jeudi 3 juillet 2008

Mektoub*

Mon année sur les ailes du récit / texte 22 sur 53/ 04 juillet 2008



Mektoub*


Elle est née que pour le rencontrer et lui, que pour se trouver sur son chemin. Il habitait les jardins du sud et elle le sud des jardins. Dès leur arrivée au monde, on s'était mobilisé pour leur apprendre à patienter, en attendant le grand moment : celui de l'inévitable rencontre, de l'une avec un sublime prince charmant sur un cheval tout blanc et de l'autre avec une merveilleuse belle au bois dormant.


Que de fois, ils avaient rêvé l'un à l'autre. Dans son imagination, elle se le représentait comme l'aube claire et, dans ses rêves à lui, il se la figurait comme la pleine lune, un soir d'été. Et comme il fallait qu'ils grandissent chacun dans son milieu, il apprit de son entourage à se promener, en attendant, du côté du sud des jardins, pour regarder le vent souffler sur les jupons. Et elle, apprit de son environnement, pour s'occuper, à travailler dans les jardins du sud, gagnant quelques dinars pour s'acheter un trousseau, en faisant toutefois attention à ne jamais laisser le vent soulever ses jupons.
Mais, comme elle ne savait pas quand son prince allait apparaître et qu'il ignorait comment le hasard réunissait les amoureux, il essaya de flâner un peu plus loin dans ses jardins du sud et elle apprit à rentrer un peu plus tard à son sud des jardins. Jusqu'au jour où leurs chemins finirent par se croiser. Alors, il s'arma de toute sa bravoure pour empêcher son cœur de battre et elle de toute sa pudeur pour s'empêcher d'entendre battre le sien.
Comme il s'en voulut, par trop de pudeur, d'avoir osé lui dire bonjour ! Et comme elle se blâma de s'être, par trop de timidité, arrêtée pour écouter son salut ! Aussi se pressa-t-elle de lui dire au revoir, sans plus tarder, lui expliquant qu'elle était promise à un vrai prince ayant un cheval tout blanc. Et lui, de lui affirmer, à son tour, que quelque part l'attendait une vraie belle au bois dormant.
Mais, quand ils se retrouvèrent, chacun devant son miroir, il avait enfin, de celle qui l'attendait dans les bois, l'image idéale et elle savait exactement à quoi devait ressembler son prince charmant.

Mais il était écrit qu'ils étaient des gens de foi, et nul du Mektoub n'est sensé ignorer la loi. Aussi fit-il tout pour cesser de rêver à la belle du sud des jardins. Et elle fit de même pour chasser de sa mémoire le souvenir de cette rencontre aux jardins du sud. Mais c'était vainement qu'ils tentaient d'oublier. Car les petits moments de bonheur sont gravés dans la mémoire à jamais.
Et le temps de s'écouler trop vite pour qu'ils en ignorent le poids. Plus les jours passaient et plus l'attente leur semblait représenter plutôt le mauvais choix. Aussi, était-il urgent de se concentrer chacun sur ce que lui réservait son destin. Et chacun demanda conseil autour de lui à des gens plus expérimentés que lui. A lui, on répondit que pour rencontrer son Mektoub il fallait partir à la recherche de ce que le destin lui avait caché dans les vastes territoires de Dieu. Et à elle, on signifia que c'était plutôt au Mektoub de venir frapper à sa porte, pour révéler les lignes non encore visibles, et qu'il ne servait à rien de courir à l’excès plaines et déserts.
Croyant chacun en Dieu comme on le lui avait appris, il fit ses provisions et quitta les jardins du sud pour un très long et très fatiguant voyage. Tandis qu'elle se résigna à rester dans le sud des jardins, s'abandonnant à une attente pénible et ennuyeuse. Ainsi le temps se chargea-t-il de leur apprendre que loin de chez soi, la vie présentait tant d'intenses moments de bonheur et de douloureux moments de tristesse, mais qu'elle offrait aussi, sans nul besoin de se déplacer, autant d'insoupçonnables joies et d'imprévisibles peines.
Et l'âge avançant dictait à celui qui s'était exilé de rentrer et à celle qui n'en pouvait plus d'étouffer chez elle de s'attarder à prendre l'air, chaque jour un peu plus. Et, comme il était donné à tous ceux qui flânaient un peu plus loin dans leurs jardins du sud, de rencontrer quelques uns de ceux qui rentraient un peu tard à leur sud des jardins, il était écrit que le Mektoub allait les réunir, une seconde fois, sur le même chemin.
Il lui dit que si elle avait totalement changé, quelque chose d’indéfinissable demeurait en elle, lui faisant croire que c'était bien elle qui, au même endroit, l'avait un jour rencontré. Et elle lui répondit qu'elle avait absolument la même impression et que si lui aussi n'avait plus les mêmes traits, rien ne justifiait de douter un instant que leurs chemins s'étaient bien croisés un moment.
Mais ni elle ni lui n'avait pensé à demander des nouvelles du prince charmant ni de la belle au bois dormant. Cependant, Ils n'avaient pas éprouvé la moindre gêne, lui d'avoir osé dire une seconde fois bonjour et elle d'avoir tardé, cette fois, à lui dire au revoir. Et, sans jamais reconnaître avoir perdu la mise, chacun d'eux rentra chez lui pour continuer à attendre, de son côté, la rencontre promise.
Mais aucun d'eux n'avait imaginé, en se regardant bien dans son miroir, que l'autre n'aurait élu que lui pour âme sœur, s'il n'avait été éduqué pour attendre celle qui n'était pas encore venue et qui ne viendrait probablement jamais plus.

Combien de temps s'est-il écoulé avant qu'ils ne réalisent, au moment où l'ange convoyeur se présenta, enfin, pour les raccompagner dans leur ultime voyage, que le Mektoub ne frappait jamais plus de deux fois à une même porte!


Le Haikuteur – Tunis

*Mektoub : Mot arabe, le destin.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je ne suis pas du tout une fan de l'usage du flou en photo , mais la première me plait malgré tout; pour ses ombres . bravo pour les deux autres (cependant .. les broderies du tissu me gênent un peu parce qu'elles nous privent de lisibilité , entre autre l'objet à gauche avec le ruban blanc dont on ne devine rien ...) Tu aurais pu jouer à fond sur la beauté des ombres et du travail du bracelet )La nature morte est un art difficile parce qu'il faut la composer soigneusement , et surtout être attentif à la lumière qui lui donne du relief , de la profondeur et une vie propre !)