. Je m'apprêtais à lui sauter au cou. Je voulais la prendre dans mes bras, l'embrasser et lui imposer une réconciliation à la force de mes bras. Je lui dis en ouvrant la porte :

- Allez "Di Jay", une semaine de bouderie, ça suffit. Il faut maint…


Mais je suis surpris de trouver "BBé" Sabrya à la porte, à la place de Khadouja. Ce qui m'inquiète et me fait douter que je ne me serais peut-être pas encore réveillé de mon rêve, c'est que "BBé" Sabrya me tend le couvercle de la boussole, celui après lequel elle courait sur les toits, dans le rêve, pour me le ramener.
Je faillis crier d'étonnement: "Pince-moi, petite maman !" Mais "BBé" Sabrya entra dans la chicane tentant de me faire taire en me clouant la bouche de son index. Elle m'explique, par ses balbutiements et sa gesticulation, qu'il faut garder cette histoire entre nous. Elle me met le couvercle de la boussole dans la main. Puis, chose plus étrange que tout, elle ouvre la main gauche et là, au centre da sa paume, je vois une micro-vis en or massif introduite dans un écrou fin en argent, le tout venant tout droit de l'au-delà et scintillant à éblouir les yeux.

Le Haïkuteur …/… à suivre

(1) "BBé" : façon locale d'appeler un muet, sans que cela ne paraisse comme une offense.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

la photo du coucher de soeleil est magnifique ... mais attention à la ligne d'horizon ... ça penche !